EXORCISMES ET POSSESSIONS

EXORCISMES ET POSSESSIONS

Les médecins et la démonologie, extrait de la conférence à la chaire d'histoire de la médecine en 1972 à Paris, de Dr Fineltain Ludwig Paris (France) le mercredi 4 août 1999 -modification N°11 du 22 août 1999-

 
   On peut schématiquement opposer deux groupes de médecins. 
   Les plus nombreux admettent l'oeuvre du démon. Ils reconnaissent la possibilité de mutations diaboliques de la lycanthropie. Ils approuvent la crémation des coupables. Parmi ceux ci, Paracelse dans son "De Natura", Ambroise Paré, en 1632 dans son livre "Des Monstres et Prodiges". L'impuissance masculine peut être l'oeuvre du démon. Il y décrit la lycanthropie. Un autre ouvrage du même style, "Sodomistes et athéistes" témoigne de la force de sa conviction. Bodin, juriste de son état, publie en 1580 un ouvrage qui eut un grand retentissement: "La démonomanie des sorciers traité ou la sorcellerie et réquisitoire contre les sorciers". Ce livre est d'une grande érudition: il se donne pour objectif la poursuite implacable des coupables. L'auteur de cet article, votre serviteur, estime qu'il existe encore des Bodin en cette fin du 20ème siècle! D'autres auteurs moins connus ont traité du problème: Witekind, Peucer (Des divinations), Borel médecin et chimiste en 1674. et Jacob Horstius, en 1525, dans le "De Aureo Dente", texte célèbre, où l'on peut lire: "Quant aux tempéraments, le diable s'attaque de préférence aux complexions mélancoliques et timides". 
   Le groupe des sceptiques est peu nombreux. Ils ont des ennemis en particulier Ambroise Paré. Ils sont qualifiés d'Amis des Sorciers. Parmi ceux-ci, Rapin, en 1661, fut témoin des phénomènes de possession d'Aumone et conclut "Nihil a demone pauca a morbo multa ficta". On compte enfin parmi ceux-ci les deux auteurs suivants qui nous intriguent le plus. Paulus Zacchias, médecin du pape, auteur du célèbre "Quaestio medico-legales" en 1651 et surtout Jean Wier. Nous examinons à diverses reprises le quatrième chapitre de son ouvrage "Praestigiis daemonum" paru en 1564 
   Le rôle des médecins, dans ces affaires de sorcellerie, est très effacé. Ils sont parfois appelés à se prononcer mais cela n'est pas systématique. Les médecins se sont prononcés sur le cas de François Rubat atteint d'un "état de fureur" en 1657. Les experts de la ville de Mâcon l'ont examiné pendant 6 mois, l'ont traité et ont accepté les causes surnaturelles. Ils ont conclu: "ou divines ou diaboliques ou magiques".


LES MEDECINS DU MOYEN AGE CONNAISSAIENT-ILS LA PSYCHIATRIE?     
   Fort peu! On trouve, cependant, des descriptions de maladies mentales chez Isidore de Séville au 14ème siècle dans le "Grand Coutumier" de Normandie ainsi que chez Henri de Bracton dans "De legibus et consuetudinus anglie" (réédition 1883). Les classifications y apparaissent variables, hésitantes et très limitées. Une multiplicité de dénomination témoigne de l'incertitude dans laquelle se trouvait les médecins de l'époque au regard des troubles mentaux. On retrouve le plus souvent les termes suivants: 
   Phrénitis et frénésie 
   Melancholia 
   Mania 
   Mais encore: 
   fatus, stultus 
   mente captus, 
   furiosis pour l'agitation, 
   amens et demens chez Isidore de Séville, 
   idiotes 
   et lunatici chez Paracelse 
   autant de termes qui circonscrivent les grandes catégories de troubles du comportement, beaucoup plus que le contenu des troubles mentaux. 
   Ces termes aboutissent, semble-t-il, à une triple catégorisation: 
   1. L'agitation excitation psychique 
   2. La dépression mélancolique 
   3. La débilité mentale. 
   Passons maintenant des procès de sorcellerie aux descriptions des personnages que nous ont laissées les médecins de cette époque. Nous verrons que la clinique psychiatrique apparaît avec quelque richesse à la faveur des observations de possédés et de sorciers. 


