EXORCISMES ET POSSESSIONS

EXORCISMES ET POSSESSIONS

Peut-on parler aujourd’hui d’un retour du diable ?

Patrick Dondelinger est enseignant à l’Université de Metz. Il a fait une thèse conjointe d’anthropologie religieuse et de théologie à la Sorbonne et à l’Institut Catholique de Paris intitulée ''L’exorcisme des possédés selon le rituel romain''. Rencontre.

Dossiers de la Bible : Peut-on parler aujourd’hui d’un retour du diable ?

Patrick Dondelinger : Le diable est la figure de toutes les peurs. Cette figure a toujours existé et il est bien difficile de parler d’un retour. Il serait plus juste de parler d’une modification. Le diable d’aujourd’hui n’est plus le diable biblique. Ce dernier faisait sens à partir d’un système religieux. Il était l’adversaire de Dieu et il était vaincu par lui. Il illustrait la toute puissance et la bonté de Dieu. De nos jours, le diable est devenu autonome. Nos contemporains vivent dans un monde désenchanté où il y a guerres, catastrophes et violences en tout genre. Ayant perdu la foi en la bonté de Dieu, ils voient le mal sans croire au bien. Le diable ne renvoie plus au salut de Dieu mais à la perte dans le mal. Parler du diable est une manière de conjurer le mal dont on se croit victime, mais cela ne fonctionne pas sans la foi en Dieu.

Qu’en est-il chez les jeunes ?
Beaucoup de jeunes manquent de repères. Ils sont fragilisés par la situation ambiante et aussi par une certaine mode de l’occultisme. Certains croient en l’existence du diable sans croire en Dieu. Une pareille situation était impossible il y a une trentaine d’années. Le diable aujourd’hui fait, de nouveau, sens. Il est une figure de la contre-culture. Quelques jeunes écoutent de la musique ''satanique'' ou pratiquent des rites sataniques. Mais ils sont marginaux et on ne doit pas accorder trop d’importance à ces phénomènes. Il semble que le sommet de la vague du spiritisme et du satanisme soit derrière nous.

Aujourd’hui, peut-on encore parler de cas de possession ?
Depuis 300 ans les cas de possession sont en net déclin en Occident. Il faut bien comprendre que la crise de possession est un symptôme, une manière d’exprimer un mal-être. Pour les anthropologues, c’est une mise en scène théâtrale qui traduit un conflit intérieur dans un contexte de répression, surtout sociale. Cette crise peut être provoquée par la présence de l’exorciste. Il provoque alors le symptôme qu’il veut guérir. De nos jours l’Église a pris ses distances avec de telles méthodes. On sait aujourd’hui que les grandes crises d’hystérie analysées par Charcot à la fin du 19e siècle étaient provoquées par Charcot lui-même.

Il n’y a donc plus d’exorcismes ?
Il y a encore des demandes d’exorcisme, mais elles viennent essentiellement de gens éloignés de l’Église, voire de musulmans ou de non-croyants. Ces personnes sont en prise avec le mal. Elles se disent persécutées, envoûtées. Elles demandent à être désenvoûtées et prêtent à la prière de l’exorciste une efficacité magique.

Et pourtant il y a des exorcistes dans presque tous les diocèses !
Ce n’est pas le cas en Allemagne où il n’y a ni exorciste ni exorcisme. En France l’immense majorité des exorcistes ne pratiquent jamais l’exorcisme. En Italie, c’est un peu plus fréquent mais aussi un peu plus baroque. Le principal travail des exorcistes français est d’accueillir et d’écouter des personnes qui souf-frent. Celles-ci pensent qu’il a les bonnes formules pour faire disparaître leur mal. L’exorciste essaye alors de voir ce qui ne va pas. Ni psychiatre ni psychothérapeute, il tente de remettre ces personnes face à Dieu. Mais elles sont souvent dans un état psychique tel qu’elles ne peuvent vivre de manière indépendante. Beaucoup présentent des déséquili-bres psychiques. Une argumentation rationnelle n’a pas de prise sur eux. L’exorciste peut cependant leur proposer un rite qui les rassure. Sa parole calme et rassurante, dite avec autorité, peut avoir des résultats bénéfiques. Mais il ne faut pas qu’il crée une dépendance de ces personnes ni à l’égard des rites ni à l’égard de sa personne.

D’après vous, le diable a-t-il une réalité objective ?
Il y a d’abord un fait objectif : on parle du diable. On pourrait introduire ici la distinction entre ''signifiant'' et ''signifié''. Le signifiant a-t-il une réalité objective ? Beaucoup de nos contemporains, y compris des théologiens, ont du mal à l’affirmer. Mais ce signifiant a une telle richesse qu’il est difficile de le liquider de façon simpliste. Il faut toujours se poser la question : ''Qu’est-ce qui est en jeu quand j’emploie le mot diable ?'' Ce mot permet à des personnes de dire leurs souffrances. C’est un premier pas vers la guérison. Le deuxième pas consiste à s’adresser directement à Jésus, en ayant recours à un intermédiaire autorisé de l’Église. La peur du diable recule au fur et à mesure que progresse la foi au Dieu de miséricorde révélée par Jésus-Christ.

Jésus pourtant a chassé le diable ?
Il ne faut pas confondre le diable et les démons possesseurs. Le diable est la figure de la séduction. Il est brillant (pensez à l’étymologie du mot Lucifer : ''porteur de lumière''). Véritable anti-logos, il connaît et cite les Écritures. Il suggère des choses qui semblent logiques. C’est le cas lors des tentations de Jésus. C’est le cas avec le serpent des origines qui est diabolique et non démoniaque. Jésus le vainc en faisant référence au Père. En ce qui concerne les démons, Jésus les chasse, mais ne pratique pas d’exorcisme dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui, avec conjuration et lutte contre les démons. Les Évangiles montrent la force tranquille de Jésus sur les puissances du mal. Notons par ailleurs que le verbe ''exorciser'' se trouve deux fois seulement dans les Évangiles. En Marc 5,7, le possédé ''adjure'' (verbe horkizô) Jésus pour qu’il ne le tourmente pas et les démons implorent Jésus pour pouvoir sortir de l’homme et se réfugier dans un troupeau de cochons : c’est un anti-exorcisme ! En Matthieu 26,63 le Grand Prêtre ''adjure'' (verbe exhorkizô) Jésus de dire s’il est le Christ, le fils de Dieu. Puis il se comporte comme un possédé en gesticulant et en déchirant ses habits. Les Évangiles ne manquent pas d’humour… qualité totalement absente dans la démonologie d’aujourd’hui !

Propos recueillis par Joseph STRICHER 




19/01/2012
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