EXORCISMES ET POSSESSIONS

EXORCISMES ET POSSESSIONS

Exorciser le Diable (Rome, années 1990)

Dans le diocèse de Rome et dans toute l’Italie, il semble que le Diable ait repris son travail de recrutement – d’une façon certes plus cachée et sournoise que nous le racontent les histoires de « sectes sataniques ». Il agit selon une méthode ancienne et traditionnelle : par la possession diabolique, et son cortège de troubles plus ou moins graves, de nature maléfique, que les exorcistes repèrent chez les très nombreux individus – essentiellement de sexe féminin – qui se tournent vers eux.

  • 1 Le corps semble au contraire se « désincarner » et passer au deuxième plan, dans la virtualité du r (...)

2Dans le jeu, décrit par Michel Foucault (1994, 1999), de déplacements et de redistributions des investissements religieux et médicaux dont le corps faisait l’objet, la possession semblait destinée à passer sous l’autorité de la compétence médicale, et à disparaître ainsi en tant que telle. Ernesto De Martino nourrissait les mêmes attentes, lui qui confiait aux progrès de la science, de la psychiatrie en particulier, la mission de balayer « la croyance en une causalité extranaturelle d’origine démoniaque » de maladies qui, aujourd’hui, peuvent être « expliquées sur le plan des altérations psychiques observées cliniquement et expliquées par des causes naturelles » (De Martino 1980 : 206). Alors qu’elle était destinée, selon la vision laïque et progressiste du siècle dernier, à devenir une survivance marginale, la possession diabolique semble pourtant bien avoir retrouvé aujourd’hui un espace d’expression dans les églises et les sacristies des grandes villes, où le travail de prêtres exorcistes l’a remise à la mode, comme un témoignage de la présence réelle de l’être diabolique. Présence qui envahit les corps avant d’envahir les âmes. Qu’il soit la proie de la possession diabolique, qu’il soit malade et cherche la guérison dans les lieux des apparitions mariales ou qu’il retrouve un espace d’expression émotionnelle dans la prière charismatique, le corps semble un « lieu » important où s’exerce un certain nombre de modalités contemporaines du rapport avec le sacré, dans un entrelacement où se nouent des orientations et des secteurs du monde catholique participant d’une spiritualité plus ou moins prudemment ouverte à des formes de mysticisme – auxquelles appartiennent les phénomènes diaboliques –, au visionnarisme, à la manifestation des charismes1.

  • 2 La recherche a été menée dans les années 1990-1991 et 1994-1996. Ses principaux résultats ont été p (...)

3J’ai eu la possibilité de m’approcher de cette réalité lors d’une recherche ethnographique sur la pratique de l’exorcisme catholique, centrée surtout sur l’observation des exorcismes effectués à Rome par don Gabriele Amorth, exorciste officiel2. Mon attention a surtout porté sur le dispositif rituel, entendu comme ensemble de techniques qui agissent sur les malaises les plus divers en proposant et en suggérant un comportement stéréotypé conforme au modèle de la possession diabolique et de la libération qui s’ensuit.

La construction de la possession

4L’exorcisme peut être considéré comme un dispositif symbolique destiné à construire rituellement la figure de la possédée du Diable, afin d’intervenir sur le malaise que ressent la personne. C’est un processus qui se déroule dans le temps : le comportement de la personne exorcisée se modifie au cours des mois ou des années. Ces « variations » (individuelles, temporelles) se placent toutefois dans un cadre relativement stable d’actions, de gestes, de mots, de formules, de prières, qui caractérisent le rite exorciste en tant que tel, ainsi que le comportement stéréotypé de la possédée. C’est donc par une analyse détaillée du rite dans sa forme codifiée qu’il nous faut passer pour entrer dans un domaine où l’opposition théologique entre Dieu et son adversaire prend littéralement corps, suscitant chez l’observateur une série de questions qui vont au-delà de l’objet spécifique et investissent les concepts de corps, d’âme, de personne et d’identité féminine dans la religion catholique.

  • 3 L’imposition de l’étole et les pressions, l’imposition de la main et l’ouverture des yeux, les souf (...)

