Un prêtre exorciste recevant une femme en consultation (SIMON ISABELLE/SIPA)
Chaque diocèse a son exorciste. C’est à l’évêque qu’incombe la tâche de trouver un prêtre adéquat qui acceptera cette charge. J’étais libre de la refuser, mais après un temps de discernement j’ai accepté. Depuis 2005, je suis donc le prêtre exorciste.
Pour moi, le service exorcisme est avant tout un lieu d’entraide dédié aux personnes confrontées à la question du mal, de la souffrance et du sens de leur vie. Les gens nous contactent par téléphone et nous laissent un message. Ils disent toujours être en situation d’urgence et veulent nous parler au plus vite, mais nous devons résister à une demande d’intervention rapide et "magique".
Un premier rendez-vous est donc fixé avec un membre de mon équipe, mais si la personne ressent le besoin de rencontrer ensuite le prêtre, nous convenons d’un second entretien où je la reçois.
Des gens fragilisés qui cherchent à comprendre
Chose étonnante, la plupart des gens qui nous contactent ne sont pas des pratiquants réguliers ou ont pris depuis longtemps leur distance avec l’Église catholique.
En règle générale, ils viennent parce qu’ils sont en souffrance, ils veulent surtout comprendre pourquoi tout va si mal dans leur vie. Ils recherchent une explication à leurs problèmes et espèrent que nous pourrons les aider rapidement à voir le bout de leurs épreuves.
Chômage, problèmes familiaux, violences, états psychologiques fragilisés, on voit un peu de tout au service exorcisme. Souvent, nous sommes leur dernier recours après les médecins, les psychiatres et même les voyantes.
Je ne crois pas en la puissance indue du diable
Il m’est arrivé de rencontrer des parents dont l’enfant avait été diagnostiqué schizophrène. Perdus et confrontés au peu de résultats des traitements psychiatriques, ils se demandaient en entendant leur enfant se dire "habité par le mal", que peut-être l’exorcisme pouvait leur venir en aide.
Moi, je ne crois ni à la puissance directe du diable sur les choses concrètes de notre vie, ni à la puissance efficace de la sorcellerie. Je pense que la pouvoir du diable est une puissance de suggestion. Il veut nous persuader qu’il peut agir directement sur notre vie et, par là, nous enfermer dans le désespoir.
Cette croyance est fausse : avec Dieu, nous restons maître de nos vies. Mon rôle n’est donc pas de chasser le diable, mais d’exorciser les peurs de ceux qui se sentent enfermés dans une impasse.
Quand les gens m’expliquent que tel malheur n’a pu se produire que par l’intervention directe des forces mauvaises, je tente de leur expliquer que le jeu du mal est de leur enlever toute combativité et les enfermer dans une forme de fatalisme désespéré.
Par la prière, nous demandons ensemble à Dieu de nous donner la force de vivre notre vie telle qu’elle est, de nous donner l’énergie de l’améliorer et le cas échéant de nous soigner.
L’essentiel de mon travail est d’écouter
L’essentiel de mon travail est d’écouter et d’affirmer que la vie est plus forte que tout sentiment de domination et d’écrasement.
Dans l’exorcisme, il y a deux tendances : soit on s’imagine que le diable est partout, soit on se dit que tout est psychologique.
Je refuse de me laisser enfermer dans ces catégories réductrices. Je crois que dans la vie de chacun, il y a bien des choses qui ne s’expliquent pas, mais qu’il ne faut pas baisser la garde en croyant que nous serions que des fétus de pailles soumis à tous les vents mauvais.
C’est pourquoi le plus gros de mon travail, c’est l’écoute et la prière, qui permettront à la personne de retrouver sa liberté et sa force intérieures.
Ne croyez pas ce que vous racontent les films
J’ai déjà pratiqué de grands exorcismes, mais ils sont très rares et ne concernent que les personnes dont la liberté a été bridée par des pactes ou des cultes sataniques.
Ce sont des prières qui prennent la forme d’un rituel conçu par l’Église. Leurs buts est de permettre à la personne de se sentir pleinement déliée des fausses croyances dans lesquelles elle s’est enfermée. C’est tout. Ne croyez donc pas ce que vous racontent les films.
Les séries télévisées et le cinéma se sont emparés de l’exorcisme pour lui donner une valeur totalement imaginaire. Non, un être humain ne peut pas être possédé s’il n’a pas d’une manière ou d’une autre engagé négativement sa liberté.
Nous sommes le temple de Dieu et donc nous restons toujours libres. Ces films spectaculaires entretiennent des croyances négatives qui impressionnent les personnes fragiles.
Ce genre de film ne me tente pas, mais en tout état de cause si on les voit il faut le faire avec distance et humour, c’est du cinéma ! Il est essentiel de faire la part des choses entre l’aspect magique et la réalité de la vie.
Le rire plutôt que la domination
Souvent, quand je suis en entretien, je raconte à mon interlocuteur l’histoire de saint Antoine.
Alors qu’il était à la recherche de l’expérience de Dieu en plein désert, des démons aux allures de monstres vinrent faire la sarabande autour de lui pour l’empêcher de poursuivre sa vie de prière. À cet instant, je demande à mon interlocuteur : "Savez-vous comment Antoine a-t-il réussi à les chasser ?" On me répond souvent : "Par la prière". Mais en réalité, Antoine faisait fuir ces démons horribles par… le rire, la dérision.
En langage moderne, il leur dirait : "Vous n’êtes que des démons de papiers". Et les démons vexés s’en allait tout penauds alors qu’ils auraient voulu l’impressionner.
J’essaye ainsi de faire comprendre à mon écoutant qu’il ne doit pas se faire dominer par ses peurs, mais qu’il doit affronter la réalité et le faire avec l’aide de Dieu. C’est ça son vrai combat.
Non, Édith Piaf n’a pas pris possession de Marion Cotillard
Il y a quelques semaines, j’ai entendu dire que Marion Cotillard avait été "hantée" par Edith Piaf. Il est fort probable que l’actrice, comme tant d’autres avant elle, se soit identifiée au personnage qu’elle incarnait. Mais je ne pense pas pour autant qu’on puisse dire qu’elle a été possédée par Edith Piaf en personne, voilà encore une fausse croyance.
Pour s’en sortir, je conseille souvent aux gens de s’accrocher à leur foi, en un Dieu qui donne la vie et de retourner à la réalité de leur vie. Je pense que le conseil le plus avisé est de remettre le virtuel à sa juste place pour se donner les moyens de vivre pleinement sa propre vie, avec ses ombres et ses lumières.
Propos recueillis par Louise Auvitu source:"leplus.nouvelobs.com"