PORTRAITS DE MEDECINS ET DE JURISTES 
(Zacchias, Du Laurens et Zacchias)    

Paulus ZacchiasDu Laurent  
   Voici les portraits de quelques deux médecins de cette époque, Paulus Zacchias, médecin du Pape, Jean Wier élève d'Agripa et de Du Laurens. 
Paul Zacchias, médecin italien, naît à Rome en 1584 et meurt en 1659. Très admiré, médecin du Pape Innocent X, médecin des Etats pontificaux (Rotae Romanae), il publia des ouvrages considérés comme des classiques parmi lesquels nous citerons: 
   1. Dei mali hypocondria celebrite 
   2. In vito quara 
   3. Quaestiones medico-legales. Amsterdam 1651 in folio. 
   Dans ce dernier livre, le plus important de toute son oeuvre, Zacchias s'est occupé des questions de médecine légale. Il traite toutes les questions qui concernent la grossesse, l'avortement, les morts non naturelles, l'empoisonnement, le suicide, les assassinats. Il y décrit aussi la folie, la folie réelle et les folies simulées, la démonomanie, les sortilèges, les prestiges, les maléfices et autres pratiques analogues. Son érudition est reconnue comme médecin expert en justice criminelle, mais encore comme théologien. Cet ouvrage n'a pas encore été traduit du latin, du moins à ma connaissance. Il constitue une source où l'on peut puiser tout à la fois des éléments d'une psychiatrie avant la lettre et des controverses à propos de la démonomanie. 
   Les origines de la psychiatrie, comme discipline médicale, sont donc inséparables des études et des expertises relatives aux procès de sorcellerie. Jean Wier

   Jean WIER nous fournit l'essentiel de notre documentation. Jean WIER, médecin des Pays-Bas, dont le vrai nom était Weiher naît à Grave, sur la Meuse, en 1515 et meurt en 1588. Il est donc l'aîné de Zacchias. Le célèbre Cornelius Agripa, de Nettersheim, s'est chargé de sa formation. Agripa mourut en 1535. Wier avait 20 ans. Il se rendit en France pour étudier la médecine. Il fit plusieurs voyages surprenants: d'abord en Afrique, puis dans le Royaume de Tunis et enfin dans plusieurs contrées de l'Orient où il étudia les prouesses des magiciens et des sorciers. Il revint en Allemagne par l'île de Candie ou Kandy. C'est au retour de ce voyage qu'il publia son livre "De praestigiis daemonum" à Bâle en 1564. Très vite considéré comme l'ami des sorciers il ne manqua pas d'exciter contre lui la haine du clergé. La protection du Duc Guillaume, seigneur de Clèves, Juliers et Berg, esprit éclairé, protégea Wier des persécutions imminentes dirigées contre lui. Wier rend compte de l'injustice des supplices infligés à des malheureuses femmes accusées de sorcellerie. 
   Wier a également écrit des textes sur la fièvre, l'hydropisie, l'occlusion du col de l'utérus. Il a inventé une sorte de spéculum qu'il nomme "specilum" et dont il a laissé la description et le dessin. Il a, le premier, ponctionné les ascites! Il a étudié des dermatoses et la syphilis dans un livre intitulé "De morbo gallico" 
   Je vous propose une étude de son texte fameux "Des illusions et impostures des diables" pour mettre en lumière la position des "amis des sorciers". Voici le texte de Jean Wier extrait de "De Prestigiis Daemonum et Incantationibus ac Beneficiis". Dans le quatrième livre des "Histoires, disputes et discours" de Jean Wier ou Johannus Weyer, on trouve d'excellentes descriptions d'ensorcelées et de démoniaques. Cet ouvrage fameux ramasse en une somme un grand nombre de controverses qui opposaient donc Wier et son maître Agripa à toute une génération de médecins et de juristes, tels que Bodin qui approuvent la crémation, autant dire l'assassinat, des démoniaques. Rappelons à ce sujet que Bodin n'était pas un médecin mais un juriste. 
   L'ouvrage paraît en 1560, 1564 et 1567 avec, pour sous-titre: "Des illusions et impostures des diables, des magiciens infâmes, sorciers et empoisonneurs des ensorcelés et démoniaques et de la guérison d'iceux: item de la punition que méritent les magiciens, les empoisonneurs et les sorcières". 
   L'auteur possédait, sans doute, un courage exceptionnel pour publier cet ouvrage. Il ajoute à la plus grande érudition une verve savoureuse qui rappelle un peu Rabelais dans certains passages. Je soulignerai surtout la concision et la qualité des descriptions cliniques. Quelques phrases précises permettent de décrire une séméiologie et une situation en quatre à dix lignes. L'origine naturelle des faits prétendument démoniaques et le rôle possible de Satan est alors suggéré en une phrase. La rationalisation n'est guère pesante et le plus souvent l'analyse se déploie au niveau du bon sens (cf "l'explication des anorexies et vomissements des matières les plus rudes"). 
   Voici donc quelques extraits du Livre IV. Ces cas demandent aujourd'hui une explication essentiellement psychiatrique et psychanalytique des simulations et des crises hystériques. Des phénomènes hallucinatoires de la psychose hallucinatoire chronique apparaissent également mais finalement les psychoses délirantes ne sont pas aussi fréquentes qu'on pourrait l'imaginer. 
   Nous reviendrons sur l'apport spécifique de Jean Wier. Il conteste l'origine satanique des maladies de possession (de ceux qu'on croit atteints par les maléfices des sorcières). "Ces pauvres possédés et ensorcellés sont des victimes de leur imagination avivée par des tourments".