5Pratique à laquelle la religion catholique recourt, entre autres, pour gérer un malaise interprété religieusement, l’exorcisme use d’une série d’opérateurs symboliques qui, dans la perspective ici adoptée, avant d’être des instruments « thérapeutiques » devant permettre la libération, apparaissent comme les moyens de la construction de la possession ritualisée elle-même. Ces opérateurs, théoriquement constitués d’actes et de paroles, consistent non seulement en des prières, des formules, des ordres et des actes codifiés, mais aussi en des objets et des substances, ainsi qu’en des actes non formalisés par le Rituel romain et en des entités surnaturelles directement mises en cause pour le succès de l’exorcisme3. Ils induisent chez l’exorcisée une série de réactions comportementales qui correspondent au stéréotype culturellement partagé de la femme possédée du démon. La relation entre de telles actions et le comportement de la personne soumise à l’exorcisme ne doit évidemment pas être entendue comme un rapport automatique de cause à effet ; il existe des variations individuelles dans les réponses, et l’officiant lui-même dispose d’une certaine liberté dans la manipulation des instruments d’exorcisme, fût-ce dans le cadre de la codification, relativement fixe, proposée par le rituel.

6Reprenant le titre d’un chapitre du livre d’Ernesto De Martino La Terre du remords, je considérerai donc ici « le rite en action », et donnerai une analyse dynamique du déroulement d’un exorcisme et de la structuration temporelle du traitement rituel. Les exorcismes sont en effet répétés plusieurs fois sur la même personne, à un rythme en général régulier, parfois durant des années. Le processus de production et de « soin » de l’influence diabolique se structure à la fois dans le temps bref du rite et dans la répétition des exorcismes.

  • 4 Ou l’on tente de réaliser, dans le cas d’un premier exorcisme.

7Dans l’examen de la séquence d’exorcisme, il est important de souligner que durant la première phase du rite, la plus longue, on réalise4, au moyen des instruments que nous avons évoqués, la conversion de différents symptômes de malaise – qui, au début, n’étaient pas forcément vécus comme démoniaques – en signes de l’influence ou de la présence du Diable. L’exorcisée assume, subjectivement et objectivement, le rôle de possédée, permettant ainsi aux armes rituelles et métaphysiques d’opérer avec efficacité contre la personnification du mal qu’elles ont elles-mêmes construite. Ainsi le rituel d’exorcisme se charge-t-il d’une fonction propédeutique déterminante : produire et reproduire la possession diabolique qu’il entend ensuite éliminer.

L’origine du mal

8Au commencement, la femme qui demande l’exorcisme a la possibilité d’exposer brièvement son problème, de façon souvent allusive. Il s’agit en général d’un mal ou d’un malaise, physique et/ou psychique et/ou spirituel, dont elle cherche tantôt une interprétation ex novo, tantôt la confirmation d’une interprétation déjà avancée par elle ou par d’autres. La personne se présente ainsi pour recevoir un traitement rituel en tant qu’individu souffrant. Comme tel, elle est traitée, durant cette brève phase exploratoire, par le prêtre, qui ne joue pas encore de façon bien définie le rôle spécifique d’exorciste. En demandant des informations et des éclaircissements, celui-ci apparaît comme un simple officiant qui entend secourir une personne en difficulté. Tout cela vaut pour n’importe quelle séance, y compris dans les cas où l’exorcisée est déjà connue et se soumet depuis longtemps à des exorcismes : les préliminaires sont le moment où l’on évoque son état de santé, le type de signes qui se sont manifestés après la dernière séance, sa situation familiale. L’exorciste s’enquiert parfois lui-même de ces informations, en même temps qu’il salue affectueusement l’exorcisée.

  • 5 Le cadre général que je synthétise ici n’exclut évidemment pas les autres possibilités spécifiques (...)

