L’une des dernières interventions du pape François avait de quoi surprendre l’homme moderne héritier de la pensée scientiste. C’est qu’elle parlait sans ambiguïté du diable, des démons et de l’action de ceux-ci dans le monde.
« Les démons, souvent, entrent « en sourdine » (dans l’homme), sans trop se faire remarquer à première vue… Ils commencent à faire partie de la vie. Avec leurs idées et leurs inspirations, ils aident cet homme à mieux vivre et ils entrent dans la vie de l’homme, ils entrent dans son cœur et de l’intérieur ils commencent à changer cet homme, mais tranquillement, sans faire de bruit », insistait vendredi 13 octobre 2017 le pape François lors de son homélie à la Maison Sainte-Marthe : « Ce mode est différent de la possession diabolique qui est forte : ceci, c’est un peu une possession diabolique “de salon”, disons cela, a-t-il souligné. Et ceci est ce que le diable fait lentement, dans notre vie, pour changer les critères, pour nous pousser vers la mondanité. Il s’immisce dans notre façon d’agir, et nous nous en rendons compte difficilement. Et ainsi, cet homme devient un homme mauvais, un homme oppressé par la mondanité. Et ceci est ce que veut le diable : la mondanité. »
Une croyance universelle
L’ensemble des traditions spirituelles témoignent de l’existence d’univers parallèles au nôtre, peuplés d’esprits. Toutes rapportent que depuis ces mondes parallèles, ces esprits agissent sur nos vies avec des motivations diverses. Certains sont bons et aimants, d’autres ont leurs intérêts propres et ne sont ni particulièrement bons, ni particulièrement mauvais, d’autres enfin nourrissent une haine féroce pour l’Humanité et la Création tout entière.
La particularité de ces esprits est d’influencer les hommes dont les pensées sont, à leur insu, directement suggérées par tel ou tel esprit. De pensant, avant la Chute, c’est-à-dire dirigeant ses pensées par le plein exercice de sa volonté, l’homme est devenu pensif. D’une maîtrise libre sur son être mental, l’homme est devenu le jouet d’un monde qu’il ne conçoit plus vraiment. À lui de reprendre le contrôle, à lui de s’harmoniser avec les plus élevées des créatures célestes en cherchant sciemment la Lumière et non en se complaisant dans les pulsions de mort induites par les esprits pervers.
L’homme contemporain balaiera ces considérations d’un revers de la main, les reléguant au rayon des superstitions dépassées. Pourtant, comme l’ont montré les travaux de l’ethno psychiatre Tobie Nathan, la croyance aux esprits et la gestion du rapport à ceux-ci permettent le règlement de nombreux problèmes et conflits.
D’ailleurs, à lire cet auteur, on pourrait presque dire que s’il existe des esprits et des entités démoniaques, il s’agit d’une aubaine pour l’humanité. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’homme n’est plus seul face à lui-même, mais s’inscrit dans la tragédie cosmique d’un univers vivant, multidimensionnel et densément peuplé. Loin de vivre une existence absurde, enfermé en lui-même sur un morceau de rocher inanimé, l’homme est en relation spirituelle et organique avec les multiples dimensions d’un Univers qu’il porte par ailleurs en lui. Perspectives pour une vie réenchantée et poétique.
La racine de nos maux
Les spirituels de toutes cultures ayant été confrontés aux entités mauvaises leur accordent un pouvoir principal : celui de jeter la confusion dans les consciences. De cette confusion résulte la plupart des maux qui sévissent aujourd’hui, dans une société où l’ombre se déchaîne : dépression, athéisme, fanatisme, angoisse, dénigrement de soi et des autres, colère injustifiée, refoulement, projection, haine et préjugés… Mais la racine de ces maux est toujours la confusion, le manque de clarté intérieure.
Dans cette perspective, la plupart des horreurs qui défigurent le monde ont une cause ultime extérieure à l’homme, ce qui le déculpabilise sans le déresponsabiliser, mais ce qui permet surtout d’amorcer un processus de guérison. L’Humanité dans son ensemble fait face à un seul et même adversaire ayant juré son malheur. Cette conscience seule devrait nous libérer et nous permettre d’être solidaires les uns des autres car nous sommes tous confrontés au même mal qui ne peut s’exprimer que par le biais de nos ombres intérieures non apprivoisées, qui ne sont que nos blessures et nos manques d’amour.
Et la psychanalyse ?
Cette position invalide-t-elle pour autant les travaux de Jung et de ses successeurs psychanalystes sur l’ombre intérieure ? Certes non, au contraire. Pour le psychanalyste, l’ombre est ce substrat constitué de refoulements, de frustrations, de blessures et de non-dits qui s’accumulent au fil des années jusqu’à se retourner contre leur porteur. L’ombre se déverse alors dans le conscient : c’est l’angoisse ou la dépression.
Pour Jung, il ne faut pas combattre son ombre, mais au contraire la reconnaître comme faisant partie de nous. Cette démarche de connaissance de soi mène à l’apprivoisement de sa partie sombre. Loin d’y céder, loin de lui faire violence, on se permet de l’aimer comme la blessure à guérir qu’elle est. En ce sens l’injonction du Christ, « aime tes ennemis » s’applique avant tout à nous-mêmes et à la partie jugée honteuse ou répréhensible de notre être qu’il convient d’aimer comme partie de nous-mêmes et de l’apprivoiser afin de la transmuter et d’en libérer tout le potentiel créateur. Nous ne pouvons qu’être en accord avec ce point de vue. Sur le temple de Delphes, il était écrit : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’Univers et les dieux », la connaissance de soi reste l’étape essentielle sur le chemin spirituel et cette connaissance implique de reconnaître nos ombres.
Un combat bien réel
Le monde angélique et démoniaque est présent autour de nous et le combat de l’Ange contre Lucifer se joue également en notre cœur. Car s’il existe bien des entités mauvaises et extérieures à nous qui tentent de nous influencer psychiquement, il est évident que leur mode d’action est limité à nos blessures. Autrement dit, c’est par nos béances psychiques qu’elles parviennent à entrer dans notre existence et à s’exprimer. En ce sens, nous libérer de nos ombres par leur apprivoisement ne peut que nous protéger de l’influence des suggestions négatives qui viennent des profondeurs de l’Abysse. Le mal ne trouve alors plus de prise pour agir, l’équilibre et l’harmonie triomphent.
Loin d’être une attitude naïve, mondaine ou lénifiante, ce processus de guérison spirituelle est un combat spirituel quotidien dont l’enjeu est notre âme et dont nous ne pouvons sortir victorieux qu’en faisant appel au Christ sauveur.