EXORCISMES ET POSSESSIONS

EXORCISMES ET POSSESSIONS

L’EAU BÉNITE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE Par Mgr JEAN-JOSEPH GAUME, PROTONOTAIRE APOSTOLIQUE

L’EAU BÉNITE

 

AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE

 

Par Mgr JEAN-JOSEPH GAUME, PROTONOTAIRE APOSTOLIQUE

 

 

 

« Effundam super vos aquam mundam, et mundabimini. » Ezech., XXXVI, 15

« Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés. »

 

 

AUTORISATION DE L'ORDINAIRE.

 

Nous, Évêque de Versailles, permettons à Monseigneur GAUME, protonotaire apostolique, de faire imprimer dans notre diocèse son opuscule intitulé : l'Eau bénite au dix-neuvième siècle.

VERSAILLES, le 30 décembre 1865.

† PIERRE, Évêque de Versailles.

 

 

AVANT-PROPOS.

Le jeune Allemand, à qui sont adressées nos lettres sur le Signe de la Croix, nous a demandé un travail analogue sur l'Eau Bénite. Ses motifs sont les mêmes. Dans une de ses visites, il nous raconta qu'un bénitier, aperçu à la tête de son lit, lui avait attiré de la part de ses camarades une avalanche de quolibets, plus spirituels les uns que les autres. « Grâce aux moyens de défense que vous m'avez fournis, ajoutait-il, on n'ose plus m'attaquer sur le Signe de la Croix; mais, je dois l'avouer, pour défendre l'Eau Bénite, je n'ai pas d'armes de précision, et je viens vous en demander. »

Trop juste est une semblable prière, pour n'être pas favorablement accueillie. L'opuscule qu'on va lire en est le fruit.

 

 

AVIS DES ÉDITEURS

 

La préface placée en tête de la troisième édition du Signe de la Croix au XIXe siècle, nous dispense d'en mettre une à cette nouvelle édition de l'Eau Bénite. Elle explique l'opportunité, le but, la raison et le succès inespéré de deux ouvrages qui, se complétant l'un par l'autre, sont inséparables. Qu'il nous suffise de faire connaître l'accueil qu'a reçu, à Rome, le traité de l'Eau Bénite.

 

LETTRE DE SON ÉMINENCE LE CARDINAL PRINCE ALTIERI

CAMERLINGUE DE LA SAINTE ÉGLISE ROMAINE

 

À MONSEIGNEUR GAUME

PROTONOTAIRE APOSTOLIQUE « MONSEIGNEUR ILLUSTRISSIME,

« Par votre très-précieux ouvrage sur l'usage, l'antiquité et l'efficacité de l'Eau Bénite, vous avez fait beaucoup mieux connaître les nombreux et inappréciables avantages que les fidèles peuvent en retirer, surtout en y joignant le signe de la croix, soit pour se purifier de toute faute vénielle et se fortifier dans la lutte incessante contre les puissances de l'enfer, comme aussi pour attirer les bénédictions qui rendent sainte et salutaire chacune des actions de notre vie, ainsi que tout ce qui nous appartient. « C'est donc à très-juste titre que le souverain Pontife a daigné vous exprimer sa haute satisfaction pour l'envoi de l'exemplaire de votre ouvrage, que j'ai eu l'honneur de lui offrir en votre nom, en même temps que la lettre pleine de dévouement filial dont vous l'avez accompagné. Vous en aurez la preuve dans la réponse ci-jointe, que, par mon entremise Sa Sainteté vous envoie. Elle ne s'en est pas tenue là. Aquiesçant au désir que vous lui avez exprimé, le Saint-Père a accordé les indulgences qu'il a jugées convenables, en faveur de ceux qui feront dévotement usage de l'Eau Bénite, comme il est dit dans le Bref ci-joint, que je suis heureux de vous transmettre, afin que vous lui donniez toute la publicité qui lui est due.

« Je ne doute point que ces témoignages publics de la bienveillance particulière avec laquelle le souverain Pontife n'a pas cessé de vous regarder, soient pour vous la plus grande des consolations, la compensation des amertumes dont vous avez été abreuvé, et le soutien du zèle infatigable que vous mettez à enseigner et à propager les pratiques si utiles et si respectables, prescrites par la tendre mère et l'infaillible maîtresse des hommes, afin de les armer et de les défendre contre les embûches cachées et les attaques violentes de leurs implacables ennemis, les esprits mauvais.

« Recevez donc la nouvelle assurance de la vive et invariable reconnaissance que je vous dois, pour m'avoir mis en possession du bel exemplaire d'un ouvrage qui ne sera jamais assez loué, ainsi que l'expression réitérée des constants sentiments de sincère et haute estime avec lesquels je suis, Monseigneur Illustrissime, votre très-affectionné serviteur,

L. CARDINAL ALT1ERI.

« Rome, 7 avril 1866. »

 

PIUS PP. IX.

Dilecte Fili, salutem et Apostolicam benedictionem. Omni quidem ætati, sed huic præsertim, in qua, impietate impune grassante, potestatibus infernis habens præter morem laxatæ videntur, accommodatum se exhibet opus tuum de aqua benedicta. Licet enim et veneranda ipsius antiquitas, et mos ab Ecclesia servatus eam adhibendi in omnibus ferme benedictionibus, et virtus ejus usui adjecta fugandi spiritus immundos omnemque nequitiam et versutiam diabolica fraudis, arcendi quidquid incolumitati aut quieti hominum invideat, abstergendi leviores animæ sordes, prospiciendique sanitati spiritus et corporis ejus usum imprimis commendare debeant fidelibus ; hunc tamen dura gravior urget tanti præsidii necessitas, passim negligi, vel certe non ea, qua par est, religione ac fide a plerisque adhiberi dolendum est. Optimi itaque consilii fuisse non ambigimus aquæ istius salutaris, quæ inter sacramentalia preclarissimum tenet locum, sanctitatem, virtutem, munera fidelibus obvertere ; ut horum consideratione excitati, ad crebriorem ac religiosiorem ejus usum alliciantur. Quod sane cum fieri magnopere cupiamus, adjecto etiam indulgentiarum lucro, usum eumdem promovere ac fovere curabimus. Interim vero gratulamur; Tibi, quod ipsum, congesta sacra eruditione, demonstrataque argumentis et factis ejus utililate, fidelibus suadere studueris ; et uberrimi fructus, quem lucubrationi tuæ ominamur, auspicem, nostræque benevolentiæ pignus indubium, Apostolicam Tibi Benedictionem peramanter impertimus.

 

Datum Rome, apud S. Petrum, die 14 martii 1866. Pontificatus nostri anno XX.

Pius PP. IX.

 

LETTRE DU SAINT-PÈRE

« Cher fils, Salut et Bénédiction apostolique.

« Opportun dans tous les temps, votre ouvrage sur l'Eau Bénite l'est surtout à l'époque actuelle, où l'impiété exerçant impunément ses ravages, les rênes semblent lâchées plus que jamais aux puissances de l'enfer. En effet, bien que la vénérable antiquité de l'Eau Bénite et la coutume de l'Église de l'employer dans presque toutes les bénédictions, et la vertu dont elle jouit de chasser les esprits immondes et de rendre vaines toutes les méchancetés et toutes les ruses de la perfidie satanique, d'éloigner tout ce qui peut compromettre l'incolumité ou le repos des hommes, de purifier l'âme des fautes légères et de procurer la santé spirituelle et corporelle, doivent en recommander de la manière la plus pressante l'usage aux chrétiens ; toutefois, il est déplorable qu'au moment où la nécessité d'un si puissant secours est plus pressante, l'usage en soit presque partout négligé, ou du moins ne soit pratiqué par la plupart, ni avec la religion ni avec la foi qui conviennent. « Elle a donc été excellente, Nous n'hésitons pas à le dire, la pensée de rappeler aux fidèles la sainteté, la vertu et les avantages de cette eau salutaire, qui tient un rang si éminent parmi les Sacramentaux, afin que les ayant présents à l'esprit, ils soient excités à en faire un usage plus fréquent et plus religieux. Comme Nous désirons ardemment qu'il en soit ainsi, Nous aurons soin d'encourager et de favoriser cet usage, même en y attachant le bénéfice des Indulgences.

« En attendant, Nous vous félicitons d'avoir consacré vos études à le persuader aux fidèles, en appelant à votre aide pour leur en démontrer l'utilité, l'érudition sacrée, les raisonnements et les faits ; et comme espérance des fruits abondants que Nous souhaitons à votre ouvrage, et comme gage authentique de Notre Bienveillance, Nous vous donnons dans l'effusion de notre coeur la Bénédiction apostolique.

« Donné à Rome, chez Saint-Pierre, le 14 mars 1866. »

« De notre pontificat la vingtième année. » 

« Pius PP. IX. »

 

BREF

PIUS PAPA IX.

 

AD PERPETUAM REI MEMORIAM. Vetustiores inter sacros ritus, quos vel a suis exordiis Ecclesia Christi sive in conficiendis sacramentis a.D. N. J. C. institutis, sive in sanctificandis iis rebus, quæ fidelium usui inservirent, adhibuit, aquæ et salis consecratia seu benedictio est recensenda. In benedicenda enim aqua cum sale suis precibus, suisque invocationibus id intendit Ecclesia, ut Deus cœlestem iis virtutem infundat ad fugandos dæmones morbosque pellendos, ac proinde Christianus Populos ex usu aquæ benedictæ salutares effectus consequatur. Nos igitur qui ad augendam fidelium Religionem et æternam animarum salutem procurandam paternæ charitatis flamma accendimur, ad frequentioremaquæ benedictæ usum inter fideles excitandum coelestes Ecclesiæ thesauros, quorum Nos dispensatores esse voluit Altissimus, reserandos censuimus. Quare de Omnipotentis Dei misericordia, ac BB. Petri et Pauli Apostolorum ejus auctoritate confisi, omnibus et singulis utriusque sexûs Christi fidelibus, saltem corde contritis, qui in Crucis formam, adjecta sanctissimæ Trinitatis invocatione, cum aqua benedicta se signaverint, qua vice id egerint, centum dies de injunctis eis, seu alias quomodolibet debitis pœnitentiis, in forma Ecclesiæ consueta relaxamus; quas Indulgentias etiam animabus Christi fidelium, quæ Deo in charitate conjunctæ ab hac Luce migraverint, per modum suffragii applicari posse indulgemus. Volumus autem ut præsentium Litterarum transumptis, seu exemplis, etiam impressis, manu alicujus Notarii publici subscriptis, et sigillo Persona in ecclesiastica Dignitate constitutæ munitis eadem prorsus fides adhibeatur, quæ adhiberetur ipsis Praesentibus, si forent exhibite vel ostense; utque exemplar earumdem, quod nisi fiat Prœsentes nullas esse declaramus, ad secretariam Congregationis Indulgentiis, sacrisque Reliquiis preposita deferatur, juxta Decretum ab eadem sub die XIX junuarii MDCCLVI, latum et a S. M. Benedicto PP. XIV, Prædecessore nostro, die XXVIII dicti mensis et anni adprobatum.

 

Datum Romæ, apud S. Petrum, sub annulo Piscatoris die XXIII martii MDCCCLXVI.

Pontificatus nostri anno vigesimo.

N. CARDINALIS PARACCIANI CLABELLI

Locus sigilli.

 

TRADUCTION DU BREF POUR MÉMOIRE ÉTERNELLE. - Parmi les plus anciens rites sacrés que, dès son origine, l'Église de Jésus-Christ a employés soit pour administrer les sacrements institués par Notre-Seigneur Jésus-Christ, soit pour sanctifier les choses destinées à l'usage des fidèles, il faut placer la consécration ou bénédiction de l'eau et du sel. En effet, en bénissant l'eau et le sel par ses prières et par ses invocations, l'Église a l'intention que Dieu répande en eux une vertu céleste pour chasser les démons et éloigner les maladies, et par conséquent pour que le peuple chrétien obtienne par l'usage de l'eau bénite des effets salutaires.

« Nous donc qui, dans notre charité paternelle, brûlons du désir d'augmenter la religion des fidèles et de procurer le salut éternel des âmes, afin de rendre plus fréquent parmi les chrétiens l'usage de l'Eau Bénite, Nous avons jugé convenable d'ouvrir les célestes trésors de l'Église, dont le Très-Haut nous a établi le Dispensateur.

« C'est pourquoi, confiant en la miséricorde du Dieu Tout-Puissant et en l'autorité de ses bienheureux apôtres Pierre et Paul, Nous accordons, dans la forme accoutumée de l'Église, à tous et à chacun des fidèles de l'un et de l'autre sexe, au moins contrits de coeur, chaque fois qu'ils feront sur eux le signe de la croix avec de l'eau bénite et en invoquant la Très-Sainte Trinité, cent jours d'indulgences pour les pénitences qui leur auraient été imposées ou dont ils seraient redevables à un autre titre quelconque. Nous accordons de plus que ces indulgences puissent être appliquées par manière de suffrage, aux âmes des fidèles chrétiens qui ont quitté ce monde dans la grâce de Dieu.

Enfin, Nous voulons qu'aux copies manuscrites ou exemplaires imprimés des présentes Lettres, signées par un notaire public et munies du sceau d'une personne ecclésiastique constituée en dignité, on accorde absolument la même foi qu'on accorderait à ces Présentes elles-mêmes, si elles étaient exhibées ou montrées; et aussi qu'un exemplaire de ces mêmes Lettres soit porté à la Secrétairerie de la Sacrée Congrégation des Indulgences et des Saintes Reliques, sous peine de nullité, conformément au décret de la même Sacrée Congrégation, en date du 19 janvier 1756, et approuvé par notre Prédécesseur de sainte mémoire, le Pape Benoît XIV, le 28 du même mois et de la même année.

« Donné à Rome, chez Saint-Pierre, sous l'anneau du Pêcheur, le 23 mars 1866. »

« De notre pontificat la vingtième année. « N. CARDINAL PARACCIANI CLARELLI.»

Locus sigilli.

Pour copie conforme, J. GAUME,

Protonotaire apostolique, vicaire général d'Aquila.

Paris, 25 avril 1866.

 

 

PREMIÈRE LETTRE

Paris, 25 septembre 1865.

 

ÉTUDIER LA SCIENCE DIVINE : NOBLE ET UTILE PENSÉE. - AFFAIBLISSEMENT DE LA SCIENCE MODERNE. - POURQUOI ÉTUDIER L'EAU BÉNITE. - RÉPONSE À TROIS SORTES DE GENS. - PREMIÈRE RAISON D'ÉTUDIER L'EAU BÉNITE : S'INSTRUIRE. - L'EAU BÉNITE N'EST PAS CONNUE. - NOBLE SUJET D'ÉTUDE. - UTILITÉ ACTUELLE DE LA CONNAÎTRE. - SECONDE RAISON : L'OBLIGATION DE DÉFENDRE LA RELIGION POUR SOI ET POUR LES AUTRES. - OBLIGATION IMPOSÉE À TOUS. - HISTOIRE DE NÉHÉMIAS.

 

MON CHER FRÉDÉRIC,

Je te remercie de la demande que tu m'adresses. Si elle me fait plaisir, elle te fait honneur. Il est beau, très beau de voir un jeune homme qui, tout en étudiant avec succès les sciences humaines, aspire vivement à connaître la science divine. Soit dit sans vouloir te flatter, c'est le signe d'une intelligence d'élite.

D'où vient qu'aujourd'hui il y a si peu de vrais savants ? De ce que les études, matérialisées comme la société elle-même, se concentrent presque toujours dans le monde des faits. Le monde des causes devient, pour elles, l'Amérique avant Colomb. On sépare ce que Dieu a intimement uni : l'ordre naturel et l'ordre surnaturel. Or, le savant matérialiste est un astronome sans télescope ; la science moderne, une femme divorcée : sa position est fausse.

Au lieu d'habiter, comme autrefois, les étages supérieurs du palais, elle descend dans la cave. Au lieu d'être aigle, elle devient taupe. Au lieu de travailler à ciel ouvert, elle se blottit sous un couvercle de plomb, qui lui ôte tout rayon de vraie lumière. Et là, que fait-elle ? Ce que fait l'araignée dans son trou. Elle file des systèmes, fragiles comme le verre ; fabrique des négations ; débite des absurdités et trop souvent profère des blasphèmes.

Mais pourquoi me demander une étude sur l'eau bénite? Afin d'exercer ton intelligence et occuper mes loisirs, ne pouvais-tu choisir, aujourd'hui surtout, un sujet en apparence plus relevé et plus nécessaire ? J'entends d'ici trois catégories de personnes qui nous adressent la même question. Je dis nous, car je vais être de moitié, ou même des trois quarts, dans le travail demandé. Ces trois catégories sont : les grands politiques, les grands philosophes, les grands guérisseurs de la société; les lettrés du journalisme, nation hostile ou indifférente à tous les cultes, excepté celui de la vaine gloire, de l'or et du plaisir; enfin, les catholiques vrais.

Puisque vous voulez écrire, pourquoi ne pas attaquer quelque question palpitante d'actualité et d'une utilité pratique? En manque-t-il aujourd'hui? Avec votre traité de l'eau bénite, quel service prétendez-vous rendre à l'ordre social en péril? Voilà ce que les premiers vont dire de toi et de moi. S'ils étaient moins polis, ils ne manqueraient pas de nous appliquer les vers de Boileau :

 

« Oh! le plaisant projet d'un poète ignorant, Qui de tant de héros va choisir Childebrand. »

Voici notre réponse. Il est vrai, dans un monde où tout est remis en question, il y a beaucoup de graves sujets à traiter. Mais il est vrai aussi que tous ne sont pas de force à l'entreprendre à petit mercier, petit panier. Je le sais, en traitant de l'eau bénite, nous laissons de côté les grands problèmes qui agitent le monde. Nous n'empêcherons pas la révolution de faire la guerre au Pape. Nous ne convertirons ni Mazzini, ni Garibaldi, ni leurs acolytes de l'ancien et du nouveau continent, libres penseurs, solidaires, spirites ; nous n'éteindrons dans leurs coeurs ni la haine du catholicisme ni la soif des places et de l'argent.

Nous n'empêcherons nulle part aucune tyrannie ; ni la profanation des cimetières et la pratique forcée de l'athéisme, comme en Belgique ; ni la fermeture des séminaires, ni le saccage des couvents, ni la spoliation de l'Église, comme en Italie ; ni la reconnaissance officielle des faits, ou mieux des méfaits accomplis, comme en Espagne; ni l'égorgement de tout un peuple, comme en Pologne ; ni les envahissements de la Russie, comme en Orient. Nous ne guérirons pas la fièvre de l'unité césarienne, qui travaille ton pays. En France, nous n'arrêterons ni la multiplication des théâtres et des cabarets, ni les progrès d'un luxe dévorant; surtout nous n'empêcherons pas les journaux de mentir.

Nous ne ferons rien de tout cela. Mais, quel qu'eût été le sujet de notre étude, l'aurions-nous fait? Vous qui êtes plus puissants que nous, vous l'avez tenté : avez-vous réussi? Vos beaux discours, vos savants écrits, vos protestations, vos démonstrations, vos superbes articles ont-ils retardé, même d'une heure, la marche de la révolution? Ce n'est pas avec des arguments que se conjurent les fléaux de Dieu, c'est par la prière et par la pénitence. Quant à l'utilité de notre petit travail, vous la connaîtrez bientôt ; et, si vous êtes catholiques, vous saurez, nous l'espérons, l'apprécier.

Pour les seconds, c'est-à-dire les lettrés de ton pays, du mien et de tous les pays, hommes de lumières modernes et de progrès matériel, nous devons en prendre notre parti, ils vont hausser les épaules : la plupart de tes camarades les imiteront. Que veux-tu ? ils nous mesurent à leur aune. Ah ! si nous enseignions l'art de dresser des chevaux ou d'instruire des chiens; si nous parlions tant soit peu correctement industrie, machines, tissus, bétail ou guano, ce serait autre chose. L'attention de ce monde-là nous serait acquise. Leurs journaux feraient l'éloge de notre œuvre ; on nous classerait parmi les hommes utiles, qui sait? peut-être quelque médaille d'encouragement viendrait témoigner de la haute estime dont nous jouissons.

Ainsi leur chute a fait les hommes. Telle est la réflexion d'un illustre évêque écrivant, il y a trois siècles, sur le sujet qui va nous occuper. « On loue, dit-il, on admire ceux qui consacrent leurs veilles à nous instruire sur la chevelure et sur la calvitie, sur le raifort, sur l'ortie, sur les abeilles et autres choses du même genre. Vois, je te prie, candide lecteur, ce que tu dois penser du livre que je mets entre tes mains. Là, des sujets profanes ; ici un sujet sacré. Là, un vain plaisir, tout au plus une mince utilité pour le corps ; ici, non-seulement plaisir par la variété des choses, mais encore utilité pour l'âme.(1)»

 

(1)M. Antonii Columnæ, bononiensis jurisconsulte, archiepiscopi salernitani, Hydragiologia, sive De Aqua benedicta. In-4°Roma, 1586. Epist. ad Lector. Ouvrage précieux que nous aurons souvent occasion de citer.