9Pour la plupart, les personnes qui se tournent vers don Amorth – mais le discours semble généralisable – ont commencé par supposer qu’un maléfice ou un sort jeté par quelqu’un se trouvait à l’origine du malaise ressenti. Ces personnes, bien qu’elles aient envisagé d’autres interprétations possibles du mal, en ayant éventuellement recours par ailleurs à la médecine ou à la psychiatrie, continuent, devant la persistance du problème, de considérer comme valide l’hypothèse selon laquelle elles sont les victimes d’une volonté mauvaise, agissant par le biais de moyens magiques. Avant de se tourner vers l’exorciste, elles s’adressent souvent à des leveurs de sorts. Si la fréquentation de ces derniers renforce l’interprétation magique, leur intervention n’apporte pas toujours de solution, ou bien des exigences inacceptables – trop lourdes sur le plan économique, ou impliquant de se livrer à des pratiques considérées comme dangereuses – obligent à interrompre la relation. C’est à ce moment que l’on a recours à l’exorciste5. On lui décrit le problème. Prudemment, on évoque avec lui l’éventualité d’un mauvais sort. L’exorciste donne plus ou moins de prise à ce soupçon, selon divers critères (la succession de coïncidences et d’événements « étranges » dans la vie de la personne, l’apparition en certains lieux d’objets ou de matières insolites, d’« évidentes » connexions entre certains individus et la manifestation de telle difficulté ou de tel événement, etc.). Surtout, il tiendra compte du comportement effectif du sujet durant le rite. Plus tard, si le sujet poursuit son parcours d’exorcisme, cet aspect reviendra plus rarement dans les dialogues avec le prêtre, qui s’efforcera surtout d’enquêter sur les effets de l’exorcisme et sur l’état général de l’individu, plutôt que de déterminer avec précision les causes magiques du mal.

  • 6 L’exorciste ne considère évidemment pas comme victimes du démon toutes les personnes qui s’adressen (...)

10Le prêtre partage cette idéologie magique, mais il fait d’elle une relecture qui procède dans deux directions parallèles : d’une part, il formule en termes diaboliques les causes du mal et ses manifestations, et, d’autre part, il tend à décrédibiliser les interventions des opérateurs magiques en les condamnant comme instruments du Diable, directement ou indirectement, et en proposant son aide comme seule assistance légitime et orthodoxe qui soit, pour un catholique6.

11Il est assez fréquent que des responsables du maléfice ou du sort se révèlent être des membres de la famille (la belle-fille, souvent, suspecte la belle-mère). Cela pose le délicat problème des conflits intrafamiliaux présents dans l’accusation. Durant la procédure d’exorcisme, ce problème n’est généralement pas traité directement. L’exorciste, dans son rapport avec le sujet, ne s’arrête guère pour préciser les causes et les agents du trouble maléfique ; dans la pratique, il procède essentiellement à la construction de la relecture diabolisante que l’on fait d’elles. Cette construction ne manque toutefois pas de produire des effets sur la nature même du rapport entre l’exorciste et le sujet : être reconnu et se reconnaître comme la victime du diable, voilà qui peut inviter à suspendre les soupçons et les accusations envers les membres de la famille, et confirmer sa propre étrangeté – déjà opérante dans la définition de soi comme victime d’un sort – en tant qu’acteur et/ou responsable des dynamiques interpersonnelles qui ont abouti à l’hostilité et aux conflits.

12Quand il n’a pas relevé de signes suspects de l’influence maléfique accompagnant l’exorcisme, don Amorth a une attitude différente. Dans certains cas, il accepte de manière implicite ou explicite l’hypothèse du maléfice comme cause du mal. Dans d’autres cas, il l’évacue comme un simple effet de l’imagination.

13L’exorciste agit donc avec prudence, sans toujours accepter les interprétations proposées par les sujets ; en même temps, parce qu’il partage avec eux un certain nombre de présupposés magiques, il parvient à replacer la vision magique populaire dans le cadre chrétien, et à la reformuler en termes d’agression diabolique, dans la perspective du salut.

Démonologie et croyances populaires

  • 7 De la même manière, le parcours thérapeutique des victimes de maléfices, dans le passé et aujourd’h (...)

14On retrouve dans nombre d’histoires de possession anciennes7 cette articulation entre des croyances spontanées et leur relecture diabolisante. On y voit en outre combien la démonisation des croyances et des pratiques folkloriques ne doit pas faire supposer quelque irréductible opposition entre les croyances des exorcistes et celles des possédées. Ce que souligne Carlo Ginzburg à propos des inquisiteurs et des sorcières, « qui participent à une vision commune de la réalité qui implique la présence quotidienne du démon, la possibilité d’avoir des rapports avec lui, et ainsi de suite » (Ginzburg 1986 : 15 et suivantes ; Ginzburg 1989), vaut aussi pour les exorcistes et les femmes possédées du démon.

