C’est un article du « Telegraph » qui y revient : l’empreinte démoniaque sur le monde se fait de plus en plus sentir. La journaliste est allée interroger deux des plus éminents exorcistes des États-Unis, les Pères Gary Thomas et Vincent Lampert qui témoignent tous deux du nombre croissant d’appels au secours, dans une société qui creuse son athéisme et verse progressivement dans l’occultisme – le grand retour au paganisme.
Il y a quelques dizaines d’années, les non-croyants se moquaient, comme devant un film d’horreur. Aujourd’hui, ils tentent des pratiques qui les y conduisent sans coup férir – la plus grande ruse du démon est encore et toujours de faire croire qu’il n’existe pas.
Les causes de l’explosion : paganisme, occultisme et ignorance
Au cours des dix dernières années, note le journaliste, le nombre d’exorcistes aux États-Unis a quadruplé, passant de 12 à 50 – l’offre faisant suite à la demande… « Le démon est une réalité », dont les manifestations se voient de plus en plus multipliées. Pour les deux religieux, l’origine tient d’abord dans cette absence grandissante de la Foi : le savoir humain augmente pendant que la Foi décline et « le déclin de la Foi va de pair avec la montée du Mal ».
Dans ce monde rompu « aux drogues et à la pornographie », la religion a été bannie ou laissée de côté. Le vide est désormais substantiel et s’y développe sans peine l’attrait des pratiques païennes : occultisme, spiritisme, médiums… Des expériences qui « invitent » très clairement la présence démoniaque.
L’un des prêtres donne cet exemple de témoignage récurrent : « Nous étions en train de jouer avec une planche Ouija [planche divinatoire] et tout d’un coup notre ami s’est mis à parler dans cette langue folle que nous ne comprenions pas. Et des choses étranges ont commencé à se produire – des objets se sont mis à bouger dans la maison »….
Discernement dans les cas d’infestation et de possession démoniaques
Ce n’est pas l’Église qui réclame leurs exorcismes, mais bien les gens eux-mêmes qui les joignent directement. Ils sont souvent « désespérés », dit le Père Thomas, ayant tout essayé de la psychologie moderne, voire de la psychiatrie. Les cas sont divers, l’influence démoniaque ayant plusieurs degrés, de l’obsession à la possession, en passant par l’infestation et la vexation – sur 5.000 demandes, une seule concerne un cas de possession démoniaque complète selon le Père Lampert.
Le Père Thomas a été formé à Rome – un journaliste en a même fait un livre, « The Rite : Making of a Exorcist moderne », dont s’est inspiré le film sorti en 2011, « Le Rite », avec Anthony Hopkins. Il parle de cette première difficulté qui est le discernement, et la nécessité subséquente d’une équipe catholique de psychologues et de médecins, dans son ministère. La prudence a toujours été l’apanage de l’Église, a fortiori dans les cas démoniaques – « Vous devez exclure le naturel avant de pouvoir aller vers le préternaturel ».
« Le Mal veut toujours se cacher et mentir »
Dans la majorité des cas, la personne est possédée par une tribu de démons qu’il faut chasser un par un, mais aussi par les esprits désincarnés des âmes des morts attachés à la personne atteinte. Et l’exorcisme ne peut être effectué que si la personne le souhaite…. Personne ne peut rien contre les acte d’allégeance impliquant une possession parfaite.
Double précaution est prise avec les non-catholiques, précisent les deux prêtres – ils représentent pourtant la moitié des demandes. En effet, la situation peut s’avérer pire qu’avant l’exorcisme : c’est la métaphore de l’Évangile avec la maison balayée et les démons qui y reviennent, plus nombreux et plus forts…
Le Rituel est conduit en latin, « la langue la plus détestée par les démons », souligne le père Thomas, « mais ils vont aussi répondre aux traductions de rite approuvées dans les langues comme l’italien, l’espagnol et le portugais » (les démons lui ont déjà refusé l’anglais comme « non approuvé » par l’Église !). Un processus d’exorcisme prend un minimum de six mois, chaque séance prenant deux heures de temps – une limite pour l’épuisement de la personne possédée.
De la peur ? Les deux exorcistes n’en confessent aucune. C’est le total abandon à leur vocation qui leur procure cette sérénité et, surtout, la certitude encore une fois que le mal doit être convié pour pouvoir entrer… Jamais le démon ne pourra agir sur notre âme spirituelle (intelligence et volonté), sauf si nous-mêmes, librement, lui donnons accès par le péché. Une même conviction doit nous habiter – la grâce divine est la plus forte.
Le Nouveau Rituel d’exorcisme : « une arme sans tranchant » Dom Amorth
Un bémol pourrait néanmoins être apporté, quant au Nouveau Rituel des exorcismes, par le témoignage d’un autre exorciste et pas des moindres : le chef en la matière de la cité du Vatican et du diocèse de Rome de 1986 à 2016, Dom Gabriele Amorth, décédé le16 septembre dernier.
Il avait largement critiqué sa réforme, en particulier l’abandon de nombreuses prières très anciennes, réputées pour leur efficacité et la remise en question de la nécessité de certains exorcismes, comme dans les cas de maléfices. Le Rituel note même qu’on ne doit pas faire d’exorcismes si on n’a pas la certitude de la présence du diable… mais est-on jamais certain ? C’est le déroulement-même de l’exorcisme qui apporte bien souvent la réponse… La notion de « discernement » a sa large dose d’ambiguïté.
Voir le démon là où il est
L’ancien Rituel, composé en 1614, est heureusement resté autorisé. Mais l’esprit du Nouveau s’est répandu – il correspondait d’ailleurs beaucoup mieux à l’ignorance coupable et au tabou dramatique qui sévissaient sur le sujet depuis Vatican II (Dom Amorth rappelle qu’en 1999, l’Épiscopat allemand avait écrit une lettre au cardinal Ratzinger, dans laquelle il affirmait que ce n’était pas nécessaire de faire un nouveau Rituel parce les exorcismes ne devaient plus être pratiqués….)
Les dernières années ont, certes, vu un revirement. En 2004, le pape Jean Paul II avertissait contre le New Age et le pape François n’hésite pas aujourd’hui à parler de « Satan » et de son action à travers le monde. L’Église a renoué avec l’existence du Malin.
Reste qu’il faut encore le voir et le montrer, là où il est vraiment.
Clémentine Jallais