 

Restent les catholiques. Eux aussi nous demandent quel fruit nous attendons de notre modeste étude. Nous leur disons : Le plus sot métier est de parler à des sourds volontaires. Faisant,la part au feu, nous laissons à leur sort ceux qui veulent, bon gré, mal gré, poursuivre jusqu'au bout le chemin de l'erreur et tomber dans l'abîme qui les attend, qui ad gladium, ad gladium ; et qui ad mortem, ad mortem. Mais il en est d'autres qui ne veulent pas périr.

Ceux-là, c'est vous, catholiques suivant l'Évangile. C'est à vous que nous avons la prétention de rendre quelque service.        

Nous voulons glorifier l'Église votre mère dans une de ses institutions les plus vénérables. Le précieux patrimoine de foi et de pratiques chrétiennes que nous avons reçu de nos aïeux, nous voulons vous le conserver. Entre vos mains nous voulons remettre et vous apprendre à manier l'arme puissante qui leur a, dans des millions de circonstances, assuré de glorieuses victoires. Or, une victoire, si petite qu'elle soit, remportée sur le mal, par n'importe qui, petite fille ou vieille femme, impératrice ou bergère, paysan ou philosophe, est pour la société un bienfait de premier ordre. Vingt victoires, vingt bienfaits; cent victoires, cent bienfaits. Eh bien, nous prétendons en faire remporter chaque jour des milliers.

Telle est, mon cher ami, ta pensée et la mienne. Si on a quelque reproche à nous faire, ce n'est pas, du moins, d'avoir manqué de franchise, ou de n'avoir point connu le terrain sur lequel nous marchons. Sans doute, notre correspondance aurait pu rouler sur un autre sujet religieux; mais, enfin, tu as choisi l'eau bénite. A chacun son goût, et je ne puis blâmer le tien. Le désir de t'instruire et l'obligation de te défendre justifient pleinement ta préférence.

 

1° Le désir de t'instruire. Rien de plus commun que l'eau bénite. On la trouve, sinon dans toutes les maisons, du moins à l'entrée de toutes les églises. Pas un chrétien qui n'en ait fait usage dès l'enfance. Toutefois, tu verras bientôt que rien n'est moins connu et n'est plus digne de l'être beaucoup. Connaître l'eau bénite, n'est pas savoir qu'elle existe. Connaître l'eau bénite, c'est connaître sa nature, ses raisons d'être, ses différentes espèces, ses éléments, son origine, son usage, ses effets. En d'autres termes, c'est savoir son histoire naturelle, dogmatique, morale et liturgique, un peu mieux que le bachelier d'aujourd'hui ne sait, après dix ans d'études, le grec et le latin. Or, voilà ce qu'on ne sait pas. Sur près de deux millions d'habitants, combien crois-tu que Paris renferme d'hommes ou de femmes, de législateurs, de magistrats ou d'académiciens, qui connaissent le premier mot de toutes ces choses? Par la capitale de la civilisation, tu peux moralement juger des provinces et du reste de l'Europe.

 

Cependant l'eau bénite, comme tout ce qui est de la religion, est un noble sujet d'études pour une noble intelligence. « C'est, dit le grand évêque cité plus haut, une chose sacrosainte, rem sacrosanctam; pleine de mystères, mysteriis refertam; digne de la plus profonde vénération , veneratione dignissimam (1).»

 

(1) M. Antonii Columnæ Hydragiologia. Ubi supra.

 

Comme tu vois, étudier l'eau bénite n'est pas déroger : il y a mieux, c'est s'ennoblir. En voici la preuve.

Les connaissances que tu vas acquérir contribueront à faire de toi ce que tu dois être, sous peine d e n'être rien : un homme de ton temps et de ton pays. Qu'est-ce aujourd'hui qu'un homme de son temps et de son pays? C'est un homme, jeune ou vieux, français, italien, espagnol ou allemand, qui professe hautement et qui pratique carrément la religion du respect. Respect de Dieu, respect de l'homme, respect de soi-même et des créatures : tel est le symbole de cette religion descendue du ciel. Ce qu'est le fondement à l'édifice, la religion du respect l'est à la société, à la famille , à l'humanité. Qu'elle soit ébranlée, et, comme le monde païen, le monde actuel périt, écrasé sous les ruines de sa prétendue civilisation.

Or , la religion du respect est aujourd'hui battue en brèche par une autre religion qui s'intitule la religion du mépris. Mépris de Dieu, mépris de l'homme, mépris de soi-même et des créatures : tel est le symbole de cette religion, fondée par le premier des contempteurs, Satan. La lutte de ces deux religions est toute la lutte du présent: l'avenir est l'enjeu du combat.

Pour être des hommes de votre siècle et de votre pays, voilà ce que toi et tes camarades devez comprendre. Vous devez le comprendre assez bien pour haïr d'une haine parfaite, perfecto odio, la religion du mépris, et pour estimer, dans toutes ses doctrines, comme dans toutes ses pratiques, la religion du respect, au point de répéter consciencieusement, avec une des plus lumineuses intelligences de la terre, sainte Thérèse : « Je donnerais ma vie pour la moindre cérémonie de l'Église (1). »

 

2° L'obligation de te défendre. Elle n'est pas pour toi seul cette obligation, mon cher ami. Le temps où nous vivons, est-il une ère de paix pour le catholicisme? Personne, aujourd'hui, n'attaque-t-il l'Église dans son chef, dans ses droits, dans son autorité, dans ses institutions, dans ses ministres? Aucun Judas ne cherche-t-il à nous ravir le trésor de la foi, le patrimoine de nos vénérables traditions? Soit ignorance, mépris ou lâcheté, un trop grand nombre de chrétiens ne laissent-ils pas tomber en désuétude nos pratiques les plus saintes?

La vérité est que la guerre pourrait à peine être plus acharnée ou plus universelle. Cela veut dire que le commandement de saint Pierre regarde spécialement les chrétiens d'aujourd'hui. « Soyez toujours en état de donner satisfaction, à quiconque vous demande raison de votre espérance (2). »

 

 

(1) Voir sa Vie écrite par elle-même, ch. XXXIII.

(2) 1 Petr., III, 15.

 

La vérité est encore que les preuves générales ne suffisent plus au grand nombre. Pour chacun de nos dogmes ou de nos usages, les esprits raisonneurs de notre époque demandent des autorités spéciales. Tu connais la plaisanterie qui a cours en France sur le vin de Tokay, si célèbre dans ton Allemagne. Ce vin n'est servi que sur la table de l'empereur. Aussi chaque pied de vigne est, diton, gardé nuit et jour par un grenadier. La plaisanterie doit devenir chose sérieuse. Désormais, à côté de chaque vérité, de chaque pratique de l'Église, il faut qu'un apologiste, armé de toutes pièces, se tienne en faction. Tu le comprends, et tu veux être armé pour la défense de l'eau bénite, comme tu l'es pour la défense du signe de la croix.

En la défendant par la parole et par l'action, tu contribueras puissamment à la restauration de cette institution trois fois vénérable. Ton exemple fortifiera tes frères dans la foi. Ainsi, tu rempliras une partie essentielle de la mission réservée de nos jours au jeune homme de son temps et de son pays. Laisse-moi te le dire : en face des ruines amoncelées sur le sol des nations chrétiennes, chaque chrétien doit être Néhémias. Tu te souviens de ce grand homme. Revenu de l'exil, il se mit à parcourir la terre de ses aïeux. « Et je voyais, dit-il, les murs de Jérusalem renversés et ses portes consumées par le feu : Jérusalem elle-même était déserté. (1)»

Ses yeux versent d'abondantes larmes. Mais son grand coeur forme le hardi projet de reconstruire la cité sainte et de faire cesser la honte d'Israël. Il s'adresse à ses frères; son appel est entendu : l'ouvrage commence. Cependant les peuplades infidèles, établies dans la terre de Juda, accablent de leurs railleries les intrépides travailleurs. Des railleries elles passent aux attaques ouvertes. Rien ne décourage Néhémias ni les siens. D'une main, on manie les instruments de travail ; de l'autre, le glaive. Dieu bénit, et l'ouvrage s'achève. N'est-ce pas là trait pour trait la mission, non seulement du prêtre, mais des catholiques d'aujourd'hui ?

Or, parmi les pratiques à restaurer, j'espère te convaincre que celle de l'eau bénite ne tient pas le dernier rang.

Tout à toi.

 

(1) Nehem., XI, 15.

 

 

DEUXIÈME LETTRE

Ce 26 septembre.

 

EXPLICATION DU TITRE DONNÉ À NOTRE CORRESPONDANCE. - POURQUOI DIRE L'EAU BÉNITE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE, ET NON PAS SEULEMENT L'EAU BÉNITE. - CE QUE N'EST PAS L'EAU BÉNITE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. - AMOUR DES EAUX DE TOUTE NATURE. - INDIFFÉRENCE POUR LA PLUS PRÉCIEUSE. - CE QU'ELLE DOIT ÊTRE. - OBJET DE GRANDE ESTIME ET D'UN FRÉQUENT USAGE. - EXEMPLE DE L’ÉGLISE. - BESOINS PARTICULIERS DU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. - L'ESPRIT MODERNE. - LE SPIRITISME.

 

MON CHER AMI,

Aujourd'hui même je voulais commencer à te montrer l'excellence de l'eau bénite ; mais la question dont tu me parles m'arrête tout court. On t'a demandé pourquoi nous disons : l'Eau bénite au XIXe siècle, et non pas simplement l'Eau bénite. Je vais répondre.

Nous disons l'eau bénite au XIXe siècle, pour exprimer ce qu'elle n'est pas au XIXe siècle, et ce qu'elle doit être. Ce qu'elle n'est pas. Notre siècle semble avoir la fièvre des eaux. Tu peux voir dans un pareil symptôme, une nouvelle similitude avec les Romains aux jours de leur décadence. Les neuf cents établissements de bains renfermés dans leur capitale ne suffisaient plus à leur mollesse. Au retour du printemps, les rivages célèbres des mers d'Italie se peuplaient de ces sybarites, vainqueurs du monde par les armes, et vaincus à leur tour par la volupté. Pompeï, Herculanum, Stabia, Pouzzoles, et surtout Baïa, la voluptueuse Baïa, voyaient arriver des multitudes de Romains et de Romaines, parmi lesquels, dit Sénèque, on comptait la moitié moins de malades que de gens bien portants.

Depuis trente ou quarante ans, quel spectacle avons-nous sous les yeux ? Chaque année, ce qu'on appelle le beau monde, et que j'ai le mauvais goût de ne pas trouver tel, s'empresse, lorsque la saison est venue, de quitter les villes et leurs plaisirs, et s'en va passer aux eaux une partie de l'été. Eaux de mer, eaux de Vichy, de Barèges, de Néris, de Bourbonne, de Plombières, d'Ems, de Bade; eaux purgatives, sulfureuses, ferrugineuses : il les connaît toutes. Il les estime toutes : à toutes il court et il recourt. Seule, la plus salutaire, l'eau bénite n'est ni connue, ni recherchée, ni employée.

Aux eaux naturelles on ajoute les eaux artificielles. Pour n'en citer que quelques-unes : qui ne connaît l'eau de Cologne, l'eau de Mélisse, l'eau de Botot; et l'immense consommation qui s'en fait ? On les vend partout; donc on en fait usage partout. Afin de les contenir, l'art s'ingénie à fabriquer des vases plus riches et plus gracieux les uns que les autres. Ils figurent avec honneur sur les étagères des salons, sur les meubles coquets des boudoirs. Eh bien ! tu peux parier que dans nos villes, soi-disant catholiques, sur cent familles, à peine s'en trouve-t-il trois ou quatre qui possèdent une goutte d'eau bénite. Et encore, cette goutte, cachée au fond de quelque armoire isolée, dans je ne sais quelle fiole plus ou moins poudreuse, ne révèle sa présence que pour des cas exceptionnels.

Tu peux parier encore que sur mille individus, habillés de drap, plus de neuf cent quatre-vingts méprisent l'eau bénite et ne la connaissent qu'aux enterrements, lorsque, obligés de recevoir le goupillon, ils viennent la jeter machinalement sur le cercueil de leurs morts. Quant aux autres, la plupart ou négligent l'usage de l'eau bénite, ou ils la prennent sans respect, sans dévotion, sans confiance, sans songer à ce qu'ils font : voilà ce qu'est, en général, l'eau bénite au XIXe siècle.

Reste à dire ce qu'elle doit être. Pour le savoir, il suffit d'interroger la plus grande autorité qui soit sous le ciel, l'Église catholique. Continuation du Rédempteur, elle existe uniquement pour détruire le règne du démon, ut dissolvat opera diaboli. Combattre le prince des ténèbres non seulement dans ses mensonges dogmatiques, mais encore dans son action malfaisante sur l'homme, sur ses biens et sur toutes les créatures : telle est sa mission. L'histoire dit avec quel succès elle s'en est acquittée. Partout où elle gagne du terrain, Satan recule. Partout où elle s'établit, le règne de Satan disparaît. Les individus, les familles, les nations, viennent-ils à éconduire leur libératrice ? aussitôt ils retombent sous l'empire de l'antique usurpateur.

Or, pour chasser le démon des lieux, des choses et des personnes qu'il tyrannise, quelles sont les armes les plus anciennes, les plus universelles, les plus usuelles, les meilleures, enfin, que l'Église emploie? Toute sa conduite répond :

Depuis dix-huit siècles, on voit ces armes de précision aux mains de tous les apôtres, de tous les missionnaires, de tous les exorcistes. Sous tous les climats, chez tous les peuples, à ses nouveaux enfants, comme à ses fils aînés, l'Église apporte ses deux armes, avec recommandation d'en faire, à son exemple, le plus constant usage.

De quel droit le catholique d'Europe, le catholique du XIXe siècle, mépriserait-il la pratique séculaire de ses aïeux et les pressantes exhortations de sa Mère? A-t-il trouvé de meilleures armes pour combattre son implacable ennemi ? La vie de l'humanité a-t-elle cessé d'être une lutte ? Les tentations qui attaquent à la fois tous les sens du corps et toutes les facultés de l'âme, sont-elles moins séduisantes ou moins nombreuses ? Satan a-t-il changé ? a-t-il vieilli ? Le nier n'est pas le détruire. Cette négation même est une preuve de son empire. Le siècle qui se la permet ou qui l'entend avec indifférence, a plus besoin qu'un autre de se défier du démon et de s'armer contre lui.

Qu'est-ce, d'ailleurs, que l'esprit moderne ? Cet esprit, devenu l'admiration de notre siècle; l'oracle par lequel il jure; le principe acclamé du progrès, de la liberté, des lumières ; en un mot, de cette civilisation qui, dit-on, nous distingue si glorieusement des siècles passés ? quel est-il ?

Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille.

D'abord, sa qualification me le rend suspect : j'aime ce qui est vieux. L'esprit moderne me ressemble fort au dieu moderne, deus recens, qui ne manquait jamais de s'introniser en Judée, lorsque les Juifs devenaient infidèles à Jéhova. Une autre raison de m'en défier, c'est le caractère de ceux qui le glorifient. Pas un ennemi de l'Église, pas un révolutionnaire, pas un homme animal, animalis homo, qui n'adore l'esprit moderne.

Enfin, comme à l'œuvre on connaît l'ouvrier, ma conviction achève de se former, lorsque je vois les oeuvres de l'esprit moderne. Qui pousse les nations à s'insurger contre L'Église leur mère ? Qui inspire sur une échelle jusqu'ici inconnue les crimes justement appelés sataniques; la haine de Dieu, la haine de Notre-Seigneur, la haine de la vérité, la haine de l'homme contre  l'homme par des guerres fratricides, et de l'homme contre lui-même par le suicide? Qui fait descendre à vue d'oeil la société européenne des hauteurs de l'ordre surnaturel, pour la plonger dans le naturalisme; et, sous le nom de civilisation et de bien-être, l'étouffer dans le débordement de la vie sensuelle? Est-ce le SaintEsprit, ou l'esprit moderne ?

Que dire de cette autre manifestation de l'esprit moderne qui s'appelle le Spiritisme ? De l'aveu de ses partisans, le spiritisme est le culte des esprits. Et quels esprits ! L'enfant qui sait son catéchisme les connaît aussi bien que le philosophe le plus savant. D'ailleurs, eux-mêmes se révèlent par leurs doctrines et par leurs oeuvres. Leurs doctrines sont la négation radicale du Christianisme. Leurs œuvres sont un ensemble d'oracles et de prestiges, renouvelés mot pour mot de l'ancien paganisme. Or, le spiritisme s'étend comme la tache d'huile sur toutes les parties de l'ancien et du nouveau monde. Encore un peu, et il n'y aura pas en France un département qui ne compte des partisans du nouveau culte. De cela je suis certain.

C'est dans ces conditions et en présence de pareils dangers que le dix-neuvième siècle croit pouvoir jeter au rebut les armes défensives que la tradition de l'humanité chrétienne, fondée sur l'enseignement divin, lui a laissées pour vaincre ! Si, de sa part, c'est impiété, il ne reste qu'à prier, à gémir et à craindre. Si, au contraire, l'ignorance, comme j'aime à le croire, est la cause principale de l'imprudence que nous déplorons, les lettres suivantes pourront contribuer à la dissiper. Dans tous les cas, tu y trouveras la justification de ta fidélité à nos pratiques héréditaires et en particulier à l'usage de l'eau bénite.

Si imparfaite qu'elle soit, notre correspondance te montrera que cette eau, placée à la porte de nos églises, sous la main de chacun, et traitée par la plupart avec tant de familiarité, pour ne rien dire de plus, est, suivant l'expression du grand évêque cité plus haut, une chose très sainte, pleine de mystères, digne de la plus profonde vénération, remontant par son origine jusqu'aux temps dés apôtres, et sous la main des hommes de Dieu, opérant de siècle en siècle les plus éclatants miracles (1).

 

Tout à toi.

 

(1) Sanctam enim aquam ut cuique pro templorum foribus obviam, sic nimia familiaritate, ne pejus dixerim, in vulgus temere habitam, sacrosanctam rem esse ostendit, mysteriis refertam, veneratione dignissimam, origine ad apostolorum usque tempora referenda. Miracula vero quæ in ea per omne christianorum oevum divinitus viri sancti operatifuerunt, recenset. Hydragiol. , Epist. ad Lect.

 

 

TROISIÈME LETTRE

Ce 27 septembre.

 

L'EAU BÉNITE EST UN DES SACRAMENTAUX. - CE QUE SONT LES SACRAMENTAUX. - IGNORANCE DU MONDE ACTUEL. - DÉFINITION DES SACRAMENTAUX. - ORIGINE HISTORIQUE. - ORIGINE DE LA VERTU QU'ILS POSSÈDENT. - UTILITÉ DES SACRAMENTAUX. - LEURS EFFETS. - POSSIBILITÉ DE CES EFFETS. LES INFINIMENT PETITS PRODUISANT DE GRANDS EFFETS EXEMPLES.

 

MON CHER AMI,

L'eau bénite est un des sacramentaux : telle est sa grande prérogative. Seule elle suffit pour révéler à tout esprit 
L éclairé, l'excellence de cette eau trois fois vénérable.

Mais que sont les sacramentaux ? Je sens que, dès l'abord, nous entrons dans l'inconnu.

Si tu demandais à tes savants camarades et à tous les lettrés, qui regardent nécessairement comme puéril, le grand et beau sujet dont nous nous occupons, ce que c'est que le mastodonte, l'iodure de potassium, le bois de campêche, la gutta-percha, n'importe quelle curiosité littéraire ou scientifique, tous se feraient gloire de savoir te répondre. Mais leur demander des nouvelles des sacramentaux, quelle est leur origine, leur utilité, leur efficacité, leur nombre : c'est parler grec ou sanscrit. Essayons de parler français.

1. Qu'entend-on par les sacramentaux ? - On entend des actes extérieurs de religion, consacrés par l'Église et qui ont la vertu de produire des effets surnaturels. Ils sont appelés sacramentaux, ou voisins des sacrements, soit parce que les uns sont employés dans l'administration des sacrements, soit parce que tous participent en quelque manière à la vertu des sacrements, en nous faisant une application spéciale des mérites infinis du Rédempteur (1).