  • 8 Parmi les multiples exemples historiques de croisement entre croyances, contentons-nous de rappeler (...)

15En outre, d’autres exemples – comme l’affaire Cangiano, étudiée par Jean-Michel Sallmann, qui s’est déroulée à Naples de 1586 à 1588 – montrent qu’il n’est pas rare de trouver une « collision de croyances d’origine différente, ou plutôt, l’insertion de croyances autonomes dans la mythologie démonologique » (Sallmann 1986 : 45). Entre la fin du xvie et le début du xviie siècle, l’Église, tout en combattant des abus dans la pratique de l’exorcisme, ne sembla pas s’opposer à ce que Giovanni Romeo appelle « l’accroissement des compétences des exorcistes » (Romeo 1990 : 148), qui peut aussi être interprété comme un processus de diabolisation de pratiques et de croyances populaires. Ce processus se retrouve dans d’autres cas des siècles passés, au niveau de la construction de l’interprétation du mal et du malaise8. Comme le souligne de façon pénétrante Michel de Certeau à propos des possessions de Loudun – mais l’observation vaut sur un plan plus général –, avec l’intervention des prêtres commence le travail de nomination des démons, qui permet d’établir un code ne présentant que l’apparence d’une individuation, d’une reconnaissance des démons ; il s’agit en réalité du processus inverse. « La nomenclature des démons pose une grille sur la surface des phénomènes. L’exorcisme a dès lors pour tâche d’arracher au mélange que lui présentent les possédées le corps propre, l’élément pur qui correspond au modèle conceptuel » (Certeau 1970 : 62). D’autre part, on observe fréquemment un écart entre le code démonologique officiel à travers lequel se manifeste la possession et le rôle que la possédée finit effectivement par incarner (un rôle prophétique, par exemple, dans le cas de Marthe Brossier et des possédées de Verzegnis), ou les « résistances » que, à l’intérieur même du modèle de la possession, les femmes opposent au dispositif d’exorcisme, avec des glissements d’une identité diabolique à l’autre, l’apparition de diables au nom populaire, le mutisme ou le retour à un état « normal » de la conscience.

  • 9 Une profusion de maléfices retrouvés et détruits par les exorcistes se trouve, par exemple, dans le (...)

16Ainsi, la façon dont les représentations magico-religieuses du mal, du malheur et des rapports avec le monde surnaturel s’articulent avec leur lecture catholique exprime, plutôt qu’une opposition nette entre des visions du monde, la possibilité de syncrétismes, de réadaptations et de raccords, mis en acte par le clergé durant des siècles d’histoire, selon la dynamique culturelle que nous a enseigné à reconnaître Ernesto De Martino (1993). Si aujourd’hui les croyances magiques restent inchangées quant au fond (l’exorciste se contentant de ramener les individus à une pleine vie chrétienne), leur imbrication durable avec la démonologie orthodoxe semble inscrire la possession diabolique, tout comme l’exorcisme, dans une durée longue, tandis que, pour ce qui concerne les maléfices et les sorts, les éléments de mutation paraissent secondaires. Certes, l’introduction de termes comme « négativité », pour indiquer des influences maléfiques mineures, peut être considérée comme une mise à jour du vocabulaire qui renvoie à des conceptions plus modernes, mais non moins populaires, de la circulation de forces négatives. Les éléments de mutation, cependant, doivent plutôt être recherchés dans d’autres aspects de la théorie démonologique et de la pratique de l’exorcisme : rapport avec les sciences médico-psychiatriques, caractère privé du rite et rapport avec les médias, etc. Comment ne pas voir, au contraire, dans la pratique de l’assistant de l’exorciste qui se rend dans les maisons pour identifier des objets et des espaces frappés de maléfices une version modernisée de la recherche attentive de maléfices que menaient jadis les exorcistes ? Aujourd’hui, la mission revient à un individu doté de charismes particuliers, selon l’idéologie charismatique, tandis que, dans les siècles passés, c’étaient les possédés eux-mêmes qui indiquaient les lieux où le sorcier présumé avait caché les maléfices ; dans les deux cas, toutefois, on retrouve le même dispositif mettant en relation le trouble diabolique avec de mauvais sorts ou avec des objets chargés de négativité, et réclamant leur destruction, que l’on accomplit de préférence par le feu et que l’on accompagne de prières9.