V- LE FLORILEGE DES CITATIONS DU "DE PRESTIGIIS DAEMONUM"    
   Page 486 et sq 
   Dans son 4ème Livre "auquel il est traité de ceux que l'on pense avoir été ensorcelés par les sorcières. 
   Page 501 
   Histoire mémorable d'une fille démoniaque, laquelle on disait être tourmentée par les sorcières 
   On s'aperçut qu'elle voulait vomir. "En sa bouche, au même instant que je commencay d'y ietter un oeil, j'aperceu un morceau de gros drap noir, lequel estait dessus la langue et sur lequel je mis incontinent la main. Mais afin que Satan laissast quelque opinion aux assistants que ce drap en estait sorti, il feignit une petite voix puérile non naturelle et comme inarticulée, par laquelle il sembloit que la fille dist que ce qu'elle avait jetté luy semblait amer". 
   Page 502 
   "Davantage ce malheureux bourreau avait peu auparavant excité un horrible et tragique spectacle, qui avait duré quelque temps en cette pauvre fille, et durant lequel nous apercevions sa bouche être tellement fermée qu'elle demeurait comme muette: l'on voyait aussi ses mains fermées estroitement, ses yeux tournez de costé, bref tout son corps estre misérablement affligé par un tremblement estrange. 
   Description de vomissements, mutisme et crises hystériques. 
   Pages 436-437 
   Chapitre XXX: Il advient quelque fois que même les preudes-femmes sont trompées par l'illusion des cauchemars ou incubes: ensemble un ridicule exemple de l'adultère d'un diable. 
   Pourquoi nous conclurons avec Iamblique que tout ce que les ensorcelez imaginent n'a autre vérité en action et en nature que les imaginations. 
   Chapitre XXXI: Que toutes les histoires sont fausses, pour lesquelles on pense prouver la copulation charnelle des diables. 
   Pages 440 
   "Incontinent du fond de la navire, il entendit la voix d'une vieille, qui s'accusait piteusement que, à cette même heure, elle avait eu affaire à un Incube en forme d'homme, ainsi comme dès plusieurs années auparavant elle avait de coustume: elle le priait aussi que puis qu'elle était cause d'un si grand mal, elle fust incontinent jettée en mer, et qu'ainsi des autres demeureraient sauvés par la miséricorde de Dieu. 
   Les délires de possession sexuelle, les hallucinations coenesthésiques, les jouissances fantasmées sont très classiques au cours des psychoses hallucinatoires chroniques. 
   "Si ceci est vray, cette femme peut bien avoir eu un Incube imaginaire en dormant" Dans cette phrase éloquente réside la théorie du phantasme que la psychanalyse a développée avec bonheur. Les phantasmes du rêve deviennent ici phantasmes délirants et hallucinatoires de la vieille. Ceci est en effet d'une observation si courante dans les psychoses délirantes chroniques, les psychoses hallucinatoires chroniques et la paranoïa des gouvernantes des auteurs classiques que je n'y y insisterai pas plus. Je vous demande seulement d'observer comment cette patiente développe une très forte culpabilité et il a fallu une circonstance particulièrement grave pour qu'elle exprime l'idée délirante. Ces patientes, très souvent, mènent une double existence: une adaptation excellente à la vie quotidienne d'une part, et un jardin secret délirant d'autre part, qui peut fort bien ne jamais être développé devant un tiers. C'est la paraphrénisation des délires. 
   page 539 
   "Histoire des religieuses de couvent de Nazareth à Cologne, lesquelles furent affligées par le diable. Après qu'elles eurent esté par plusieurs années affligées, géhennes et tempestées diversement et en plusieurs sortes par le diable, elles le furent encore plus prodigieusement et horriblement l'an mil cinq cent soixante et quatre, lors qu'entre un estrange spectacle, apparu souvent par une manière prodigieuse, elles estayent renversées par terre, le ventre en haut et rebussées comme pour avoir compagnie d'homme, pendant lequel acte tenoyent les yeux fermez, qu'elles ouvroyent après avec une grande honte, et comme si elles eussent enduré une grande peine". 
   Ici lisons-nous une fort bonne description de la crise hystérique simulant un rapport amoureux. 
   "Et aussi cette peste gaigna petit à petit et tout plus s'augmenta, lors que ces pauvres affligées commencèrent à avoir recours aux remèdes illégitimes". Or le commencement de toute cette calamité procédait de quelques jeunes hommes desbauchez, qui après avoir pris accointances, par un ieu de paulme prochain de là, avec une ou deux religieuses estayent depuis montez par dessus les murailles et avayent jouy de leurs amours. Mais depuis ayants desisté à cause que les moyens leur en furent ostez le diable cauteleux ouvrier gesta la phantasie de ces misérables et leur représenta souvent (comprenez que le diable substitua à la réalité les phantasmes de la présence masculine et de l'assouvissement sexuel) les semblances de leurs paillards et manifesta aux yeux d'un chacun l'ignominieuse vilenie de ces mouvements vénériens."



23/02/2012
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