 

(1) Sacramentalia sunt actus externi religionis ad colendum Deum accommodati. (S. Alph., Theol. moral., lib. VI, tract. 1, n. 90.) - Sacramentalia autem sic appellantur vel ex eo quod soleant adhiberi ad sacramenta conficienda, vel ex eo quod aliquando sequantur et imitentur virtutem sacramentorum. (Ferraris, Biblioth. etc. Verb. Peccatum, n. 53.)

 

Cette définition pourrait être plus développée; mais je veux être court, et je passe.

 

2. Quelle est l'origine des sacramentaux ? - S'il s'agit de l'origine historique, les sacramentaux remontent aux temps apostoliques et même au delà. Tu le verras bientôt, lorsque le moment sera venu de les nommer. Quant à l'origine de la vertu qu'ils possèdent, il faut la chercher dans l'Église. Je viens de le dire, en appelant les sacramentaux des actes consacrés par l'Église elle-même. La preuve en est qu'ils n'ont pas été établis immédiatement par Notre-Seigneur. En effet, sur l'institution immédiatement divine des sacramentaux, l'Écriture et la tradition catholique sont muettes. Leur efficacité n'en est pas moins réelle, attendu que l'Église a reçu plein pouvoir de la leur communiquer. C'est un point de doctrine que nous établirons demain, au plus tard (1).

 

3. Quelle est l'utilité des sacramentaux ? - L'utilité des sacramentaux réside dans les effets qu'ils produisent. On en compte cinq : 1° la rémission du péché véniel ; 2° la rémission des peines temporelles dues au péché ; 3° l'expulsion des démons ; 4° la guérison des maladies ; 5° l'éloignement des fléaux qui menacent notre vie ou nos biens, et la liberté sous l'empire du Saint-Esprit (2). Tu sauras cependant que chacun des sacramentaux ne produit pas ces cinq effets, mais seulement ceux que l'Église a déterminés en l'instituant. Le privilège de l'eau bénite est de les produire tous. Quelle puissance dans ces moyens, en apparence si petits !

 

(1) Sacramentalia non fuerunt instituta immediate a Christo ; id enim neque ex sacra Scriptura, neque ex traditione colligi potest ; ergo instituta sunt ab Ecclesia, cui certum est collatam fuisse a Christo hanc potestatem. (Quarti, De Benedict., tit. I, sect. IV, dubitat. 1.)

(2) Ex sacramentalibus provenire fidelibus quinque praesertim effectus : 1° remissio peccatorum venialium; 2° collatio gratiarum excitantium seu prævenientium ; 3° remissio pœnarum ; 4° expulsio vel compressio da monum. 5° operatio sanitatum et similium donorum temporalium, ut communiter tradunt doctores.

... Non quod singula sacramentalia omnes effectus prædictos operentur, sed aliquos ex illis, plures vel pauciores, secundum Ecclesiæ institutionem; quod ex formulis singularum benedictionum et ex ritibus ac precibus, quibus constant, colligendum est. (Quarti, De Benedict. in gen., sect. V, dubitat. II, p. 98.)

 

Elle est telle que je vois d'ici tous les manipulateurs de la matière, tous les maîtres en équation sourire de notre crédulité, en nous entendant attribuer à des infiniment petits, des effets extraordinaires et, à leurs yeux, sans proportion avec la cause qui les produit. Il y a dix-sept siècles qu'ils disaient la même chose, car leur race est ancienne. Tertullien leur répondait : «Vous n'êtes pas heureux dans vos objections. Vous vous heurtez aux deux attributs de Dieu les plus incontestables : la simplicité et la puissance. N'est-ce pas le signe caractéristique d'une grande puissance, de produire de grands effets avec de petits moyens ? Simplicité dans la cause et fécondité dans le résultat : cachet de l'oeuvre divine (1). »

Et puis, ils ne voient pas que la matière elle-même, dont ils se flattent de tenir tous les secrets, nous fournit en abondance des armes pour les battre. Son histoire peut s'appeler : l'histoire des petites causes produisant de grands effets.

Quoi de plus petit que la poudre à canon ? Et ce peu de poussière, tantôt met en déroute les plus gros bataillons, tantôt fait voler en éclats les remparts les plus solides.

Quoi de plus petit que la boussole ? Et ce petit morceau de fer aimanté produit toutes les merveilles de la navigation moderne, et relie entre eux tous les peuples de la terre.

Quoi de plus petit que ces morceaux de verre appelés télescopes ? Et avec ces fragiles instruments l'homme parcourt l'immensité des cieux, en compte les globes, mesure leur volume et décrit leur course.

 

 

(1) Nihil adeo est quod obduret mentes hominum quam simplicitas divinorum operum quæ in acte videntur, et magnificentia que in effectu repromittitur. Proh ! misera incredulitas quæ denegas Deo proprietates suas : simplicitatem et potestatem, etc. (Lib. de Baptism., c. I )

 

Que dirons-nous encore ? Quoi de plus petit que la vapeur ? Et ces quelques gouttes d'eau dilatées font mouvoir des masses énormes et les emportent au loin avec la rapidité de l'oiseau.

Quoi de plus petit que l'électricité ? Et cette étincelle impalpable efface toutes les distances et donne à l'homme une sorte d'ubiquité.

Quoi de plus petit qu'une mouche ? et dans une mouche quoi de plus petit que son dard ou sa trompe ? et dans ce dard quoi de plus petit que la gouttelette de venin qu'il distille ? Et cette gouttelette imperceptible tue en quelques heures l'homme le plus vigoureux. Et vous refusez à Dieu ce que vous reconnaissez à une mouche ! Si l'infiniment petit peut tuer, pourquoi l'infiniment petit ne pourrait-il pas guérir, et cela aussi bien dans l'ordre moral que dans l'ordre physique ?

Dans les cas d'épidémie, le mystère est encore plus grand. Comment des tomes impalpables, insaisissables, peuvent-ils en quelques semaines dépeupler des villages, décimer des villes, ravager des provinces entières ?

Pour passer à un autre ordre de phénomènes : quoi de plus faible que la parole ? un peu d'air extérieur mis en mouvement par celui qui sort de mes lèvres. Et dans cet air, devenu le véhicule de la pensée de l'homme, quelle puissance terrible ! Nous voici sur les champs de bataille de Marengo, d'Austerlitz ou de la Moskowa : Des masses innombrables d'hommes sont en présence, mais immobiles. Tout à coup, un peu d'air, sorti de la bouche de Napoléon, forme ce mot : En avant ! Au mouvement de cet air qui vient frapper leurs oreilles, ces milliers d'hommes fondent les uns sur les autres, la terre tremble, le sang coule à flots, des montagnes de morts couvrent le sol, un empire est perdu ou gagné. Et Dieu ne pourrait pas communiquer aux agents qu'il pénètre de sa parole, la vertu de produire des effets encore plus surprenants !

Aux yeux de la simple raison, la possibilité des effets attribués aux sacramentaux est donc inattaquable. La réalité ne l'est pas moins ; tu le verras dans ma première lettre.

 

Tout à toi.

 

 

QUATRIÈME LETTRE.

Ce 29 septembre.

 

EFFICACITÉ DES SACRAMENTAUX. - TROIS PREUVES: L'ENSEIGNEMENT DES THÉOLOGIENS. - PAROLES DE QUARTI. - LA PRATIQUE DE L'ÉGLISE. - PRATIQUE PERMANENTE ET UNIVERSELLE, PAR CONSÉQUENT BIEN FONDÉE. - LES FAITS. - EXCELLENCE DE CETTE PREUVE. - ELLE SERA DONNÉE PLUS, TARD.

 

4° Quelle est l'efficacité des Sacramentaux ? J'aurais pu, cher ami, me dispenser de proposer cette question. Catholique, tu sais, et il te suffit de savoir, que les sacramentaux produisent bien réellement leurs magnifiques effets. Cependant, comme un peu de science théologique ne saurait nuire, même à un habitué du Collège de France , je vais, en quelques lignes, satisfaire ta légitime curiosité.

Trois preuves principales établissent l'efficacité des sacramentaux : l'enseignement des théologiens, la pratique de l'Église, les faits.

L'enseignement des théologiens. Si, depuis mille ans et au delà, tous les historiens du monde étaient d'accord sur un point d'histoire, comment trouverais-tu l'ignorant, vieux ou jeune, qui viendrait nier le fait admis, ne donnant d'autre preuve de sa négation que sa négation elle-même ? Tu le trouverais digne, non de mépris, car le mépris de l'homme pour l'homme n'est pas chrétien, mais de pitié. S'il cherchait à appuyer sa négation sur des objections improvisées, tu lui dirais : Les objections improvisées sont les feux follets de la discussion. Elles n'ont pas de consistance; un peu de réflexion les fait évanouir, comme un peu de chaleur fait fondre la neige. Frottez-vous les yeux et vous verrez.

S'il recourait au Je ne puis croire, fin de non-recevoir vieille comme Hérode et honorable comme lui, tu lui dirais : Vous ne pouvez pas croire ! cela ne prouve qu'une chose, c'est que vous ne pouvez pas. Au moral comme au physique, l'impuissance est une faiblesse, une infirmité. Loin d'être un argument pour vous, c'est un argument contre vous. Dans le cas dont il s'agit, elle prouve que vous manquez de la puissance de conception des grands génies de l'Orient et de l'Occident, qui tous ont compris, admis et enseigné l'efficacité des sacramentaux, qui la comprennent encore, qui l'admettent et qui l'enseignent.

Aurait-il retenu, de quelque lecture ou de quelque conversation, certaine difficulté renouvelée des Grecs ? Tu le prierais de te la dire, et tu ne serais pas embarrassé d'y répondre. S'il en était autrement, tu lui conseillerais d'ouvrir à la première page, le premier livre du premier historien qui a élucidé le fait, certain d'y trouver l'objection réduite à néant. Tant pis pour lui s'il était arrêté par ce qui n'a pas arrêté les plus puissants esprits.

L'aigle emporte la toile d'araignée, la mouche seule s'y laisse prendre. Traiter celui qui nie l'efficacité des sacramentaux, comme le négateur impertinent d'un fait historique admis par toute la science, c'est la voix du bon sens et la loi de l'équité. En effet, l'efficacité des sacramentaux est un point de l'enseignement catholique, sur lequel tous les théologiens sont d'accord. Si je t'écrivais un traité de théologie, je rapporterais les paroles d'un grand nombre d'illustres docteurs. Je cite au moins leurs noms : c'est à dessein. D'abord, dans le monde que tu habites, toi et bien d'autres, ces grands hommes sont moins connus que les plus minces philosophes grecs, Diogène, Anaxagoras, ou même que les oies du Capitole. En outre, si jamais, ce que j'espère, tu veux faire plus ample connaissance avec eux, tu sauras comment les demander (1).

 

(1) Voici la liste alphabétique d'un certain nombre de théologiens qui ont traité des sacramentaux : Azor, p. I, lib. IV, c. II, q. 4 ; Bellarmin, de Eccles. Triumph., lib. III, c. VII; de Sacrament., lib. II, c. XXXI; de Imaginib., lib. II, c. XXX; Bona, de Rebus liturgicis, passim; Collin, Traité du pain bénit et de l'eau bénite; Coninck, de Sacramentis, q. 71, art. III ; Delrio, Disquisitio magica, lib. VI, c. III; Droit canon, de Quotidianis, de Tunsione pectoris, de Sacra unctione; Durand, Rationale divin. officior. verb. Aqua bened., etc ; Duranti, de Ritibus Ecclesice, passim ; Ferraris, Bibliotheca, etc., verb. Sacrament. Peccat. Aqua Bened.; Fillucius, t. I, tract. VI, c. V, n. 129; Liguori (S. Alphonse de), Selva, t. I, p. 116, édit. in-18 ; Theolog. moral., lib. VI, tract. I, n. 90; Marsilius Columna, de Hydragiologia, sect. III, c. II ; Quarti, de Benedictionib., passim; Reifenstuel, Theolog. moral., tract. III, dist. 2, q. 3, n. 34 ad 39; Sporer, t. III, Theolog. sacrament., p. III, c. I, sect. IV, n. 45 ; Suarez. t. III, q. LXV, disput. 15; sect. I; Tobias, apud Quarti, de Benedict. p. IV, tit. XIX, p. 492, édit. in-fol. ; Thomas (S.); 3. p. q. 87, art. VIII; Thomas Valdensis, t. III, de Sacrament.; Tyræus, de Dæmoniacis, n. 615; Turrecremata. Tract. de Aqua benedict.; Valentia, t. IV, disput. VII, q. 4, punct. I ; Viguierius, Institut. theol., verb. Sacramental., etc., etc.

 

Toutefois, ne voulant pas être cru exclusivement sur parole, il me semble bon de laisser parler quelques-uns des maîtres de la science sacrée. Voici d'abord saint Augustin qui n'hésite pas à reconnaître au Pater la vertu d'effacer les péchés véniels. « Quant aux fautes de tous les jours, dit-il, légères et de courte durée, inévitables dans cette vie, l'Oraison dominicale les efface entièrement (1). »

Il ajoute ce gracieux conseil : Puisque nous péchons tous les jours, baptisons-nous tous les jours. Ce qu'il dit du Pater, il le dit de l'aumône (2).

 

(1) De quotidianis autem brevibus levibusque peccatis, sine quibus hæc vita non ducitur, quotidiana fidelium oratio satisfacit. Eorum est enim dicere : Pater noster qui es in ccelis, qu jam patri tali regenerati sunt ex aqua et Spiritu. Delet omnino hæc oratio minima et quotidiana peccata. Enchiridion, etc., c. LXXI, opp. T. VI, 382, etc.

(2) Ibid

 

De saint Augustin, je passe à saint Thomas, son illustre disciple ; mais, réflexion faite, je te réserve son témoignage lorsque nous parlerons de l'eau bénite.

Dès aujourd'hui tu peux le pressentir, en écoutant sa doctrine sur les exorcismes, qui rentrent aussi dans l'ordre des sacramentaux. « Saint Augustin, dit-il, s'exprime ainsi : On fait des insufflations et des exorcismes sur les enfants, afin de chasser le démon dont la puissance ennemie a trompé l'homme. Or, rien ne se fait en vain dans l'Église; donc ces insufflations et ces exorcismes opèrent ce qu'ils signifient (1). »

Il serait aisé de suivre, jusqu'à nos jours, la chaîne de l'enseignement traditionnel ; mais ce travail nous conduirait trop loin. Je termine par les paroles d'un des commentateurs les plus autorisés de la liturgie : elles résument toute la doctrine. « Il est certain, dit Quarti, que dans l'administration des sacrements, et sans toucher à leur substance, l'Église a reçu de son divin fondateur le pouvoir d'établir des cérémonies, des rites et des prières, selon qu'elle le jugerait convenable, soit au respect des sacrements, soit à l'utilité des fidèles : c'est la doctrine expresse du concile de Trente. Or, qu'elle ait attribué à ces cérémonies ou à ces sacramentaux, les effets que nous avons indiqués, la preuve en est dans les formules mêmes dont elle se sert pour les instituer. « De plus, dans ces formules, l'Église demande à son divin époux d'appliquer ces effet aux fidèles en vertu des sacramentaux. Il faut donc tenir pour certain que ces effets sont vraiment appliqués. La raison en est que les prières de l'Église sont efficaces devant Dieu ; et il serait impie de penser qu'en ce point l'Église est trompée, ou conduite par une vaine superstition. Tel est l'enseignement des docteurs (2).»

 

(1) Aug. dicit in Libro de Symnbolo, Parvuli exsulflantur et exorcisantur, ut pellatur ab eis diaboli potestas inimica, quæ decepit hominem. Nihil autem agitur frustra in Ecclesia. Ergo per hujusmodi exsufftationes hoc agitur ut potestas dæmonum expellatur. 3 p., q. 71, art. III.

(2) Ecclesiæ certum est collatam fuisse a Christo hanc potestatem, videlicet ut in dispensatione sacramentorum, salva eorum substantia, ea statueret quæ vel sacramentorum venerationi, vel utilitati fidelium magis expedire judicaret, sicuti expresse habetur ex concilio tridentino. De Benedict., titr. I, sect. I, dubit. 1. - Quod autem (Ecclesiæ) attribuerit (sacramentalibus) effectus explicatos, colligitur manifeste ex formulis, quibus eadem sacramentalia conficiuntur. Item in formulis prædictis Ecclesia precatur a Deo effectus prædictos suis fidelibus conferendos ex vi sacramentarum. Ergo asserendum est vere conferri, quia orationes Ecclesiæ sunt efficaces apud Deum ; et impium esset opinari in hac re ipsam Ecclesiam vel falli, vel vanitate duci. Ita doctores. Vid. S. Th., 3 p., q. 87, art. III. - Ibid., de Benedict., sect. V, dubit. 2.

 

La pratique de l'Église. Si l'enseignement des théologiens avait besoin d'une confirmation, il la trouverait dans l'usage que l'Église n'a cessé de faire des sacramentaux. Combien pourrais-tu nommer d'actes du culte public, dans lesquels l'Église ne fasse entrer quelques-uns des sacramentaux, le Pater, par exemple, et surtout l'eau bénite ? Ce que tu Lui vois faire aujourd'hui, elle le faisait il y a dix-huit cents ans. Elle le faisait avant les hérétiques et les impies, contempteurs de ses rites vénérables ; elle l'a fait depuis que la tombe a dévoré leurs cadavres et l'histoire livré leurs noms à l'ignominie : elle le fera toujours. Immuable, parce qu'elle est divinement inspirée, sa conduite est la même sur tous les points du globe. En Asie, en Afrique, en Océanie, en Amérique se pratique, et de la même manière, ce qui se pratique en Europe et à Rome.           Non seulement l'Église fait usage des sacramentaux, mais elle exhorte tous ses enfants à y recourir. Sa voix est entendue. D'un bout du monde à l'autre, tu verras les vrais chrétiens employer, depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, ces puissants moyens de préservation ou d'expiation. Dans toutes leurs demeures tu trouveras de l'eau bénite ; et dans toutes les familles, l'usage journalier de l'Oraison dominicale et du Confiteor.

Si les sacramentaux étaient des signes vides, je veux dire si une bonne oeuvre accomplie sans eux ou avec eux avait le même prix et la même efficacité, quelle serait leur raison d'être ? Pourquoi, de la part de l'Église, une pratique si constante et si universelle ? Pourquoi des exhortations si vives et si souvent réitérées ? Croire que la dépositaire infaillible des enseignements divins, la mère des nations civilisées, s'amuse à pratiquer et à patronner des usages sans vertu, serait plus que de la stérilité, ce serait de la démence.

Il faut donc reconnaître qu'il en est des sacramentaux, et de l'eau bénite en particulier, comme du signe de la croix. Indépendamment des dispositions de ceux qui en font usage, ils possèdent une vertu propre, capable de produire leurs effets. Ainsi, Julien l'Apostat chasse le démon en faisant le signe de la croix, auquel il ne croit pas.

Les faits. Tu as lu que dans de grandes batailles, pour décider une victoire longtemps disputée, on fait avancer la réserve. Il en est de même dans les combats de la vérité contre l'erreur. La réserve de la vérité ce sont les faits. Accessibles au sens, ils présentent une force devant laquelle la science la plus hostile est contrainte de se rendre ou de périr dans l'absurde. Pour croire à l'efficacité des sacramentaux, il en est qui ne se contentent ni de l'enseignement de la théologie, ni de l'autorité de l'Église. Ils veulent des faits : ils en auront. Afin de ne pas anticiper, je me contente aujourd'hui de les promettre.

 

Tout à toi.

 

 

CINQUIÈME LETTRE.

Ce 30 septembre.

COMMENT LES SACRAMENTAUX PRODUISENT LEURS EFFETS. - DIFFÉRENCE DE SENTIMENTS PARMI LES THÉOLOGIENS. - RAISON DE CETTE DIFFÉRENCE. - EXPLICATION DE CES MOTS DE LA LANGUE THÉOLOGIQUE EX OPERE OPERATO, EX OPERE OPERANTIS. - PAROLES DES CARDINAUX DE TURRECREMATA ET BELLARMIN. - CONCILIATION DES DIFFÉRENTS SENTIMENTS. - PAROLES DE FERRARIS. - NOMBRE DES SACRAMENTAUX. - SAGESSE DE L'ÉGLISE ET BONTÉ DE DIEU DANS L'INSTITUTION DES SACRAMENTAUX.

 

L'efficacité des sacramentaux mise hors de discussion, il reste à savoir, mon cher ami, de quelle nature est cette efficacité, en d'autres termes, comment les sacramentaux opèrent leurs effets.