L’entrée dans la condition rituelle

17Immédiatement après le bref entretien entre l’exorciste et la femme qui le consulte, divers éléments commencent à entrer en jeu : c’est ainsi qu’opère ce que l’on peut appeler la « mise en condition rituelle », qui concerne tous les personnages présents, et principalement l’exorcisée.

18Durant la première période de mes observations, les exorcismes étaient précédés par une messe célébrée à l’église par don Amorth. Plus récemment, les séances ayant lieu ailleurs, la liturgie a disparu. Cette dernière, quoique non obligatoire comme on le voit, peut être considérée comme une étape préliminaire, comme un moment préparant graduellement le changement rituel destiné à s’achever au cours de l’exorcisme. Tandis que la participation à la messe est ouverte à tous, la possibilité de rester ensuite dans l’église sera limitée aux femmes à exorciser et à leurs éventuels accompagnateurs. Avec la fermeture de la porte d’entrée, celles-ci et ceux-là se retrouvent séparés du reste des fidèles comme du monde profane. Une telle séparation – également mise en acte, à sa façon, dans le nouvel espace où se tiennent désormais les exorcismes – place les personnes dans un contexte étranger à la vie quotidienne. La personne souffrante, en se présentant à l’exorciste, a déjà été introduite dans un espace (l’église) et un temps (la messe) sacrés ; durant cette phase préliminaire, elle peut avoir commencé à manifester des signes de « démonisation ». La même chose peut se produire, certes, quand espace et temps ne sont pas institutionnellement sacrés, mais elle se déclenche de manière certaine avec la présence de l’exorciste et la perspective du rite à venir. Quand la femme qui a demandé l’intervention entre dans la pièce, s’asseoit dans le fauteuil ou sur le lit, alors advient le passage à un lieu et à un temps déterminés : un lieu et un temps qui relèvent spécifiquement du traitement permis par l’exorcisme. Le processus d’introduction au rite se particularise et se centre sur la personne singulière.

19Sans sous-évaluer l’importance des phases préliminaires, il est nécessaire d’analyser les éléments qui, dans le contexte de l’exorcisme, assurent le passage à la condition rituelle. C’est dans ce sens que doivent être interprétées des opérations comme celles consistant à se débarrasser de tout ornement ou à se changer, comme cela se fait parfois avant le début du rite, ou encore l’administration de la communion, qui a pour effet d’anticiper la manifestation des premiers signes de la possession rituelle. Le rite d’exorcisme commence avec un signe de croix, l’aspersion de toutes les personnes présentes d’eau bénite, et la récitation en commun de prières introductives. Ces actes impliquent les participants, et ont pour objectif de leur assurer la protection au moment où ils entrent dans un contexte qui peut se révéler dangereux. Avant d’entrer en contact avec le surnaturel diabolique, on prend ainsi des mesures protectrices adaptées, qui, dans le déroulement du rite, sont les premiers éléments permettant la sacralisation des acteurs, du lieu et du temps rituels. En contraste avec la suite de la séquence rituelle, qui sera toujours davantage focalisée sur l’exorcisée, c’est ici toute l’Église, entendue comme communauté de fidèles et d’entités surnaturelles, qui est impliquée et représentée. En même temps, l’aspersion et les prières peuvent prendre, vis-à-vis de la personne souffrante, une autre signification. On considère que le Diable déteste tout particulièrement l’eau bénite ; comme le montrent les nombreux exemples offerts par la littérature, celle-ci est utilisée depuis toujours pour éprouver sa présence chez un individu. Le Diable, censé posséder la personne, réagit au contact de l’eau : c’est ainsi qu’il se révèle. Selon la valeur que lui attribue l’Église, l’aspersion constitue donc une première attaque contre l’être maléfique, qui commence de ce fait à se manifester. Les réactions de gêne de la femme que l’on exorcise doivent être interprétées en ce sens, de même que sa difficulté à réciter les prières. Ces deux attitudes entrent dans la catégorie plus vaste de l’aversion envers le sacré, caractéristique du comportement d’une personne influencée par le démon ; mais, dans la séquence d’exorcisme, aspersion et prières permettent de poursuivre la mise en condition rituelle. Graduellement, grâce aux instruments symboliques que lui offre l’exorciste, la femme exorcisée devient possédée. L’acceptation de ce rôle – auquel s’oppose celui du prêtre exorciste – se structure au cours des phases suivantes, au moyen d’actions, de paroles et de gestes qui sont spécifiques du rituel d’exorcisme.