Sur cette question secondaire les théologiens ne sont pas unanimes. Il n'y a rien là qui doive nous étonner. Chaque jour, depuis plusieurs années, n'apprends-tu pas que, dans le domaine de la nature, les princes de la science profane, tout en reconnaissant, à l'unanimité, la certitude d'un phénomène, ne s'accordent pas toujours, il s'en faut, sur la manière dont il se produit ? Je ne leur en fais pas de reproche. La nature a ses mystères. Nous connaissons les faits naturels, nous les voyons de nos yeux, nous les touchons de nos mains; mais presque toujours le comment nous échappe.

De là, ce mot de Montaigne : Nous ne savons le tout de rien. Par parenthèse, ce mot me plaît infiniment. J'y trouve tout un Traité de Modestie, que l'Université ferait bien d'adopter à l'usage des grands et des petits raisonneurs, dont foisonnent aujourd'hui les cabinets ministériels, les assemblées délibérantes, les bureaux du journalisme, les congrès prétendus scientifiques, les bancs des écoles, les cafés des villes et même les cabarets de village.

Ainsi, nul ne peut nier l'attraction polaire de l'aiguille aimantée. Mais le comment et le pourquoi de cette attraction ? Si tu le demandes aux astronomes et aux physiciens de l'ancien et du nouveau monde : bouche close sur toute la ligne.

La religion aussi a ses mystères. Nul doute raisonnablement possible sur la réalité de nos faits religieux, pas plus que sur les phénomènes physiques. Mais ici, comme ailleurs, le comment et le pourquoi demeurent souvent inconnus. De la, parmi les maîtres de la science sacrée, divergence de sentiments. Pour en citer un exemple : tous les théologiens reconnaissent l'efficacité des sacramentaux ; mais de savoir quelle est la nature ou l'origine de cette efficacité ; sur cette question l'accord disparaît. Les uns prétendent que les sacramentaux produisent leurs effets par euxmêmes ex opere operato ; les autres, seulement en vertu des dispositions de celui qui en fait usage, ex opere operantis. Chaque science a ses termes techniques. Expliquons d'abord ces deux mots de la reine des sciences, la théologie.

Elle enseigne qu'une chose opère son effet ex opere operato, c'est-à-dire par sa propre vertu, lorsqu'il suffit de la réaliser pour que l'effet soit infailliblement produit. Ainsi, au sacrifice de la messe, il suffit que le prêtre prononce les paroles de la consécration sur une matière valide, pour que la transsubstantiation ait lieu. Il en est de même des autres sacrements ; quel que soit le ministre, juste ou pécheur, le sacrement existe.

Elle enseigne qu'une chose opère son effet ex opere operantis, c'est-à-dire en vertu des dispositions de celui qui en fait usage, lorsque cette chose ne possède pas une vertu propre, capable de produire l'effet désiré, mais que cet effet dépend des dispositions de celui qui le recherche. Tel est le premier sens de ces mots ex opere operato, ex opere operantis.

Ils en ont un autre plus intime et plus beau. Le voici : d'où vient à une chose, à une action, la force intrinsèque de produire infailliblement son effet ? La théologie répond : elle lui vient d'une œuvre faite ou accomplie, ex opere operato. Quelle est cette œuvre ? C'est l'institution de Notre-Seigneur Jésus-Christ, son infaillible promesse, ses mérites qui ont communiqué à cet acte la vertu dont nous parlons. Or, toutes ces choses sont des œuvres déjà faites ou accomplies, faites et accomplies d'une manière irrévocable.

Si l'action ne produit son effet qu'à raison du mérite de celui qui l'accomplit actuellement, la théologie dit qu'elle le produit en vertu de l'œuvre de celui qui agit, ex opere operantis. La raison en est que la grâce est conférée seulement à cause de la dévotion de la personne qui accomplit cet acte (1).

 

(1) Conferre gratiam ex opere operato est conferre gratiam ex vi ipsius actionis sacramentalis exhibitæ suscipienti, consideratæ scilicet secundum dignitatem et efficaciam, quam habet ex institutione facta a Christo, sine ullo respectu vel dependentia ad merita, vel dignitatem illius, qui eam actionem exercet. Et dicitur ex opere operato, quia ob infallibilem promissionem divinam ea gratia confertur ex meritis Christi, ac virtute passionis suæ, quæ jam sunt opus operatum. E contra causare gratiam ex opere operantis est, solum ratione meriti et dispositionis illius, qui talem actionem exercet, conferre gratiam. Et dicitur ex opere operantis; quia ea gratia confertur propter propria merita, devotionem, actusque virtuosos ipsius hominis operantis. Ferraris, Biblioth., verb. Sacrant., art. XI, n. 9.

 

Tu vois par ce petit échantillon que les termes techniques de la vraie théologie scolastique ne sont ni aussi vides de sens, ni aussi barbares qu'on l'a prétendu.

Maintenant tu vas voir que la divergence dont nous parlons est plus apparente que réelle. S'agit-il de la vertu propre, attribuée aux sacramentaux ? voici en quel sens on doit l'entendre. Laissons parler le savant cardinal de Turrecremata : « Quand les théologiens disent que les sacramentaux opèrent leurs effets ex opere operato, ce n'est pas qu'ils reconnaissent dans les sacramentaux une vertu naturelle ou surnaturelle et résidant en eux comme dans son sujet ; mais bien une vertu divine qui leur est communiquée par un décret ou engagement de la divine miséricorde.

« Si on leur demande en quel endroit de l'Écriture, on trouve que Dieu a pris un tel engagement avec l'Église ou rendu un pareil décret, ils répondent : Là, où le Seigneur dit aux apôtres : Celui qui vous écoute m'écoute; et : je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds toute la puissance de l'ennemi ; là aussi, il a donné à l'Église le pouvoir de faire, en disant ce qu'il a établi pour cela, que lui-même accomplit ce qu'elle désire, par exemple chasser les démons ou autre chose semblable (1). »

Un autre cardinal, le célèbre Bellarmin, abonde dans le même sens. Après avoir établi l'efficacité de l'eau bénite pour effacer les péchés véniels et justifié l'usage d'employer les choses consacrées par l'Église, en vue d'obtenir des effets surnaturels (2), il ajoute : « De même que le sang de Jésus-Christ est appliqué par le baptême et par le sacrement de pénitence pour effacer tous les péchés ; ainsi, il est appliqué par les sacramentaux et par l'oraison dominicale, pour effacer les péchés véniels dans celui qui est en état de grâce (3). »

En conséquence, il reconnaît à l'Église le pouvoir d'instituer de nouvelles cérémonies, comme les exorcismes, l'eau bénite, etc., non pour justifier le pécheur, mais pour opérer d'autres effets spirituels par l'application des mérites de Jésus-Christ, de telle sorte qu'elles produisent ces effets ex opere operato, comme les sacrements justifient ex opere operato.

« En effet, dit-il, il est hors de doute que Notre-Seigneur a mérité à son Église non seulement la grâce, mais encore tous les autres bienfaits qui peuvent lui être utiles. Afin de produire la grâce et la justification du pécheur, il a institué lui-même les sacrements par lesquels ses mérites sont appliqués. Dès lors, il n'est plus permis d'instituer d'autres signes pour produire cet effet principal. Quant aux bienfaits de moindre valeur, il a laissé à l'Église le pouvoir d'établir des signes capables de les produire par l'application de ses mérites (4). »

 

(1) Respondent quod ibi ubi Dominus inquit apostolis (Luc., X), qui vos audit me audit; et, dedi vobis potestatem calcandi supra omnem virtutem inimici, hanc Ecclesiæ sue dedit potestatem, ut, quando dicent illud quod per eum ad hoc institutum est, Deus faciat illud, ut puta arceat potestatem dœmonis vel hujusmodi. Tract. de Aqua benedict. In-18.

(2) De imaginib., lib. II, c. XXX.

(3) De Eccles. triumph., 1ib. III, c. VII.

(4)... Esse probabile posse Ecclesiam instituere novas coeremonias, ut exorcismos, aquam benedictam, etc., non quidem ad justificandum impium, sed ad alios effectus spirituales, per applicationem Christi meritorum ; ita ut ex opere operato illos effectus producant, quomodo sacramenta ex opere operato justificant. Christus enim sine dubio meruit Ecclesiæ suæ non solum gratiam, sed etiam omnia alia beneficia quæ illi utilia esse possunt. Et quidem ad gratiam et justificationem impii consequendam, instituit ipse sacramenta quibus applicantur ipsius merita; non licet jam alia signa instituere ad effectum illum principalem. Ad alia beneficia minora reliquit Ecclesiæ potestatem, ut institueret signa, quibus applicantur ipsius merita. Ibid., vid. etiam Azor, p. 1, lib. IV, c.II, q. 4.

 

Les théologiens qui prétendent que les sacramentaux opèrent leurs effets seulement ex opere operantis, expriment ainsi leur pensée. « Si les sacramentaux, disent-ils, ne possèdent pas une vertu intrinsèque, dans le sens qui vient d'être expliqué, ils tirent néanmoins leur efficacité principalement de la foi de l'Église, par manière de mérite, de prière et de suffrage. Je dis de toute l'Église, et non pas seulement à cause de la ferveur et de la dévotion particulière de ceux qui les emploient. Or, il ne faut pas compter pour peu de chose la foi de toute l'Église, ses mérites et ses prières (1). »

 

(1) Alii dicunt ex opere operantis, scilicet ex fide Ecclesiæ per modum meriti, orationis et suffragii, opere, dito, operante totius Ecclesiæ et non ex solo fervore et devotione utentium, ut dicit Petrus de Palude in 3 : non est parvipendenda fides totius Ecclesiæ, meritum ejus et preces. Turrecremata, De Aqua bened., c. VI.

 

De l'exposé des deux sentiments il suit que, sans avoir la prétention de décider entre les maîtres de la science, nous pouvons dire avec le théologien romain, Ferraris, et tu peux croire que les sacramentaux opèrent leurs effets partie par eux-mêmes ex opere operato, partie en vertu des dispositions de celui qui les emploie, jointes aux prières de l'Eglise, ex opere operantis. « C'est, dit-il, l'opinion d'un très-grand nombre parmi les plus graves docteurs que l'eau bénite (par conséquent les autres sacramentaux) produit ses effets par sa propre vertu ex opere operato. Mais cela seulement d'une manière éloignée et indirecte, en ce sens que par les prières de l'Église unies aux sacramentaux, lorsque nous en faisons pieusement usage, Dieu, non pas infailliblement, est excité à former en nous les salutaires mouvements, auxquels est attachée la rémission des péchés véniels (1). »

 

Du reste, laisse-moi te le redire : que le comment nous échappe, l'effet des sacramentaux n'est pas moins certain, et ta confiance ne doit pas être moins entière. Ai-je besoin de savoir comment l'aiguille aimantée gravite vers le nord, pour être assuré qu'elle y gravite ?

5° Quel est le nombre des sacramentaux ? - On en compte sept principaux, autant que de sacrements : Le Pater, l'Eau bénite, le Pain bénit, le Confiteor, l'Aumône, la Bénédiction de l'évêque, la Bénédiction du prêtre à la messe, surtout avec le saint Sacrement (2).

Outre les effets propres à chacun, tous ont la vertu d'effacer les péchés véniels. Si nous ajoutons qu'il existe dans l'Église beaucoup d'autres moyens, doués de la même efficacité, tu conviendras qu'il ne faudrait avoir dans le cœur ni gratitude ni confiance, pour ne pas nous sentir heureux d'être les enfants d'un père si facile à pardonner.

 

(1) Quod aqua benedicta ex opere operato deleat peccata venialia est plurimorom et quidem gravissimorum opinio, etc. Biblioth. verb. Aqua bened., n. 5. - Per sacramentalia remittuntur peccata venialia ex opere operato, remote tamen et mediate, quatenus nempe per preces Ecclesiæ junctas rebus sacramentalibus, dum iis pie utimur, movetur Deus, etsi non infallibiliter, ut in nobis excitet pios illos motus, quitus adnexa est remissio venialium; partim ex opere operantis, quantum homo iis sacramentalibus pie utitur in remedium ac remissionem peccatorum suorum, cum piis motibus displicentiæ peccatorum, conversionis in Deum, amoris, adorationis et hujusmodi. Id.,verb. Peccatum, n. 52.

(2) A ceux-là peuvent se rapporter tous les autres : Communiter enumerantur sex, ad quæ cætera reducuntur, et continentur sequenti versiculo : Orans, Tinctus, Edens, Confessus, Dans, Benedicens.

Le Benedicens en renferme deux : Benedictio episcopi. et quidem etiam sacerdotis in glissa, et præsertim cum venerabili Sacramento. Ferraris, ibid., v. Peccato, n. 52.

Benedictio episcopalis, dit S. Thomas, aspersio aquæ benedictæ, quælibet sacramentalis unctio, oratio in ecclesia dedicata, et si aliqua alia sunt hujusmodi, operantur ad remissionem venialium peccatorum. 3 p., q. 87, art. III, cor.

 

Le concile de Trente est encore plus libéral : Venialia quibus a gratia Dei non exciudimur, sed in quæ frequentius labimur, quanquam recte et utiliter citraque omnem prœsumptionem in confessione dicuntur, quod piorum hominum usus demonstrat, taccri tamen titra culpam, multisque aliis remediis expiari possunt. Conc. trid., Sess. XIV, c. XV.

Avant de quitter les sacramentaux en général, je voudrais, mon cher Frédéric, t'en faire connaître le prix. Pour cela, il me suffit de répondre à la question suivante : qu'est-ce que le monde, et surtout le monde actuel ? Le monde actuel est un champ de bataille ; un hôpital ; un dépôt de mendicité.

 

1° Un champ de bataille. Oui, et à tous les points de vue. Promène tes regards sur la face du globe. On tue en Europe ; on tue en Asie; on tue en Chine, en Cochinchine ; on tue aux Indes; on tue en Afrique ; on tue en Amérique, du nord au midi : on tue partout. Mais ce n'est pas du carnage des corps que je veux parler, c'est du carnage des âmes. Sous ce rapport en particulier, le monde actuel est un champ de bataille, mais de bataille générale, acharnée, incessante, et telle qu'on n'en a pas vu depuis l'établissement du christianisme.

Dans les grandes guerres on appelle sous les drapeaux tous les hommes valides, depuis l'adolescence jusqu'à la vieillesse. On tire des arsenaux les armes de tout genre, les munitions de toute qualité. Sur l'ordre des chefs, toutes les troupes se réunissent, et, au signal donné, elles tombent sur l'ennemi pour l'écraser. Puis, c'est le carnage, le pillage, la dévastation, l'incendie, la désolation.

Ai-je besoin de te le rappeler ? voilà ce que fait aujourd'hui le démon contre la Cité du bien. Écoute ce qui se dit, lis ce qui s'écrit, vois ce qui se passe, songe à ce qui se prépare, et dis-moi si Satan n'a pas appelé, sous ses étendards, le ban et l'arrière-ban de ses soldats ? s'il ne les a pas recrutés dans tous les âges et dans toutes les conditions ? s'il n'a pas vidé ses arsenaux et lancé contre l'Église ses multitudes armées de toutes pièces ? Blasphèmes inouïs, impiétés sans exemple, scandales retentissants, calomnies, dérisions, mensonges, perfidies, violences morales, et violences matérielles : toute la mitraille de l'enfer tombe sur nous, comme la grêle sur les champs dans un jour d'orage. C'est au point qu'on se demande ce qu'il reste à dire ou à faire contre l'Église, excepté de la clouer, comme son divin fondateur, à la croix qu'on lui prépare.        Dans cette situation que devons-nous faire, toi, moi, et le chrétien qui veut rester chrétien ? Recourir à tontes les armes que la Providence met à notre disposition. Il y a trois ans, j'essayai de retirer de l'arsenal, où il gisait, abandonné d'un grand nombre, le signe de la croix. Il fut reconnu pour une arme excellente. C'est à tel point que le chef du combat, le souverain Pontife, a dit au monde entier de recourir immédiatement à cette arme victorieuse et d'en faire le plus fréquent usage.

Aujourd'hui, je voudrais tirer du grand arsenal catholique, les autres armes que nous y laissons dormir. Ces armes sûres et que le conscrit peut manier aussi bien que le vieux soldat, sont les sacramentaux, et l'eau bénite en particulier : première raison de t'en parler.

2° Un hôpital. Le roi de l'éloquence, saint Jean Chrysostome, nommé, malgré lui, patriarche de Constantinople, excitait son zèle en se représentant son diocèse comme un vaste hôpital, rempli de malades dont il était devenu le médecin. Au point de vue des maladies de l'âme, qu'est-ce que le monde actuel ? C'est l'HôtelDieu, c'est Bicêtre, c'est la Salpêtrière, c'est Charenton, c'est une immense maison de santé.

Et nous, mon cher ami, nous qui vivons au milieu de ce monde, atteint de maladies contagieuses; nous enfants des martyrs, et descendants des grands chrétiens des siècles de foi ; nous dont la vocation est d'être des saints, que sommes-nous ? regardons-nous de près. A la lumière de l'Évangile et des engagements du baptême, relisons les unes après les autres toutes les pages de notre vie. Examinons toutes les facultés de notre âme, tous les sens de notre corps, et voyons s'il serait inexact de dire avec le prophète : Depuis la plante des pieds, jusqu'au sommet de la tête, il n'y a rien de sain en moi. Comme ces malheureux, atteints de maladies cutanées, je me vois couvert de taches, de dartes, de pustules qui me défigurent ; car tout en moi est dissipation d'esprit, préoccupation des bagatelles du temps, inconstance, pesanteur, insensibilité pour Dieu, dégoût, tiédeur : en un mot, sans être mort, je suis malade.

Nous sommes malades ! à qui la faute ? Te souviens-tu du douloureux étonnement que Dieu manifestait, un jour, en voyant son peuple couvert des ulcères du péché ? « Je suis profondément affligé, disait-il, je suis stupéfait de te voir en cet état. N'y a-t-il donc plus de résine en Galaad ? N'y a-t-il plus de médecin ? Pourquoi tes plaies ne sont-elles pas cicatrisées ? (1)»

Et nous, vrai peuple de Dieu, nous sommes couverts de la lèpre du péché véniel, couverts peut-être de la tête aux pieds, objet repoussant pour notre Père céleste. N'y a-t-il donc plus de résine en Galaad ? Sans doute il y en a. Nous avons sous la main des remèdes souverains, gratuits et de l'application la plus facile. Ces remèdes sont les sacramentaux : seconde raison de t'en parler.

Remarque ici la bonté maternelle de la Providence. Être armé et bien armé ne suffit point au soldat. Dans une mêlée générale, il est inévitable qu'il reçoive des blessures, graves ou légères. Celui qui a fait de la vie de l'homme une guerre continuelle, aurait-il suffisamment pourvu à nos besoins, s'il n'avait mis à notre portée tous les moyens de guérison ?

Le souverain qui envoie ses armées en campagne ne les fait-il pas suivre de médecins, d'ambulances et de tout ce qui est nécessaire au pansement de leurs blessures, ou au traitement des maladies, résultat infaillible des privations et de la fatigue? Le roi du ciel n'est ni moins prévoyant ni moins bon que les princes de la terre. Sa grande armée est l'Église catholique. Partout il la fait suivre des choses nécessaires à la guérison des blessés. Si les blessures sont mortelles, le remède est le sacrement de pénitence. Sont-elles légères ? les remèdes sont les sacramentaux.

3° Un dépôt de mendicité. Laisse-moi te citer une belle parole de saint Paul. De lui et de nos premiers pères dans la foi, l'Apôtre disait avec un noble orgueil : « Nous n'avons rien et nous possédons tout : Tanquam nihil habentes et omnia possidentes.

 

(1) Super contritione filiæ populi mei contritus sum et contristatus. Stupor obtinuit me : numquid resina non est in Galaad ? aut medicus non est ibi ? quare igitur non est abducta cicatrix filiæ populi mei ? Jerem., VIII, 21, 22.

 

Intelligente et splendide pauvreté ! Nos pères méprisaient le moins, et ils avaient le plus ; la monnaie de cuivre, et ils avaient des pièces d'or; les verroteries, et ils avaient des diamants.

En retournant les paroles apostoliques, ne pourrions-nous pas dire, nous chrétiens tièdes et inintelligents : Nous nageons au sein des richesses, et nous vivons dans l'indigence ? Sous notre main sont des trésors inépuisables et toujours ouverts; si chaque jour nous contractons des dettes, chaque jour, et à chaque heure, nous pouvons les payer.

Le faisons-nous ? Quand, à la fin du jour, nous examinons nos comptes, ne trouvons-nous pas que le devoir l'emporte grandement sur l'avoir ? mais ce déficit nous touche peu. Le livre de la conscience rapidement parcouru nous nous livrons au sommeil, pour recommencer le lendemain à augmenter notre passif, sans songer, plus sérieusement que la veille, à nous acquitter. Pauvres, nous ne cessons de nous appauvrir. Indigents et débiteurs, nous faisons du monde un grand dépôt de mendicité, une maison de prisonniers pour dettes.

Comprends-tu la folie de notre siècle? Ce qu'il craint pardessus tout, c'est de souffrir. Les péchés, même véniels, sont une source de souffrances publiques et privées. Ils sont la clef du purgatoire, le geôlier qui en tient la porte fermée, l'élément qui entretient les flammes expiatrices, dont l'ardeur n'a point d'analogue dans ce que nous connaissons. Et ce monde si délicat, si sensuel, si ennemi de la douleur, néglige stupidement les moyens de s'en préserver ! Ces moyens sont les sacramentaux : troisième raison de t'en parler.

Je te laisse, cher ami, avec mes notions théologiques. C'est un A B C qui pourrait s'écrire sur l'ongle du pouce. Néanmoins, il peut n'être pas inutile. J'ai le malheur de craindre que cet A B C ne soit à la science sacrée de la plupart de tes contemporains, comme cent est à un.

 

Tout à toi.

 

 

SIXIÈME LETTRE.

Ce ler octobre.

 

L'EAU BÉNITE : CE QU'ELLE EST. - SIGNIFICATION DE CES DEUX MOTS : EAU ET BÉNITE. - L'EAU, MÈRE DU MONDE ET SANG DE LA NATURE. - TOUT VIENT DE L'EAU. - PASSAGE DE SAINT PIERRE. - DE SAINT CLÉMENT. - D'ŒCUMÉNIUS. - DE SAINT AUGUSTIN. - TÉMOIGNAGE DE QUELQUES AUTEURS PAÏENS. - UN PETIT SERMON. - L'EAU, SANG DE LA NATURE. - PARALLÈLE. - L'EAU DANS L'ORDRE MORAL. - LIEN DES PEUPLES. - ÉLÉMENT ORDINAIRE DES CÉRÉMONIES, DES MYSTÈRES ET DES MIRACLES, DANS L'ANCIENNE ET DANS LA NOUVELLE ALLIANCE. - COMME LE MONDE PRIMITIF, LE MONDE RÉGÉNÉRÉ SORT DE L'EAU. - L'EAU FIÈRE DE SERVIR AU BAPTÈME. - FAITS CURIEUX EN ORIENT ET EN OCCIDENT.

 

Tu sais maintenant, cher Frédéric, ce qu'on entend par les sacramentaux. Tu sais de plus que l'eau bénite figure au premier rang, parmi ces sources mystérieuses de richesses spirituelles et matérielles, dont la faiblesse apparente et la fécondité réelle présentent avec tant d'éclat le double cachet des œuvres divines. Mais qu'est-ce que l'eau bénite ? Pour répondre, deux mots sont à définir : Eau et bénite. Prie Dieu qu'il m'éclaire, et tu verras que ces deux mots renferment des trésors.

EAU. - Qu'est-ce que l'eau ? Si je le demande à la science moderne, elle me fait répondre en deux mots, par le premier chimiste venu : l'eau, c'est du protoxyde d'hydrogène. Me voilà bien instruit, surtout bien édifié. Mais si j'adresse la même question à la science ancienne, c'est-à-dire à la vraie science, elle me dit : l'eau est la Mère du monde et le Sang de la nature. A la définir ainsi elle est autorisée, comme tu vas le voir, par le plus savant des géologues, saint Pierre. Ayant appris la géologie à l'école même du Créateur, nul mieux que lui ne connaît l'origine des choses.

Or, du temps du Prince des apôtres il y avait, comme aujourd'hui, des Strauss, des Proudhon, des Renan, petits mécréants qui niaient la création du monde, son gouvernement par la Providence et sa destruction finale. A ces ignorants volontaires, moqueurs imbéciles de la vérité, saint Pierre répond : que le ciel et la terre n'ont pas toujours existé, mais qu'ils ont été tirés de l'eau, qu'ils existent au milieu de l'eau et qu'ils sont affermis par le Verbe divin (1).

L'eau est donc la mère du monde, puisque le ciel et la terre, avec toutes les créatures matérielles, ont été formés de l'eau, à laquelle le Verbe créateur a imprimé, en la condensant, des formes arrêtées qu'il maintient dans un état permanent. Telle est l'interprétation invariablement donnée aux paroles du texte sacré par les Pères de l'Église. Avant tout, nous la trouvons dans saint Clément, disciple et successeur de saint Pierre, qui assure avoir reçu cette doctrine de la bouche de son auguste Maître : « L'eau primitive, dit-il, qui remplissait l'espace intermédiaire entre le ciel et la terre, s'étendit, condensée comme de la glace et solide comme du cristal, de manière à former le firmament qui sépare le ciel de la terre (2). » Ainsi, Dieu a séparé les eaux primordiales en deux parts : les eaux inférieures dans lesquelles baigne la terre, et les eaux supérieures qui forment au-dessus de nous comme une voûte immense ou plutôt comme une couronne émaillée de diamants (3).

Oecuménius tient le même langage : « Le ciel et la terre ont été faits de l'eau. Le ciel n'est que l'eau vaporisée ou à l'état aériforme, et la terre l'eau solidifiée ou à l'état concret (4). »

 

(1) Latet enim eos hoc volentes, quod cœli erant prius et terra de aqua et per

aquam, consistens verbo Dei. II Petr. , III, 5.

(2) Aqua quæ erat intra mundum, in medio primi illius cœli terræque spatio, quasi gelu concreta et crystallo solidata distenditur, et hujusmodi firmamento velut intercluduntur media cœli ac terræ spatia. Recognit., lib. I, c. XVII.

(3) Voir Fabricius, Théologie de l'eau, liv. II, c. I.

() 4Sicut cœlo et terra ex aqua institutis... aer ex aquarum exhalatione, terra ex earum concretione consistit. - In II Petr., III, 5.

 

Saint Augustin n'est pas moins explicite : « Au commencement les cieux et la terre furent faits de l'eau et par l'eau, Il n'y a donc rien d'absurde à dire que la matière primitive, c'était l'eau ; car tout ce qui naît sur la terre, les animaux, les arbres, les herbes, et les êtres semblables doivent à l'eau leur formation et leur nourriture (1). »

 

Si tu veux t'en donner la peine, ou plutôt le plaisir; tu trouveras le même enseignement dans les autres docteurs (2). Dès les premiers versets, l'Écriture elle-même le confirme. As-tu remarqué qu'après avoir parlé de la création primitive, qu'il appelle le ciel et la terre, le texte divin ajoute immédiatement : Et l'esprit de Dieu était porté sur les eaux ? Pourquoi ne dit-il pas : Sur le ciel et sur la terre qu'il vient de nommer et de nommer seuls ? N'est-ce pas évidemment parce qu'ils existaient à l'état d'eau et que l'eau était l'élément générateur de l'un et de l'autre.

Au reste, le souvenir de la primitive origine des êtres matériels ne s'était pas entièrement perdu chez les païens. De l'Orient, berceau de la tradition, il avait passé en Occident. La plus ancienne, je crois, ou du moins une des plus anciennes écoles philosophiques de la Grèce, celle de Thalès, posait en principe que l'eau avait donné naissance à tout ce que nous voyons (3). » Le plus savant naturaliste romain, Pline, écrivait : « Tout ce que la terre a de vigueur, elle le doit à l'eau (4).» Un autre auteur païen, Festus, donne du mot eau, aqua, une étymologie qui veut dire mère de tout ce qui existe (5).

 

(1) Cœli erant olim et terra de aqua et per aquam. De Civ. Dei, lib. XX, c. XVIII. - Propterea vero non absurde etiam aqua dicta est ista materia, quia omnia quæ in terra nascuntur, sive animalia, sive arbores, vel herbu, et si quæ similia, ab humore incipiunt formari et nutriri. De Gen. contr. manich., lib. VI, VII.

(2) Voir Corn. a Lap., In Eccl., XXIX, 26.

(3) Aquam principium rebus creandis dixere. Auson, ln Lud. Sapient.

(4) Omnes terræ vires aquarum beneficia. Hist. nat., lib., XXX, c.I

(5) Aqua, a qua juvamur, vel ut alii, a qua omnia ; quia ex aqua cœli, aer, cæteraque omnia creata sunt. Corn. a Lap. ln Joan., IV, 9.

 

La terre, les cieux et tous les êtres qu'ils renferment sont donc fils et petits-fils de l'eau. Quelle noble mère ! quelle belle et nombreuse famille ! Et nous aussi nous sommes fils de l'eau. C'est de la terre que le chef-d'oeuvre de la création matérielle, le corps humain, est sorti, comme la terre elle-même est sortie de l'eau. Si donc la terre est notre mère, l'eau est notre grand-mère (1). Avant de continuer, laisse-moi placer ici un petit sermon en deux points.


Premier point. - Le Créateur, qui a fait naître la terre de l'eau, a voulu que cette fille, quel que fût son âge, reposât comme un petit enfant sur le sein de sa mère. Il a fondé la terre sur l'eau, super maria fundavit eam. C'est l'eau qui lui sert de point d'appui, de berceau, de langes et de source intarissable de vie, de vigueur et de beauté. Comme dans les oeuvres de Dieu tout est fait pour l'instruction de l'homme, saint Ambroise traduit la leçon qui nous est donnée par cette indissoluble union de la terre et de l'eau. « Voyez, dit-il, quelle bonne mère est l'eau ! elle nourrit ce qu'elle enfante et ne s'en sépare jamais. Et toi, Ô homme, tu enseignes l'abandon des enfants par le père et la mère, les séparations, les haines, les offenses. Apprends de l'eau quels liens intime doivent unir les parents et les enfants (2). »

 

Second point. - Puisque l'eau est notre mère, hommes qui que nous soyons, apprenons combien grande doit être notre humilité, combien sérieux notre détachement des créatures. Qu'est-ce que notre corps ? De l'eau figée. Que sont les animaux et les plantes ? De l'eau figée. Qu'est-ce que la pierre la plus précieuse, le diamant ? De l'eau figée. Et pour un peu d'eau figée, nous aurions de l'orgueil et nous perdrions notre âme faite à l'image de Dieu !

Je te connais assez, mon bon Frédéric, pour savoir que tu profiteras de mon sermon : je n'insiste pas et je continue. L'eau n'est pas seulement la mère du monde, elle est encore le sang de la nature. Le sang est nécessaire à la vie de l'homme. L'eau n'est pas moins nécessaire à la vie de l'univers. Dans notre corps, le sang a ses réservoirs ; il en part pour alimenter toutes les parties de son domaine. Il y revient pour se rafraîchir et en repart pour continuer ses indispensables fonctions.

 

(1) Initium vitæ hominis aqua. Hydragiolog., sect. I, c. III. - Ibid. Sur tout ce qui concerne l'eau, ses propriétés, ses usages, etc., c., II, III, IV, V, VI.

(2) « Quam bora mater sit aqua hinc considera ; tu, o homo, docuisti abdicationes patrum in filios, separationes, odia, offensas, disce ergo ab aqua quam sit parentum et filiorum necessitudo . » Hexaem. 1 ib. V, c. IV.

Même chose dans la nature. Les mers sans fond, les vastes cavités des montagnes sont les réservoirs de son sang. Par un mouvement non interrompu de départ et de retour, l'eau purifiée, rafraîchie, remplie de toutes ses qualités natives, continue de faire épanouir la vie en mille productions variées, dont la succession régulière n'est pas le caractère le moins admirable.

C'est la Sagesse infinie qui fait sortir le sang de ses réservoirs, qui le divise, qui le dirige par mille canaux de différente grandeur, suivant les besoins de chaque organe. Dans la nature, la même Sagesse ouvre, au temps voulu, les grands réservoirs des eaux. Elle en divise la masse, lui trace les canaux par où elle doit couler, pour arroser, dans les proportions convenables, les plaines et les collines, les climats brûlants et les climats tempérés.

Parmi ces canaux, les uns, comme les fleuves, sont les artères du grand corps de la nature. Les rivières, les ruisseaux, les fontaines, les infiltrations souterraines, sont les veines et les vaisseaux capillaires par où l'eau pénètre dans les plus menues parties de la terre : comme le sang dans les extrémités les plus faibles de nos organes et les plus éloignées du centre. Il est d'expérience qu'on trouve de l'eau partout. Sur ce point, les puits artésiens sont venus, comme toutes les autres découvertes, donner raison aux enseignements de la Théologie. Que serait-ce si l'homme possédait une science plus complète, ou s'il disposait d'instruments plus parfaits ?

Telle est la précision avec laquelle Dieu mesure la quantité de sang qui doit entrer dans chaque vaisseau, la rapidité ou la lenteur avec laquelle il doit couler, qu'il n'y a jamais, à moins d'un désordre trop souvent coupable, ni engorgement ni perturbation. Avec un art non moins merveilleux, Dieu a mesuré, équilibré et divisé les eaux dans le corps de la nature, de telle sorte que chaque partie en reçoit la quantité convenable (1).

(1) Aquas appendit in mensura. Job, XXVIII, 25.

 

Mais si l'homme vient à mériter une punition, l'ordre est suspendu. Comme dans la famille, c'est à la mère que revient le plus souvent la tâche de corriger le jeune enfant; ainsi dans la nature l'eau venge le Père céleste outragé. Dieu lui ordonne ou de se resserrer dans ses réservoirs et de faire languir la terre et ses productions, ou de tomber en masses désastreuses qui, noyant la première et altérant les secondes, forcent l'homme coupable à crier merci. L'iniquité est-elle à son comble? L'eau devient le déluge, et tout périt.

Jusqu'ici nous n'avons envisagé l'eau que dans son rôle purement matériel. Ce rôle est souverain et souverainement bienfaisant. Tu peux donc en toute vérité répéter avec un auteur païen : « L'eau est l'élément le plus ami de l'homme ; nul autre ne nous procure autant d'avantages ; sans l'eau rien ne pourrait naître, ni se conserver, ni être accommodé à nos usages (1). »

 

(1) Nulla ex omnibus rebus tantas habere videtur ad usum rerum necessitates quantas aqua... Sine aqua nec corpus animalium, nec ulla cibi virtus potest nasci, nec tueri, nec parari. Vitruv.., lib. VIII, c. II.

 

Considérée dans l'ordre moral, l'eau est de tous les éléments celui qui remplit la mission la plus glorieuse. Elle est le lien social par excellence. C'est elle qui par les fleuves et les Océans, relie entre elles toutes les nations du globe. Élève ta pensée et rappelletoi la vie du peuple juif, de ce peuple qui ne semble marcher qu'à coups de miracles. Le passage de la mer Rouge, le rocher d'Horeb, le passage du Jourdain : n'est-ce pas l'eau qui est l'élément de ces prodiges ?

Quel rôle plus noble encore le Créateur ne lui fait-il pas accomplir dans toutes les pratiques de son culte? C'est à peine si dans l'ancienne alliance tu trouves une seule cérémonie, où l'eau ne soit employée.

La nouvelle loi ne lui ôte rien de sa dignité, au contraire. Combien de fois le Verbe régénérateur l'a fait servir à ses mystères et à ses miracles ! Rappelle-toi seulement son baptême au Jourdain, le festin de Cana, la vocation des apôtres, et la conversion de la Samaritaine près de l'eau; la guérison du paralytique près de l'eau, et de l'aveugle-né, par l'eau; son apparition à ses disciples sur l'eau; enfin, la merveille des merveilles, la régénération du monde par l'eau (1). Des eaux primitives, fécondées par le Saint-Esprit, le Créateur tira l'homme et le monde ancien. Des mêmes eaux, sanctifiées par lui-même en personne, le Verbe incarné fait sortir l'homme et le monde nouveau. Ainsi, le monde primitif et le monde régénéré sont fils del'eau.

Faut-il ajouter que, dans certaines circonstances, l'eau semble avoir conscience de sa glorieuse mission et qu'elle est fière de servir au baptême, son plus merveilleux usage ? Ecoute ce qu'on lit dans l'histoire. Sous l'année 417, Baronius rapporte la lettre de Paschase, évêque de Lilybée, au pape saint Léon le Grand. L'illustre évêque raconte en ces termes un fait qui lui était parfaitement connu.

« Dieu, ne voulant pas qu'on se trompe sur le jour où il convient de célébrer la Pâques, permet le miracle dont je vais vous entretenir. Nous avons ici un très petit hameau, appelé Mettine, situé au milieu de montagnes abruptes et entouré d'épaisses forêts. Il y a là une très pauvre petite église. La nuit de Pâques, à l'heure où il faut administrer le baptême, son baptistère se remplit d'eau sans qu'il y ait ni canal, ni fistule, ni fontaine voisine. Le baptême administré aux quelques catéchumènes du lieu, l'eau s'en va comme elle est venue, sans déversoir.

« Or une année, incertains que nous étions du vrai jour de Pâques, on chanta comme à l'ordinaire l'office de la nuit, et le prêtre demanda s'il était l'heure de baptiser. Sur la réponse affirmative, il se rendit au Baptistère, mais l'eau ne vint pas. On l'attendit vainement jusqu'au jour, et les catéchumènes furent obligés de se retirer sans avoir reçu le baptême (2). »

Voilà pour l'Orient : même miracle en Occident.

Un des plus savants hommes de son siècle, Cassiodore, secrétaire du roi Àthalaric, décrit à Sévère le fait suivant, connu de toute l'Italie. « Près de l'antique ville de Consilie, dans la Lucanie (ou Basilicate), nous avons une magnifique fontaine, dont les eaux forment une nappe d'une transparence extraordinaire. Mais il serait long de la décrire et je viens au fait miraculeux qui s'y opère chaque année. Lorsque dans la sainte veille de Pâques, le prêtre commence les prières du baptême, on voit la fontaine gonfler, et, au lieu de laisser couler ses eaux par leurs voies ordinaires, elle les pousse en haut et les élève en forme de cône.

 

 

(1) Hydragiol., p. 55.

(2) Baron., An., t. V, n. 417, n. 41

 

« L'élément insensible s'élève de lui-même et, par une sorte de dévotion solennelle, se prépare aux miracles qui doivent faire briller la sainte majesté des mystères : Erigitur brutum elementum sponte sua, et quadam devotione solemni prœparat se miraculis, ut sanctificatio majestatis possit ostendi. En tout temps, l'eau couvre cinq degrés; pendant la nuit de Pâques elle en couvre deux de plus, ce qui n'arrive jamais dans un autre moment. Étonnant miracle ! que l'élément liquide s'arrête aux paroles de l'homme et qu'il semble doué de la faculté de les entendre ! Bien vénérable est cette fontaine, plus vénérables encore sont les paroles qui l'animent. La Lucanie a son Jourdain. Le fleuve de la Judée donna l'exemple du baptême ; notre fontaine l'administre dévotement chaque année (1). »

 

(1) Habet et Lucania Jordanem suum : ille exemplum baptismatis præstitit; hic sacrum ministerium annua devotione custodit. Apud Baron., ubi supra, n. 42.

 

Prétendre que ces miracles étaient crus sans preuves, et qu'il ne se trouvait jamais quelque malin, capable de prendre les précautions nécessaires, afin d'écarter toute supercherie, serait une impertinence de haute école. Nos pères avaient des yeux comme nous, au moins autant de bon sens que nous, et plus de crainte que nous d'être trompés ou trompeurs.

Quoi qu'il en soit, Dieu a voulu que cette miraculeuse glorification de l'eau devînt un fait incontestable. Nous lisons dans Grégoire de Tours : « Le Portugal offre un exemple mémorable de ce miracle des eaux. Dans cette province existe dès la plus haute antiquité une piscine en forme de croix, faite de marbres de différentes couleurs et très bien sculptés. Sur cette piscine les chrétiens ont bâti une magnifique église. Or, le Jeudi Saint, tous les fidèles, l'évêque en tête, s'y réunissent. Les prières finies, l'évêque ferme les portes du temple, les scelle de son sceau et tout le monde attend la manifestation de la puissance divine.

« Le troisième jour, c'est-à-dire le samedi, arrive la foule des catéchumènes. Puis, l'évêque, accompagné de toute la ville, après avoir vérifié les sceaux, ouvre les portes. Chose admirable ! la piscine qu'il avait laissée vide, il la trouve pleine, ou plutôt comble; car ses eaux s'élèvent en forme de globe au-dessus du bassin, comme le blé au-dessus du boisseau avant qu'il ait été nivelé. On voit ces eaux osciller sans qu'il en tombe une seule goutte à droite ou à gauche.

« L'évêque fait les exorcismes; puis, de cette eau merveilleuse, il arrose tout le peuple qui s'empresse d'en prendre et d'en emporter dans ses maisons, pour se mettre à l'abri des maladies et des dangers, et pour en répandre sur ses champs et sur ses vignes, comme un préservatif assuré contre les fléaux. Malgré le nombre incalculable des vases qu'on remplit, l'eau ne diminue pas. Mais aussitôt que le premier catéchumène est baptisé, elle commence à baisser. Lorsque tous l'ont été, l'eau se retire et s'en va comme elle est venue, sans qu'on sache comment : Baptizatis omnibus, lymphis in se reversis, ut initio produntur nescio, ita et fine clauduntur ignoro.

« Or, le roi du pays, Théodégésile, ayant été témoin du fait, se dit en lui-même : C'est un artifice des habitants, et non pas un miracle. Il vint donc l'année suivante, ferma les portes de l'église, y apposa son sceau à côté de celui de l'évêque, mit des gardes autour de l'église, afin de s'assurer si personne ne venait frauduleusement porter ou envoyer de l'eau dans la piscine. Il ne put rien découvrir. L'année suivante il recommença la même expérience, sans plus de succès.

« Enfin, la troisième année, il fit arriver un grand nombre d'ouvriers, à qui il ordonna de creuser des fossés tout autour de l'église, pour voir si la piscine n'était pas alimentée par quelques canaux souterrains. Ces fossés eurent vingt-cinq pieds de profondeur et quinze de largeur. Rien ne fut découvert. La quatrième année le roi n'eut pas le bonheur de revoir le miracle ; car il mourut, éprouvant peut-être en lui-même ce que dit saint Paul : Le scrutateur téméraire des mystères de Dieu sera écrasé par sa gloire (1). »

Il resterait beaucoup à dire sur les propriétés de l'eau, sur les vertus que tous les peuples lui ont reconnues, sur les louanges qu'ils lui ont données et sur les hommages de respect vraiment filial qu'ils lui ont prodigués (2). Ce qui précède suffit à mon but, et je termine cette lettre déjà longue. A demain le mot Bénite.

 

Tout à toi.

 

(1) Baron. , ibid., n. 43, 45.

(2) Tu peux voir là-dessus Hydragiol. , sect. I, c. là vii, et Traité du Saint-Esprit, t. II.

 

 

SEPTIÈME LETTRE.

Ce 2 octobre.

 

SIGNIFICATION DU MOT BÉNITE. - BÉNIR SIGNIFIE D'ABORD SANCTIFIER, C'ESTÀ-DIRE PURIFIER LES CRÉATURES ET LES SOUSTRAIRE AUX INFLUENCES DU DÉMON. - PREUVES QUE TOUTE LA CRÉATION A BESOIN D'ÊTRE SANCTIFIÉE. - BÉNIR SIGNIFIE ENCORE RENDRE UNE CRÉATURE CAPABLE DE PRODUIRE DES EFFETS AU-DESSUS DE SES FORCES NATURELLES. - ORIGINE DE L'EAU BÉNITE. - SON HISTOIRE CHEZ LE PEUPLE JUIF. - CONTREFAITE PAR LE DÉMON. - HISTOIRE DE CETTE CONTREFAÇON CHEZ LES PEUPLES PAÏENS DE L'ANTIQUITÉ. -- TRAIT DE VALENTINIEN.

 

L’ère du monde, sang de la nature, lien des peuples, élément de prodiges : telle est l'eau en elle-même. 
Connais-tu, mon cher ami, une créature plus noble, plus bienfaisante, plus nécessaire ? En la choisissant pour l'instrument ordinaire de ses faveurs, l'Église n'a-t-elle pas eu la main heureuse? En cela, comme en toute chose, ne se montre-telle pas la fidèle héritière des révélations divines et des vénérables traditions de l'humanité ? Ne donne-t-elle pas la preuve d'une profonde connaissance du monde visible et des rapports qui l'unissent au monde invisible ? A la dignité naturelle de l'eau, la bénédiction en ajoute une plus grande encore. Nul doute à cet égard, lorsque tu auras l'explication du mot qui fait l'objet de cette lettre.

BÉNITE. Qu'est-ce que bénir ? Bénir est un mot de la langue divine, tombé dans la langue humaine : sa richesse et sa profondeur nous échappent. Pour Dieu, bénir c'est faire descendre sur la créature et faire pénétrer en son sein les divines effusions de la vie et de l'amour; c'est inonder de grâce et de puissance les êtres sur lesquels tombe la parole de bénédiction, comme une rosée de lumière; en un mot, pour Dieu, bénir c'est faire du bien, et le faire aussi promptement que la parole est prononcée. « Quand Dieu bénit, dit saint Augustin, il fait ce qu'il dit » : Deus autem cum benedicit, facit quod dicit (1).

 

La bénédiction de Dieu communique aux créatures le pouvoir de vivre, c'est-à-dire de se reproduire, de croître et de se multiplier. En effet, la puissance et la force du Créateur sont la cause que toute créature subsiste ; et si cette force venait à cesser, cesserait en même temps leur forme substantielle et toute la nature s'abîmerait dans le néant (2).

Si le monde de la nature ne subsiste que par la bénédiction de Dieu, il en est de même du monde surnaturel. Toutes les merveilles de la grâce, la vie divine avec toutes ses lumières, ses forces, ses prérogatives, sa perpétuité, sont autant d'effets de la bénédiction que Dieu a donnée au monde par le Verbe incarné. Calcule, si tu peux, la variété infinie et sans cesse renaissante d'oeuvres surnaturelles, de prières, de jeûnes, d'austérités, de dévouements sublimes, accomplis, depuis dix-huit siècles, sur tous les points du globe par l'Église catholique; calcule encore les gloires et les délices de l'éternité, alors, et alors seulement, tu comprendras la richesse et la profondeur du mot bénir dans la bouche de Dieu (3).

Sur les lèvres de l'homme, qui n'opère pas ce qu'il veut en parlant; bénir signifie souhaiter du bien à quelqu'un, le louer, le remercier (4).

 

(1) Enarrat. in ps. CVIII, n. 30

(2) Creatoris namque potentia et omnipotentis atque omnitenentis virtus, causa subsistendi est onini creaturæ ; quæ virtus ab eis quæ creata sunt regendis, si aliquando cessaret, simul et illorum cessaret species omnisquenatura conci dere t. S. Aug., De Gen. ad litt., lib. IV, n. 12. Opp, t. III, 278.

(3) Benedictus Deus et Pater Domini nostri Jesu-Christi, qui benedixit nos in omni benedictione spirituali in cœlestibus in Christo, etc. Eph., I, 3.

(4) Benedicam Dominum in omni tempore. . Ps. XXXIII. Benedicat tibi anima mea. Gen., XXVII, 25, etc.

 

Dans le sens ecclésiastique, et tel que nous l'entendons ici, bénir signifie consacrer et sanctifier une chose, c'est-à-dire : la tirer de la masse commune et lui communiquer certaines qualités mystérieuses, qui la rendent capable de devenir matière des sacrements ou instrument de faveurs pour les âmes et pour les corps (1).

 

(1) Benedicere significat consecrare et sanctificare seu conferre aliquid esse sacrum rei quæ benedicitur, ut fiat conveniens et apta materia sacramenti vel sacrificii, vel fiat instrumentum salutis sive animarum sive corporum. Quarti, De Benedict., tit. I, sect. I, dubit.1.

 

Tu vois que bénir l'eau, c'est lui communiquer une vertu qu'elle n'a pas d'elle-même et qui la rend propre à produire des effets au-dessus de sa nature. L'eau bénite est donc une eau sanctifiée et rendue capable d'effets surnaturels. Pour que l'eau bénite soit telle, il faut d'abord qu'elle soit sanctifiée. Ce mot nous met en face du mystère des mystères : la chute et la réhabilitation de l'homme et du monde.

En effet, sanctifier une chose, c'est la soustraire à l'influence du démon, la purifier des souillures dont il l'a salie et la rendre à sa pureté native. Que par suite de sa victoire sur le Roi de la création, le démon ait fait des créatures ses esclaves et les instruments de sa haine, aussi bien dans l'ordre physique que dans l'ordre moral, c'est le grand fait sur lequel pose toute l'histoire de l'humanité.

Fait permanent dont les preuves sont partout, au dedans de nous et autour de nous ; fait triste et consolant tout ensemble. Triste, puisqu'il nous montre toute la nature et l'homme lui-même frappés de dégradation; consolant, puisque nous savons qu'il y aura une restauration universelle. Cette suprême espérance, unique consolation de l'homme dans la vallée des larmes, Dieu s'est plu à la réveiller sans cesse dès les jours anciens.

Par la bouche du prophète Osée, il la proclame en des termes que je suis heureux de te faire connaître : « Je délivrerai, dit-il, ma laine et mon lin. »

Que signifient ces simples mais profondes paroles, sinon que le démon s'était emparé de tous les biens que Dieu avait donnés à l'homme, même des plus petits? A ces satellites le vainqueur avait partagé les dépouilles. L'eau appartenait à Neptune, le blé à Cérès, le vin à Bacchus, les forêts à Diane, les troupeaux à Pan; ainsi des autres parties de la création. Dieu annonce qu'il revendiquera son bien, et fera tout rentrer dans l'ordre (1).

Dans le Nouveau Testament, le plus savant interprète des conseils divins, saint Paul constate les souffrances et les aspirations de la création tout entière ; puis, il annonce la libération future qui doit récompenser les unes et satisfaire les autres. « Toute créature, dit-il, souffre et gémit, comme une femme dans les douleurs de l'enfantement, de se voir malgré elle soumise à la vanité. Elle soupire après la régénération de l'homme, gage de la sienne. Et elle n'est pas seule, nous aussi nous gémissons et nous attendons la rédemption de notre corps (2). »

Remarque en passant comme toute la création, inférieure à l'homme, suit la condition de l'homme. Heureuse et magnifique, tant que l'homme est innocent ; défigurée et malade, quand l'homme devient pécheur; resplendissante de jeunesse et de beauté, lorsque l'homme lui-même sera devenu beau d'une beauté inaltérable et jeune d'une jeunesse éternelle.

Sanctifier les créatures n'est pas seulement les délivrer des influences du démon, c'est encore les rendre capables d'effets surnaturels : ces deux choses sont-elles possibles et à qui ? Évidemment elles sont possibles à celui qui peut tout, et celui qui peut tout, c'est Dieu. Cela étant, Dieu seul peut faire de l'eau bénite et ceux à qui il en a donné le pouvoir. Veux-tu savoir si ce pouvoir a été donné et à qui ? Écoute le Verbe rédempteur qui a sanctifié toutes choses et posé le principe éternel de toute sanctification : « Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre. »

Puis, s'adressant à son épouse, l'Église catholique, chargée de continuer sa mission sur tous les points du globe et jusqu'à la fin du monde, il lui dit : « Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie. Tout ce que vous affranchirez, c'est-à-dire tout ce que vous délierez des liens du démon, tout ce que vous bénirez, tout ce que vous rendrez capable de produire des effets surnaturels , sera affranchi, béni, rendu capable des effets surnaturels que vous aurez en vue. »

 

(1) Tanquam enim lana et vinum invite servierint ingratis et impiis idololatris, quasi injustis possessoibus, inde ea se dicit liberaturum, etc. Corn. a Lap. In hune loc.

(2) Rom., VIII, 19 23.

 

Telles sont, mon cher ami, les lettres de créance de l'Église. En connais-tu de plus authentiques ou de plus étendues ? L'Église possède donc le pouvoir de bénir, et elle seule le possède. Il n'appartient ni à un chimiste, si habile qu'il soit, ni à un monarque, régnât-il sur le monde entier, de faire une goutte d'eau bénite. Ce n'est ni aux savants ni aux princes qu'il a été dit : « Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. » En supprimant l'eau bénite, le protestantisme s'est rendu justice. Séparé de l'Église, il a perdu le pouvoir de faire ce qui ne se peut faire que dans l'Église et par l'Église.

Être édifié sur le pouvoir de bénir ne te suffit pas. Je connais ta curiosité, et tu es pressé de savoir si Dieu et l'Église ont fait usage du pouvoir de bénir l'eau, et depuis quand ? En d'autres termes : quelle est l'origine de l'eau bénite ?

Si l'antiquité est un titre de noblesse, rien n'est plus noble que l'eau bénite : elle remonte au commencement du monde. Le premier qui ait fait de l'eau bénite, c'est le Saint-Esprit. Que faisait ce divin Esprit, alors qu'il planait sur les eaux primitives? Il les bénissait, et en les bénissant il leur communiquait la vertu de produire les merveilleuses, les innombrables créatures dont nous sommes environnés (1).

 

(1) Aquis quasi incubabat Spiritus sanctus, eisque vim prolificam indebat, ut reptilia, volatilia, pistes et germina, imo cœli omnes ex aquis producerentur... hic significatur Spiritus sanctus aquis baptismi quasi incubans, iisque nos parturiens et regenerans. Vid. Corn. a Lap., In Gen.,I, II.

 

Dépositaires du pouvoir divin, les patriarches, Moïse, la Synagogue, les prophètes n'ont cessé de faire de l'eau bénite et de l'employer à la purification et à la délivrance des hommes et des créatures. Pour abréger, arrêtons-nous au pied du Sinaï. Moïse descend de la montagne, portant le plus magnifique présent que le Seigneur eût jamais fait à son peuple : les deux tables de la Loi. Afin de recevoir cette loi sainte, le peuple choisi doit être sanctifié. Dans ce but, Moïse fait de l'eau bénite qu'il mêle au sang des victimes et il en asperge le peuple (1).

Purifier par l'eau les hommes et les choses de toutes les souillures légales, devint dans l'ancienne loi une institution permanente. Mais une créature purement matérielle ne saurait produire un effet moral. Cette eau de purification était donc une eau sanctifiée : c'était de l'eau bénite. L'usage en revient sans cesse dans les prescriptions mosaïques. A celui qui aura été atteint de la lèpre; à celui qui aura porté le cadavre de certains animaux ; à celui qui aura mangé de leur chair ; à tous ceux qui auront contracté quelque souillure légale, ordre est donné de se purifier par l'eau (2).

Quelque chose de plus remarquable. Moïse doit consacrer prêtres, Aaron et les fils d'Aaron. Afin de les rendre dignes de leur consécration, Dieu ordonne à Moïse de les purifier par l'eau. Ce n'est qu'après cette sanctification, qu'ils seront admis à recevoir les ornements sacrés et l'onction sacerdotale. Peine de mort pour eux et pour leurs successeurs, si, avant d'exercer aucune de leurs fonctions dans le temple, ils ne se lavent de leurs souillures avec l'eau de la mer d'airain (3).

Au reste, mon cher ami, voici les cérémonies prescrites à la Synagogue pour faire l'eau bénite de la loi ancienne, et les éléments dont elle devait être composée. Parlant à Moïse et à Aaron, le Seigneur leur ordonne d'immoler une génisse rouge, de la brûler, d'en mêler les cendres avec de l'eau et d'en faire une eau d'aspersion pour la défense et la purification de tous les enfants d'Israël. « Ceci, ajoute le Seigneur, sera observé religieusement et à perpétuité par les enfants d'Israël et par les étrangers qui habitent parmi eux (4). »

 

(1) Accipiens sanguinem... cum aqua... omnem populum aspersit. Hebr., IX, 19.

(2) Levit., XI, 28, 40; XIV, 51, etc.

(3) Exod., XXIX, 4 et suiv. ; XXX, 18 et suiv.

(4) Ut sint multitudini filiorum Israel in custodiam, et in aquam aspersionis... Habebunt hoc filii Israel et advenæ qui habitant inter eos sanctum jure perpetuo. Num., XIX, 9.

 

Vient ensuite le détail des cas nombreux, où il est expressément commandé de faire usage de cette eau bénite. J'en cite un seul. « Quiconque, dit le suprême législateur, aura touché le cadavre d'un homme et n'aura pas eu soin de se purifier par ce mélange, souillera le tabernacle du Seigneur et sera mis à mort. N'ayant pas été purifié par l'eau de l'aspersion, il est immonde (1). »

 

(1) Omnis qui tetigerit humanæ animæ morticinium et aspersus hac commixtione non fuerit, polluet tabernaculum Domini et peribit ex Israël : quia aqua aspersionis non est aspersus, immundus erit. Num., XIII.

 

Comme tu vois, l'eau bénite fut connue et employée dans toute l'antiquité judaïque. L'usage n'en fut pas moins universel chez les païens. Ce fait te paraîtra peut-être nouveau, à toi, trois fois docteur ès sciences ; mais à coup sûr il le sera pour tes camarades et pour les dix-neuf vingtièmes des lettrés modernes. Comme élément purificateur des souillures morales et protecteur contre les fléaux et les maladies, l'eau était si constamment employée dans la Cité du bien, que le grand singe de Dieu, Satan, ne pouvait manquer de la contrefaire à son profit. De la sorte il atteignait un double but : il profanait l'eau en la faisant servir à son culte, et il ôtait à la véritable eau bénite le respect et la confiance dont elle est digne.

Le succès dépassa ses espérances. L'usage de son eau lustrale, ou prétendue bénite, devint si commun, que le protestantisme en a pris occasion d'accuser l'Église d'idolâtrie. L'eau bénite de l'Église romaine, a-t-il dit, n'est que l'eau lustrale des païens. Le protestantisme oublie que l'eau bénite est antérieure à l'eau lustrale ; que l'Église n'a fait que continuer, en l'ennoblissant, la tradition mosaïque, et reprendre au paganisme ce qu'il lui avait volé ; enfin, que la Cité du bien ne fut jamais la plagiaire de la Cité du mal. Ce n'est pas la vérité qui emprunte à l'erreur, c'est l'erreur qui s'empare de la vérité et qui la défigure.

J'ai avancé que les païens faisaient, pour se purifier, un usage habituel de leur eau lustrale, contrefaçon de l'eau bénite. Tu me demandes mes preuves : elles sont prêtes. Dans Homère, Hector n'ose faire des libations de vin à Jupiter, parce qu'il n'est pas permis de prier avec des mains ensanglantées. Ajax, Ulysse, Achille, Priam, se lavent les mains avant de répandre du vin en l'honneur du maître des dieux et de lui adresser leurs prières. Pénélope se lave les mains avant de faire sa prière à Pallas, et Télémaque avant de prier Minerve. Si mes citations étaient de l'Écriture ou de quelque auteur chrétien, j'indiquerais le livre et la page ; mais tant d'exactitude me parait inutile avec tes camarades, bacheliers frais émoulus, qui connaissent par coeur leur Iliades et leur Odyssée, et qui seraient peut-être embarrassés de nommer les douze apôtres.

Euripide nous montre Alceste, fille de Pélias, recourant à l'eau lustrale avant d'offrir le dernier sacrifice pour ses enfants (1). Hérodote, parlant des prêtres égyptiens, témoigne de leur religieuse fidélité à cet usage. « Chaque jour, dit-il, ils se purifient dans l'eau froide, trois fois le, jour et deux fois la nuit (2). »

Des Grecs passons aux Romains. Plaute fait dire à Euclion : « Je me laverai afin d'offrir aux dieux mes prières et mes sacrifices (3). » Ovide déclare qu'Alcméon s'est purifié par la vertu et par l'eau (4). Virgile nous apprend qu'on se servait d'eau de rivière ou de fontaine, comme étant la plus pure (5). Aussi Tibulle ajoute que, pour approcher des dieux, il faut avoir purifié ses mains avec de l'eau de fontaine (6).

 

(1) Alceste, act. I.

(2) Lavantur quotidie frigida, interdiu ter, noctu bis. Histor., lib. II, circ. init.

(3) Nunc lavabo, ut rem divinam faciam. Aulular. act. IV, scen. II.

(4) Metamorph., lib. IX, metamorph. x.

(5) ... Corpus fluviali spargere lympha; Idem ter socios pura circumtulit unda, Spargens rore levi et ramo retentis olivæ.   ..Eneid., lib. VI.

(6) Casta placent superis ;pura cum veste venite, Et manibus puris sumite fontis aquam.                  Lib. II, eleg. I.

 

Et Perse : « Afin de prier les dieux comme il convient, il faut se laver plusieurs fois la tête même dans le Tibre, et se purifier ainsi des souillures nocturnes (1). »On se lavait aussi les mains et même tout le corps, lorsqu'on voulait expier un meurtre ou se purifier du sang répandu même à la guerre (2).

Afin que la contrefaçon fût complète, on composait cette eau lustrale de sel et de cendres de génisse ou d'autres victimes, et on aspergeait le peuple, les champs et les maisons. Parlant de la lustration qui se faisait à la fête de Palès, déesse des moissons, Ovide ajoute que la plus ancienne des prêtresses brûlait des veaux, afin que la cendre servit à purifier le peuple (3). Cette aspersion, disent les auteurs païens, entre autres Cicéron et Athénée , avait la vertu d'éloigner les fléaux et de purifier les souillures (4).

Tertullien, qui connaissait à fond son paganisme puisqu'il y était né, n'est pas moins explicite. C'était bien de souillures morales, de péchés véritables, et non pas seulement de taches corporelles, que les païens avaient la prétention de se laver avec leur eau lustrale. « Par elle, dit-il, ils croient se régénérer et obtenir l'impunité de leurs parjures. Chez eux, autrefois, quiconque s'était rendu coupable d'homicide, s'en purifiait par l'eau d'expiation (5). »

 

(1) Hæc sancte ut poscas Tiberino in gurgite mergis, Mane caput bis terque et noctem flumine purgas.Satyr. XI.

(2) Me bello e tanto digressum et cæde recenti, Attrectare nefas donec me flumine vivo Abluero. Æneid., lib., II et Triclin., in Sophocl.

(3) Igne cremat vitulos quæ natu maxima virgo, Luce Pales, populos purget ut ille cinis.                    Fast., lib., IV.

(4) Aspersione aquæ corpoream talem tolli, castimoniamque præstare. De Leg. , lib. I. - Dipnosophist., lib. IX, c. XVIII. - Puro lustrate domum sulphure primum, deinde sale mixta, ut consuetum est, aspergite pura aqua, Theocrit., Idyll., XXV. Sanguis equi suffimen erit vitulique favilla. Ovid., Fast, lib. IV.

(5) Idque se in regenerationem et impunitatem perjuriorum suorum agere præsumunt. Item pene apud veteres quisquis se homicidio infecerat purgatrice aqua se expiabat. De Baptism., c. v.

 

II n'y a pas de fait plus connu dans l'histoire : l'homicide lavait sa personne et ses habits sept fois dans l'eau expiatrice. Ainsi on voit recourir à la méme cérémonie Thésée, meurtrier des fils de Pallante ; Apollon lui-même et Diane, après le meurtre de Python, le dieu serpent ; Adraste, après le meurtre involontaire du fils de Crésus (1). « En tout cela, ajoute Tertullien, nous voyons l'empressement du diable à singer les oeuvres de Dieu : Hic quoque studium diaboli recognoscimus res Dei œmulantis.

L'histoire abonde de pareils témoignages. Je couronne ceux que je viens de te citer par un fait demeuré célèbre. Au temps de Julien l'Apostat, les païens continuaient de faire usage de l'eau lustrale, afin de purifier ceux qui entraient dans les temples des idoles. Julien, étant dans les Gaules, se rendit à un de ces temples pour y sacrifier. Un de ses grands officiers, Valentinien, qui fut depuis empereur, l'accompagnait suivant la coutume. A la porte du temple se tenait un prêtre des idoles, avec des branches d'arbrisseaux, trempées dans l'eau lustrale, dont il arrosait, à la manière des païens, ceux qui entraient. Une goutte tomba sur l'habit de Valentinien.

Aussi courageux chrétien que brave guerrier, Valentinien lui dit tout haut en présence de l'empereur et de son cortége : Prends garde à ce que tu fais, misérable : au lieu de me purifier, tu m'as souillé. Prenant alors son épée, il coupe la partie de son habit sur laquelle cette eau est tombée, la jette par terre et la foule aux pieds. L'histoire ajoute, ce qui est d'ailleurs parfaitement croyable, que Julien en fut profondément irrité. Mais, hypocrite, il dissimula sa colère. Seulement, à quelques jours de là, sous prétexte que Valentinien avait négligé de faire exercer les soldats, il le relégua pour toujours à Mélitine en Arménie (2).

Telle est, en traits rapides, l'histoire de l'eau bénite dans l'antiquité. Ma première lettre te la montrera dans les temps évangéliques.

 

Tout à toi.

 

(1) Vid. not. Pamelii in Tertull. de Baptism., c. v, not. 35.

(2) Sozom., Hist. eccl., lib. VI, c. VI; Niceph., Hist. eccl., lib. II, c.I.

 

 

 

HUITIÈME LETTRE.

Ce 3 octobre.

 

HISTOIRE DE L'EAU BÉNITE DANS LA NOUVELLE LOI. - LA PREMIÈRE EAU BÉNITE FAITE PAR NOTRE-SEIGNEUR. - L'EAU BÉNITE, INSTITUTION PERMANENTE. - TÉMOIGNAGE DU PAPE SAINT ALEXANDRE. - LA FORMULE DE L'EAU BÉNITE ATTRIBUÉE À SAINT MATTHIEU : PASSAGE DE SAINT CLÉMENT. - TROIS ESPÈCES D'EAU BÉNITE. - L'EAU BÉNITE POUR LA CONSÉCRATION DES ÉGLISES. - ELLE SE COMPOSE D'EAU, DE SEL, DE CENDRE ET DE VIN. - EXPLICATION DE CES QUATRE ÉLÉMENTS.

 

Tu m'annonces, mon cher ami, que l'histoire de l'eau          bénite dans l'antiquité, antérieure à l'Évangile, n'a pas médiocrement étonné tes jeunes camarades. La plupart croyaient l'eau bénite d'institution moderne ; pour les plus forts c'était une superstition originaire du moyen âge. Rien de cela ne m'étonne. Après dix ans d'étude, que savent du christianisme, de son histoire, de ses institutions, de sa liturgie, les générations formées à l'école de la Renaissance ? Rien, rien, rien. Aussi quelle étendue de savoir, quelle vigueur d'intelligence, quelle élévation de pensées, quelle noblesse de sentiments ! Juste ce qu'il en faut pour courir après les places, et pour barboter dans le matérialisme. Revenons à notre histoire. Dans la plénitude des temps et sous l'action personnelle du Verbe incarné, les réalités succèdent aux figures, l'Église à la Synagogue, le peuple chrétien au peuple juif. Après comme avant ce changement radical, l'eau bénite subsiste. Seulement elle participe à l'ennoblissement général de toutes les institutions immortelles de la loi figurative. Elle devient plus sainte et plus efficace. Le premier qui fait de l'eau bénite, c'est le Rédempteur lui-même. Tel est même le premier acte de sa vie publique.

Il descend dans le Jourdain. Au contact de sa personne adorable, l'eau reçoit une bénédiction supérieure à la bénédiction primitive. Celle-ci fit sortir de l'eau le monde matériel ; celle-là en fera sortir le monde moral (1).

L'eau bénite de l'ancienne alliance effaçait les souillures légales ; l'eau bénite de la nouvelle loi efface les souillures de l'âme, les péchés véniels. La raison en est dans la supériorité de la loi de grâce sur la loi de crainte, de la réalité sur la figure. « Eh quoi ! demande saint Paul, si les cendres d'une génisse délayées dans de l'eau et répandues sur les souillés purifient leur chair, combien plus le sang de Jésus-Christ purifiera-t-il notre conscience des oeuvres mortes (2). »

 

(1)Hoc est quod dicere volunt S. Chrys., in Matth., III;, 13; S. Aug., Serm. XXXVI et XXXVII, De temp. S. Greg. Nazianz., Orat. in S. Nativit., et alii dum aiunt Christum suo baptismo aquas sanctificasse et contactu corporis vim regenerativam eis indidisse, non quasi aquis indiderit qualitatem physicam, sed moralem, quia scilicet tunc ipso facto, ex intentione Christi deputatæ et designatæ sunt aquæ ad sanctificandum homines, abluendos in baptismi sacramento mox a Christo instituendo. Corn. a Lap., in Matth. III, 13

(2)

 

De même que, dans l'ancienne loi, l'action de Moïse bénissant l'eau afin de sanctifier le peuple juif au pied du Sinaï, devint pour la Synagogue une institution permanente ; de .même, l'action de Notre-Seigneur bénissant l'eau pour sanctifier le peuple chrétien, est devenue, dans l'Église, une institution également permanente. Au second siècle, le Pape saint Alexandre, martyr et cinquième successeur de saint Pierre, parle de l'eau bénite comme d'une chose déjà établie et d'un usage général. Voici les paroles de cet illustre témoin de nos vénérables traditions.

« Nous (nous pape !) bénissons de l'eau mêlée de sel, afin que par l'aspersion de cette eau tous soient sanctifiés et purifiés : ce que nous ordonnons à tous les prêtres de faire également. En effet, si la cendre d'une génisse, mêlée de sang et répandue sur le peuple, le sanctifiait et le purifiait : à combien plus forte raison l'eau mêlée de sel, et consacrée par les divines prières, a-t-elle la vertu de sanctifier et de purifier ?

« Et si le sel répandu dans l'eau par le prophète Élisée en a guéri la stérilité : combien plus le sel consacré par les divines prières est-il plus efficace pour ôter la stérilité aux créatures humaines, sanctifier, guérir, purifier ceux qui sont souillés, multiplier les autres biens, déjouer les piéges du démon, et défendre les hommes de ces fantômes trompeurs ! En effet, si le contact du bord des vêtements du Sauveur suffisait, comme nous n'en pouvons douter, pour guérir les malades : quelle vertu bien plus grande ne tirent pas de ses divines paroles, les éléments, pour guérir le corps et l'âme de la pauvre humanité (1). »

 

(1) Aquam sale conspersam benedicimus, ut ea cuncti aspersi sanctificentur et purificentur, quod et omnibus sacerdotibus fieri mandamus. Nam si cinis vitulæ sanguine aspersus populum sancticabat atque mundabat, multo magis aqua sale aspersa divinisque precibus sacrata, populum sanctificat atque mundat. Et, si sale asperso per Elizæum prophetam sterilitas aquæ sanata est ; quanto magis divinis precibus sacratus sal sterilitatem rerum aufert humanarum, et coinquinatos sanctificat, atque mundat, et purgat, et cætera bona multiplicat, et insidias diaboli avertit, et a phantasmatum versutiis homines defendit, etc. Epist. I, c. v, in Corpor. jur. canon., dist. III, De consecrat., tit. XX, p. 1282, édit. in-4.

 

Voilà donc, au second, siècle, c'est-à-dire à une époque où, de l'aveu même des protestants, l'Église romaine était pure de toute superstition et de toute erreur, un vicaire de Jésus-Christ qui fait de l'eau bénite et qui rappelle l'ordre d'en faire, donné à tous les prêtres du monde catholique. Qu'en dis-tu ? N'est-ce pas là, pour l'eau bénite chrétienne, un assez joli quartier de noblesse ? Mais peut-être trouves-tu qu'à la chaîne de la tradition, qui va du pape saint Alexandre à Notre-Seigneur, il manque un anneau. Je vais te le découvrir.

Dans le livre des Constitutions apostoliques, saint Clément, disciple et successeur de saint Pierre, attribue à l'apôtre saint Matthieu lui-même la formule de l'eau bénite. « A l'égard de l'eau et de l'huile, j'établis, moi Matthieu, que l'évêque bénisse l'eau et l'huile. S'il est absent, que ce soit le prêtre en présence d'un diacre. Quand c'est l'évêque, qu'il soit assisté d'un prêtre et d'un diacre, et

 

Sans hésiter, l'Église catholique attribue au pape saint Alexandre l'institution et l'usage réguliers de l'eau bénite : elle lui en fait un titre de gloire: « Decrevit ut aqua benedicta sale admixta, sacris precibus interpositis, tam in templis quam in cubiculis ad fugandos dœmones perpetuo asservaretur. Brev., Rom., Suppl. 11 mai.

qu'il fasse cette prière : Seigneur des armées, Dieu des vertus, Créateur des eaux et donateur de l'huile, plein de miséricorde pour les hommes, qui avez donné l'eau pour boire et pour purifier, et l'huile pour répandre la joie sur le visage et dans le coeur, vousmême, en ce moment, sanctifiez par Jésus-Christ cette eau et cette huile, au profit de celui ou de celle qui les offre et donnez-leur la vertu de rendre la santé, d'éloigner les maladies, d'expulser les démons et de déjouer toutes leurs ruses : par Jésus-Christ notre espérance, avec lequel à vous gloire et honneur et au Saint-Esprit dans tous les siècles. Amen (1). »

 

(1) Lib. VIII, c. XXIX. Sur l'autorité des Const. apost., tu peux lire les dissertations placées en tête de l'édition Migne. Tu verras dans celle de Turrianus que ce savant critique confirme le fait en montrant combien il est convenable d'attribuer à S. Matthieu l'institution directe de l'eau bénite. Il venait d'être purifié, et sanctifié par la présence de Notre-Seigneur mangeant à sa table et disant aux pharisiens scandalisés, que les saints n'ont pas besoin de médecin, mais les malades. ldcirco valde accommodate inducta est persona Matthæi publicani, ad tradendam constitutionem sanctificationis aquæ et olei, quibus virtus sanandi morbos et fugandi dœmones, qui sæpe eorum causa sunt, tribuitur. - Le savant archev. de Salerne est du même senti ment. Hydragiol., sect. II, c. II, 175.

 

Sans doute, l'eau dont il vient d'être question n'est pas composée des mêmes éléments que notre eau bénite ordinaire. Il n'en reste pas moins que, dès le temps des apôtres, on bénissait de l'eau à laquelle on attribuait des vertus surnaturelles. Quant à notre eau bénite, rien ne serait plus facile que de rapporter, en faveur de son origine apostolique et divine, une foule de témoignages, échelonnés sur la route des siècles. J'aime mieux citer des faits. Ces faits sont les divers usages de l'eau bénite chez les premiers chrétiens, tant de l'Orient que de l'Occident. Je le ferai après avoir parlé des différentes espèces d'eau bénite et des éléments qui les composent. Prends patience: tu ne perdras rien pour attendre. Il y a trois espèces d'eau bénite. Comment, me dis-tu, trois espèces d'eau bénite ? Voilà qui est nouveau. Jusqu'ici je n'en ai connu qu'une, et je ne suis pas seul. Je t'avais bien dit que tu ne perdrais rien pour attendre. Oui, mon cher ignorant, nous avons dans le catholicisme trois espèces d'eau bénite : L'eau pour la consécration et la réconciliation des églises ; l'eau baptismale ; l'eau bénite ordinaire. Elles diffèrent entre elles, soit par la nature des éléments dont elles se composent, soit par la bénédiction spéciale donnée à chacune, en vue des usages auxquels cette eau mystérieuse est destinée.

1° L'eau bénite pour la consécration et la réconciliation des églises. Tu sais que la consécration des églises est une des cérémonies les plus imposantes de la religion. Cela doit être ; car elle a pour but d'affecter exclusivement un édifice non à l'habitation d'un empereur, mais au culte de Dieu1. Rien donc n'est plus respectable et ne doit être plus respecté qu'une église. L'église, c'est le ciel sur la terre. Telle est cependant la haine du démon et des hommes, ses esclaves, contre le Verbe incarné, qu'une Église est quelquefois violée. Elle l'est par certains crimes énormes qui peuvent s'y commettre. En voici quelques-uns : l'homicide volontaire, le suicide, l'effusion du sang humain, résultant de blessures graves et volontaires ; la sépulture d'un excommunié dénoncé, ou d'un infidèle ou d'un enfant mort sans baptême (2).

Or, l'eau bénite pour la consécration et la réconciliation des églises doit réunir les conditions suivantes : elle doit être bénite par l'évêque (3), et composée de quatre éléments : l'eau, le sel, la cendre et le vin (4).

 

(1) Consecratio ecclesiae est dedicatio ejusdem ad cultum divinum speciali ritu facta a legitimo ministro, ad hoc ut populus fidelis opera religionis in ea rite exercere possit. Ferraris, Biblioth., verb. Ecclesia, art. IV, n. 1.

(2) Ibid., n. 45. - L'église polluée, le cimetière adjacent l'est aussi, en sorte qu'on ne peut plus enterrer ni dans ce cimetière ni dans cette église ; ni dire la messe, ni célébrer les offices dans cette église, avant qu'elle ait été réconciliée.

(3) Corp. jur. canon. Decretal., lib. III, tit. XLI, p. 513.

(4) Pontifical. Rom., De Eccles. et cænaet. reconciliat.

 

Pourquoi ces quatre éléments ? Ici, mon cher Frédéric, j'éprouve les sentiments de l'avare qui, voyant un trésor, ne peut y puiser au gré de ses désirs. Dans le choix de ces quatre éléments, pour l'eau de la consécration, l'Église montre une connaissance si profonde des choses divines et humaines, et des rapports mystérieux qui unissent le monde visible au monde invisible, qu'on est réduit à l'admirer en silence. Cependant, si je brisais ma plume, tu ne serais pas content. Je vais donc la tailler à neuf, et essayer de t'instruire en m'instruisant moi-même.

Pourquoi l'eau ? L'eau, tu le sais, est l'élément purificateur par excellence (1). Par le rôle immense qu'elle joue dans la nature, et que tu connais, se révèle la noblesse de cette créature mystérieuse. Or, le chrétien est le temple vivant de l'auguste Trinité : c'est un de ses plus beaux titres de gloire. Le temple matériel n'est que son image. C'est par l'eau que le temple vivant est formé, purifié, consacré. Quoi de plus naturel que le temple-figure soit formé, purifié, consacré par le même élément ? Bien mal doué d'esprit et de coeur, l'homme qui ne verrait pas, qui n'admirerait pas ici une de ces belles harmonies, si fréquentes dans les œuvres de Dieu et dans les institutions de l'Église.

 

(1) Nullum esse elementum aliud, quo in hoc mundo purget universa ac vivificet cuncta quam aquam. Raban. Matiras, In Instit. cleric., lib. II, c. LV.

 

Pourquoi le sel ? Je te dirai peu de chose aujourd'hui de ce nouvel élément. L'occasion d'en parler avec détail viendra lorsque nous expliquerons l'eau bénite ordinaire. Donner de la saveur aux aliments, figure parmi les propriétés les plus incontestables du sel.

Si riche d'or et de marbre qu'elle soit, si artistement travaillée que tu la supposes, une église non consacrée n'est aux yeux de Dieu qu'un édifice comme un autre. Là, rien qui attire un regard particulier de complaisance, de la part du Très-Haut. Profanée, elle devient un tas de pierres souillées qui provoque sa colère.
Si tu avais eu à symboliser le plaisir que Dieu prend à habiter dans nos temples, plaisir analogues celui qu'on éprouve en mangeant un aliment dont le sel a corrigé la fadeur, quel élément aurais-tu choisi ? Pour moi, j'aurais choisi le sel; si tu en trouves un meilleur, tu me le diras. En attendant, je soutiens que l'Église se connaît en symbolisme, un peu mieux que notre siècle ne se connaît en civilisation et en liberté.

Pourquoi la cendre ? Chez tous les peuples, la cendre fut le symbole énergique de la douleur et de l'humilité. Job raconte ses malheurs : « Hier opulent, aujourd'hui réduit en poussière. II m'a saisi par la tête, il m'a brisé, il m'a pris pour sa cible, il m'a criblé de blessures, il a fondu sur moi, comme un géant1. » Afin de symboliser cette douleur incomparable, que fait Job ? « J'ai cousu un sac sur ma peau, et j'ai couvert ma chair de cendres (2). » Peutêtre lui est-il échappé contre Dieu quelques paroles inconsidérées. Il s'en fait un reproche et il s'humilie en se couvrant de cendre et de poussière (3).

Comme un ouragan dévastateur, Holopherne, à la tète de son armée, approche de la Palestine. Au lieu d'appeler et de courir aux armes, que font les prêtres du Seigneur ? Ils se couvrent la tète de cendre ; et sous cet emblème de l'humilité, ils offrent des holocaustes au Dieu d'Israël. Holopherne déploie ses bataillons devant Béthulie. Que font tous les habitants ? Ils se prosternent la face contre terre et répandent de la cendre sur leurs têtes. Que fait Judith elle-même, l'héroïne de Béthulie et la future libératrice de son peuple ? Elle entre dans son oratoire, se revêt d'un cilice, répand de la cendre sur sa tête et en cet état se prosterne devant Dieu (4).

Par la perfidie d'Aman, tout le peuple juif est condamné à l'extermination. A cette nouvelle, qui lui brise le coeur, Mardochée se couvre la tête de cendres et fait pénétrer ses gémissements jusque ans le palais d'Assuérus (5). Les valeureux soldats de Judas Machabée se voient tour à tour en présence des armées formidables d'Antiochus, ou en face des ruines que ces païens ont faites à Jérusalem et dans la Palestine. A ce double spectacle, ils déchirent leurs vêtements et se couvrent la tête de cendre (6).

 

(1) Job, XVI, 13, etc.

(2) Ibid.

(3) Ibid., XLII. 6.

(4) Judith, VI, 16 ; VII, 4 ; IX, 1

(5) Esth., IV, 1.

(6) Mach., III, 47.


Pour abréger, le roi de Ninive, menacé de périr avec tout son peuple, demande grâce. Afin de l'obtenir, il déchire ses vêtements et, au lieu de trône, s'assied dans la cendre (1) .

Tu sauras, mon cher ami, que je n'ai pas trouvé dans l'Écriture une seule circonstance, où l'homme, s'humiliant dans la cendre, ne soit exaucé. D'où vient cela ? Je vais te le dire. En se couvrant de cendre, l'homme se place dans son véritable rapport avec Dieu ; il se met dans la vérité. Avec Abraham, il se définit lui-même et s'appelle, ce qu'il est en réalité, cendre et poussière (2). Ainsi, est éloigné le plus grand répulsif de la grâce, l'orgueil. L'amour paternel de Dieu, ne trouvant plus d'obstacle, s'épanche sur l'homme en miracles de pardon, de courage, de délivrance, suivant le besoin pour lequel il est invoqué.

 

(1) Jon., III, 6.

(2) Omnes homine terra et cinis. Eccli., XVII, 31.

 

Ai-je besoin de te rappeler que l'Église, fidèle gardienne des traditions universelles, a retenu cette salutaire pratique ? Lorsqu'elle ouvre la carrière de la pénitence, en répandant de la cendre sur la tête de ses enfants, elle perpétue un usage que son antiquité, sa haute éloquence et son efficacité rendent également vénérable.

Elle le perpétue d'une manière plus éloquente encore, lorsqu'elle mêle de la cendre à l'eau de la consécration. Ici, cette cendre symbolise, non l'humilité d'un homme ordinaire ou d'un peuple, mais l'humilité de l'homme-Dieu, du représentant de l'humanité tout entière ; humilité sanctifiante et réparatrice, qu'il a poussée jusqu'à l'anéantissement de lui-même, exinanivit semetipsum. Je te demande, mon cher ami, quelle puissance doit avoir sur le coeur du Père des miséricordes, cette cendre, symbole de son Fils incarné, son égal, volontairement devenu cendre ?

Pourquoi le vin ? Si dans l'eau de la consécration la cendre représente l'humanité du Verbe, le vin, symbole de joie, de force et de vie, représente sa divinité. Il est là pour dire que, par sa divinité, le Verbe réparateur communique à l'eau, au sel, à la cendre, la vertu surnaturelle de sanctifier ce qui était profane, de purifier ce qui était souillé.

Que le vin soit le symbole de la Divinité et de son action également puissante et salutaire, la preuve en est que le vin opère sur le corps ce que Dieu même opère dans l'âme. Suivant Varron, vin vient de force : Vinum a vi dictum. Représentant de la force par excellence, « le vin, dit saint Chrysostome, donne de l'énergie à l'estomac, il répare les forces, il bannit la tristesse, il répand la joie, il entretient l'amitié. C'est pour cela qu'il a été créé, et non pour l'ivrognerie (1).» Or, qui fait tout cela dans l'ordre moral ? Dieu et Dieu seul.

« Le vin, ajoute un admirable commentateur, a été donné aux hommes pour remplacer l'arbre de vie. Il est l'image du Verbe incarné. De même que dans le bois de la vigne, bois faible et méprisé, se trouve un suc d'une puissance extrême et d'une bonté ravissante ; de même dans l'humanité de Notre-Seigneur habite la plénitude de la Divinité, principe de vie qui a enivré le monde de sa puissante vertu (2).

 

(1) Homil. de Castitate; et Eccli., XXXI, 35.

(2) Vinum pro ligno vitae hominibus datum est, ut cor exhilaret, spiritum reficiat, mentem excitet, vitam foveat, et sicut in vite, id est, ligno vili et despecto, ictus est succus efficacissimus et optimus : ita et in Ecclesia est gratia Christi, quæ per viles et pauperes apostolos, totum mundum inebriavit sua efficacia. Ad hæc, hoc vinum germinat virgines, scilicet purissimas et immortales : virgo enim semper virens symbolum est immortalitatis. Corn. a Lap., in Ezech., xv, 2. - Vinum ita vires hominis reficit et recreat, ut non tantum lac senum, sed lignum vitæ, imo vita hominis dici possit. Id., In Osee, x, 1.

 

Telles sont les raisons des quatre éléments employés dans l'eau bénite pour la consécration et la réconciliation des églises. Sans plus de détail, ces courtes explications suffisent pour te confirmer dans la pensée que l'Église, ta mère et la mienne, ne fait rien sans bons motifs ; que son culte est le plus riche symbolisme qui ait jamais existé, et que les critiques dont il peut être l'objet prouvent mathématiquement l'ignorance de ceux qui les font.

Au reste, tout ce que je viens de dire des éléments de la première espèce d'eau bénite, est nettement exprimé dans les magnifiques prières de l'Église. Richesse de fond et beauté de forme, tout se réunit dans ces chefs-d'oeuvre liturgiques, qu'une éducation absurde prend à tâche d'ensevelir dans un coupable oubli.

Là, sont rappelées les vérités fondamentales de l'histoire du genre humain: la chute et la réhabilitation ; les miracles dont l'eau a été, depuis l'origine du monde, l'instrument préféré, dans l'ordre moral comme dans l'ordre physique. Tout cela est dit dans un langage si gracieux, si poétique, si harmonieux, si transparent, qu'il fait pâlir les passages les plus vantés des littérateurs profanes. Je t'envoie le texte de cette prière (1), pour l'instruction de ceux qui osent dire que le latin de l'Église est un latin de cuisine. Les malheureux !

 

Tout à toi.

 

(1) Sanctificare per verbum Dei, unda cœlestis, sanctificare, aqua calcata Christi vestigiis; quæ montibus pressa non clauderis; quæ scopulis illisa non frangeris; quæ terris diffusa non deficis. Tu sustines aridam, tu portas montium pondera, nec demergeris ; tu cœlorum vertice contineris ; tu circumfusa per totum lavas omnia, nec lavaris.

Tu fugientibus populis Hebræorum in molem durata constricta es; tu rursum falsis resoluta vorticibus Nili accolas perdis, et hostilem globum freto sæviente persequeris : una eademque es salus fidelibus, et ultio criminosis.

Te per Moysen percussa rupes evomuit, neque abdita cautibus latere potuisti, cum majestatis imperio jussa prodires : tu gestata nubibus imbre jucundo arva fœcundas.

Per te aridis æstu corporibus, dulcis ad gratiam, salutaris ad vitam potus infunditur.

Tu intimis scaturiens venis, aut spiritum inclusa vitalem, aut succum fertilem præstas, ne siccatia exinanita visceribus solemnes neget terra proventus. Per te initium, per te finis exultat ; vel potius ex Deo est, tuum ut terminum nesciamus ; aut tuorum, omnipotens Deus, cujus virtutum non nescii, dum aquarum merita promimus, operum insignia prædicamus.

Tu benedictionis auctor, tu salutis origo : te suppliciter deprecamur ac quæsumus, ut imbrem gratiæ tuæ super hanc domum cum abundantia tuæ benedictionis infundas; bona omnia largiaris ; prospera tribuas; adversa repellas; malorum facinorum dæmonem destruas ; angelum lucis amicum, bonorum provisorem defensoremque constituas. Domum in tuo nomine cœptam, te adjutore perfectam, benedictio tua in longuet mansuram confirmet. Pontif. Rom., De Consecrat. eccl.

 

 

 

NEUVIÈME LETTRE.

Ce 5 octobre.

 

SECONDE ESPÈCE D'EAU BÉNITE : L'EAU BAPTISMALE. - ÉLÉMENTS DE L'EAU BAPTISMALE : L'EAU, L'HUILE DES CATÉCHUMÈNES, LE SAINT-CHRÊME. - L'EAU : BELLE HARMONIE ENTRE LA CRÉATION DU MONDE ET LA CRÉATION DU CHRÉTIEN. - RAPPORTS DE L'EAU BAPTISMALE AVEC LA SAINTE VIERGE. - RESPECT DES SIÈCLES CHRÉTIENS POUR L'EAU BAPTISMALE. - MANIÈRE DONT ON LA BÉNIT. - CIERGE ALLUMÉ. - L'HUILE DES CATÉCHUMÈNES. - HUILE D'OLIVIER ET NON DE PIERRE. - UN MOT SUR L'HUILE DE PÉTROLE. - EXPLICATION DU MOT CATÉCHUMÈNE. - PROPRIÉTÉS DE L'HUILE.

 

On vient de m'apporter ta lettre, mon cher ami. « J'ai         voulu, me dis-tu, lire de suite la prière Sanctificare, et vingt fois j'ai répété : Les malheureux ! Ils blasphèment ce qu'ils ignorent. Mes pauvres camarades raisonnent de la langue latine de l'Église, comme on a raisonné en Europe, pendant deux cent cinquante ans, de l'architecture chrétienne. Qui brisera la croûte de préjugés qui les aveugle ? Oh ! s'ils voulaient...»

 

Espérons que la vérité se fera jour. En attendant, continuons notre étude.

La seconde espèce d'eau bénite, c'est l'eau baptismale. Il y a dans le monde catholique deux jours, grands entre tous. Le premier est le jour de Pâques, immortel anniversaire de la résurrection du Verbe incarné. Le second est le jour de la Pentecôte, anniversaire non moins mémorable de la régénération du monde par le Saint-Esprit. Dès les premiers siècles, ces deux jours furent choisis pour l'administration solennelle du baptême (1).

 

(1) En voici les raisons dans Tertullien : Diem baptismo solemniorem Pascha præstat, cum et Passio Domini in qua tingimur, adimpleta est. Nec incongruenter ad figuram interpretabitur, quod cum ultimum pascha Dominus esset acturus, missi, discipulis ad præparandum : Inveniets, iniquit, hominem aquam bajulantem, paschæ celebranda locum de signo aquæ ostendit. Exinde Pentecoste ordinandis lavacris latissimum spatium est, quo et Domini resurrectio inter discipulos frequentata est, et gratia Sancti Spiritus dedicata, et spes adventus Domini subostensa, quod tunc in cœlos recuperato eo, angeli ad apostolos dixerunt sic venturum quemadmodum et in cœlos conscendit, utique in Pentecoste. Sed enim Jeremias cum dicit, Et congregabo illos ab extremis terræ in die festo, Paschæ diem significat et Pentecostes, qui est proprie dies festus. Cæterum omnis dies Domini est, omnis hora, omne tempus habile baptismo : si de solemnitate interest, de gratia nihil refert. De Rapt., c. XIX.

 

Comme élément de l'acte mystérieux qui donne à l'homme la vie divine, l'Église consacra, elle consacre encore une eau particulière : on l'appelle l'eau baptismale. Trois choses la composent : l'eau, l'huile des catéchumènes et le saint chrême. Pourquoi ces éléments et non pas d'autres ?

 

1° L'eau. Ici éclate une de ces belles harmonies dont nous avons déjà parlé. Le monde primitif est sorti de l'eau ; le monde régénéré sort aussi de l'eau. Planant sur les eaux de l'abîme, le Saint-Esprit en tira toutes les créatures que nous voyons; planant de nouveau sur les eaux du baptême, il en tire les nations chrétiennes, l'élite de l'humanité. Cette glorieuse destinée de l'eau est magnifiquement rappelée dans la préface que le prêtre chante auprès des fonts baptismaux, le samedi saint et la veille de la Pentecôte.

Afin de communiquer à l'eau la vertu d'engendrer des enfants de Dieu, il s'adresse au Père éternel, principe de toute paternité. « Que par les ordres de Votre suprême Majesté, lui dit-il, cette eau reçoive la grâce régénératrice du Verbe, sous l'influence du SaintEsprit. » A ces mots, il plonge la main dans l'eau et la divise en forme de croix. Ouvert par la toute-puissance de l'arbre Rédempteur, le sein de l'eau reçoit le Saint-Esprit qui la sanctifie et la féconde.

« Loin donc de cette eau, s'écrie le ministre de Celui qui peut tout, bien loin toute espèce d'esprit immonde ; loin toute fraude diabolique. Qu'aucune puissance ennemie n'essaye de corrompre cette eau, soit en voltigeant autour d'elle, soit en l'attaquant secrètement, soit en répandant contre elle son souffle empesté. »

Avant de continuer, remarque avec moi les rapports de l'eau baptismale avec la sainte Vierge. Comme Marie, il faut que l'eau baptismale soit vierge, c'est-à-dire sans aucun mélange artificiel d'éléments étrangers. Comme Marie, il faut qu'elle soit sanctifiée par la sainte Trinité, c'est-à-dire soustraite à toutes les influences du démon et dotée de propriétés supérieures à sa nature. Comme Marie, il faut qu'elle soit fécondée par le Saint-Esprit. Ces conditions remplies, l'eau baptismale enfantera les frères du Verbe incarné, comme Marie enfanta le Verbe lui-même.

Aussi, de quel aspect les siècles chrétiens ont entouré l'eau baptismale ! C'est pour conserver dignement cette eau divinement maternelle, que furent construits les superbes baptistères de Pise, de Florence, de Rome, et tant d'autres : chefs-d'oeuvre d'art dont les chrétiens justifiaient la magnificence, par l'inscription en grandes lettres d'or, gravée au frontispice de ces monuments : Hic renascimur ad immortalitatem : ICI NOUS RENAISSONS À L'IMMORTALITÉ.

Cependant le prêtre prend possession de l'eau. Au nom de la sainte Trinité il la bénit, la divise et la répand aux quatre points du ciel. Puis, lui rappelant les grandes merveilles dont elle fut l'instrument, il lui prouve qu'elle peut et qu'elle va l'être d'une plus grande encore.

« Je te bénis, dit-il, créature d'eau, au nom du Dieu vivant qui, de la source du Paradis, te fit couler en quatre grands fleuves pour arroser toute la terre. Qui, dans le désert, d'amère te rendit miraculeusement douce, et qui te fit jaillir d'un rocher pour étancher la soif du peuple. Je te bénis par Jésus-Christ son Fils unique, qui, à Cana de Galilée, par un miracle de sa puissance, te changea en vin; qui marcha sur toi et qui, par les mains de Jean-Baptiste, fut baptisé par toi dans le Jourdain ; qui avec son sang te laissa sortir de son côté et ordonna à ses apôtres de baptiser par toi ceux qui croiront en lui.»

Afin qu'elle soit capable de produire ce dernier miracle, le plus grand de tous, le prêtre souffle trois fois sur l'eau, en formant le signe de la croix et en disant à Dieu: « Bénissez de votre bouche ces eaux élémentaires, afin qu'à la propriété naturelle de laver les corps, elles ajoutent la vertu de purifier les âmes. »

 

D'où lui viendra cette vertu surnaturelle ? Du Saint-Esprit. Le prêtre le proclame par une éloquente cérémonie. Un cierge vient d'être allumé d'un feu nouveau. Il est l'emblème du Saint-Esprit qui, après être descendu sur la Vierge mère, descendit sur NotreSeigneur en forme de colombe et sur les apôtres en forme de langues de feu.

Le prêtre le plonge trois fois dans l'eau baptismale en chantant : « Que la vertu du Saint-Esprit descende dans la 
plénitude de cette fontaine et féconde toute la substance de cette eau pour la régénération. Qu'ici disparaissent toutes les tâches du péché; qu'ici la nature créée à votre image et reformée à la ressemblance de son auteur, soit purifiée de toutes les antiques souillures, et que tout homme recevant ce sacrement de régénération, renaisse à une nouvelle enfance, ornée de toutes les grâces de la vertu. (1) »

 

(1) Pour toutes ces citations, voir Missale Rom., Sabb

 

De cette eau sainte on remplit les fonts baptismaux, après quoi on y ajoute de l'huile des catéchumènes et du saint chrême.

2° L'huile des catéchumènes. Voici le second élément de l'eau baptismale. Qu'est-ce que l'huile des catéchumènes, d'où lui vient ce nom et pourquoi est-elle employée dans l'eau du baptême ? Si tous les lettrés, fonctionnaires et journalistes qui prétendent diriger le monde, étaient obligés, sous peine de destitution, de répondre immédiatement à ces trois questions, vingt sur mille resteraient-ils en place ? on peut en douter. C'est une gageure que tu peux soutenir.

Tu peux soutenir encore qu'à leurs yeux une pareille ignorance n'est pas une honte. En effet, il ne s'agit que des éléments mystérieux qui concourent à la plus grande des merveilles, comme au plus grand des bienfaits, la régénération de l'homme déchu. Ah ! s'il était question de procédés chimiques pour fabriquer de l'engrais artificiel !

 

Quoi qu'il en soit, l'huile des catéchumènes est de l'huile d'olive, bénite par l'évêque, le jeudi saint. Il est de rigueur qu'elle provienne de l'olivier, et non d'un végétal quelconque ou d'une pierre. Oui, d'une pierre ; car la pierre donne de l'huile. A ce propos, laisse-moi placer ici un mot sur l'huile de pierre, appelée Pétrole, et dont l'usage commence à se répandre dans l'ancien et le nouveau monde.

Si tu avais vécu au dix-huitième siècle, qui déjà s'intitulait le siècle des lumières, tu aurais entendu les éclats de rire universels, provoqués par le savant M. de Voltaire, aux dépens de la Bible. Ne dit-elle pas que dans la terre promise les juifs feraient usage d'huile de pierre et même de pierre très-dure, oleum saxo de durissimo (1) ? Là-dessus, mille quolibets de meilleur goût les uns que les autres. Que penser d'un livre qui contient de pareilles absurdités ? que dire d'un peuple qui les croit ? Les récits bibliques sont au moins des contes des Mille et une Nuits. Les juifs et les chrétiens qui les acceptent sont une race voisine du crétinisme. Voilà ce que tu aurais entendu.

 

(1) Deuter., XXIII,13.

 

Or, tu connais l'adage : rira bien qui rira le dernier. Où sont aujourd'hui les crétins ? L'huile de pétrole est là pour éclairer le visage grimaçant de Voltaire ; comme la licorne , dont il s'est tant moqué, est là pour lui donner, avec son arme redoutable, la preuve sensible qu'il n'était, comme tous les incrédules, qu'un orgueilleux ignorant.

L'huile employée dans l'eau baptismale est l'huile des catéchumènes. Le mot catéchumènes veut dire Catéchisés, et le mot "catéchisés" veut dire personnes enseignées de vive voix et non par écrit.

Dans ce mot est une des belles pages de notre antiquité catholique. Tu sais que les patriarches enseignaient de vive voix à leurs enfants les vérités qu'ils avaient apprises de leurs pères. Te figures-tu Noé, Abraham, Jacob, assis sous un chêne séculaire, ou dans leur tente, environnés de leurs nombreuses familles et racontant avec la double autorité de l'âge et de la paternité, les grands faits de la création, de la chute de l'homme, de la rédemption promise ; les miracles éclatants opérés en faveur du peuple choisi ; les magnifiques promesses faites à sa fidélité ? c'était le catéchuménat de l'ancienne loi.

Plus solennel et plus touchant est le spectacle que présentait, aux premiers siècles de l'Église, l'instruction des catéchumènes. La plupart étaient des païens qui, touchés de la grâce, demandaient à devenir chrétiens. La prudence ne permettait pas de leur remettre nos dogmes par écrit. On se contentait de leur enseigner de vive voix, ce qu'ils devaient savoir pour être admis au baptême. De là leur nom de catéchumènes.

Vois-tu dans une grotte des catacombes, faiblement éclairée par de pauvres lampes en terre cuite, un évêque ou un prêtre aux cheveux blancs, souvent couvert des glorieux stigmates du martyre, entouré de futurs chrétiens, avides de connaître une doctrine, dont la profession publique devait presque toujours entraîner le perte de leurs biens, la rupture de leurs relations de famille et finir par les conduire à la mort ? Comprends-tu maintenant pourquoi le mélange de l'huile des catéchumènes dans l'eau baptismale ?

Guérir, éclairer, adoucir et fortifier, sont des propriétés de l'huile. Si l'Église la mêle à l'eau du baptême, si elle en fait des onctions sur la poitrine et les épaules du catéchumène et de l'enfant, elle leur dit : la grâce, dont cette huile est le symbole, va guérir votre âme de la maladie du péché; elle va éclairer votre entendement, adoucir, avec votre caractère, la croix que vous aurez à porter et fortifier votre courage. Athlètes de la vertu, candidats du ciel, je fais pour vous ce que les combattants aux Jeux Olympiques avaient soin de faire pour se préparer à la lutte.

Frères du Verbe incarné, appelé tour à tour agneau de Dieu et lion de la tribu de Juda, vous devez perpétuer ce double caractère. Où trouver des leçons plus éloquentes et plus utiles (1) ? Il me reste à parler du saint chrême, mais j'ai tant de choses à dire de ce troisième élément de l'eau baptismale, que mes explications formeront le sujet d'une nouvelle lettre. Si la petite poste, qui fait son service en poste, est fidèle à son poste, tu la recevras demain.

 

Tout à toi.

 

(1) Voir Durand, Rational., lib. VI, c. XLIV, et Pontifical, rom., in feria quinta, etc

 



27/01/2012
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