La représentation rituelle

20La « représentation » rituelle débute. Assise dans un fauteuil ou étendue sur un lit, les chevilles parfois attachées, la victime de l’influence maléfique commence à se comporter différemment. Elle réagit aux gestes et aux paroles du prêtre : elle donne des signes d’irritation, tente de se soustraire aux manipulations, essaie d’agresser l’exorciste, lance parfois des imprécations contre lui ; elle émet des sons inarticulés, des cris, des lamentations – il lui arrive de pleurer parfois. Il se peut encore qu’elle reste silencieuse, seuls quelques signes corporels témoignant de la présence diabolique et de l’effet de l’exorcisme.

  • 10 Au contraire, l’identification ponctuelle des différents états de conscience semble essentiellement (...)
  • 11 Voir Gallini (2000 : XL).
  • 12 « D’autre part, la présence de veille ne disparaît pas complètement : elle se réduit à la simple fo (...)

21La respiration accélérée, le tremblement de la main, le mouvement de la tête ou les tressaillements des membres, la position affaissée dans le fauteuil, le durcissement de tout ou partie du corps, les yeux fermés ou révulsés, tous ces éléments peuvent être les signes corporels du changement en cours : la manifestation de la personnalité diabolique induite par l’entrée dans la condition rituelle. Ce que j’appelle l’« état rituel de la femme exorcisée » se caractérise par un changement d’attitude qui peut aller jusqu’à affecter l’état de conscience. Il faut préciser toutefois que de telles expressions sont le signe d’un processus dynamique de « transformation » qui ne se réduit pas à un état modifié (ou altéré) de conscience, et qui concerne, plutôt que l’état psychique du sujet, l’ensemble des éléments (techniques, instruments, comportements diversement stéréotypés) concourant à définir les acteurs et le contexte du rituel. Dans cette perspective, l’état de conscience modifié n’est qu’un des facteurs intervenant éventuellement dans la construction du rôle rituel, avec pour fonction de prédisposer le sujet. La question qu’il convient de poser concerne la relation entre l’état de conscience et le processus rituel. C’est précisément ce point qu’Ernesto De Martino entendait clarifier quand, dans son étude des pleurs rituels, il analysait l’état psychique de la pleureuse en action par le recours à la théorie janétienne de la dissociation et des automatismes (De Martino 2000)10. Il est alors moins essentiel de déterminer la nature de ce sur quoi le rite intervient, en remplissant une fonction de mise en ordre et de médiation, que d’analyser ce que produit le rite dans la condition psychique – la dualité relative de la présence –, et qui est la condition de son efficacité même11. L’« itération monotone des modèles culturels » du rite provoque l’atténuation de la « présence de veille », et l’établissement ou le maintien d’un « état oniroïde léger » que caractérise la « présence rituelle des pleurs »12. On retrouve cette dynamique psychique amorcée par le rite dans la possession diabolique, où il s’agit de mettre l’accent sur les modalités mêmes par lesquelles l’exorcisme effectue ce que De Martino appelle le processus de « déshistorification » rituelle, plutôt que de souligner tantôt la distinction entre des formes de possession que l’on peut ramener à des états de conscience divers, tantôt la dissociation psychique.

22Une sorte de somnolence, de transe ou d’évanouissement au début du rite, la disparition de cet état quand prennent fin les prières, et la capacité de réagir de façon appropriée aux actions d’exorcisme sont autant d’éléments qui permettent de penser que cette procédure rituelle pratiquée sur des sujets prédisposés détermine un état particulier de conscience.

23Cet état de suspension ou d’absence partielle, aux nuances nombreuses, est donc amorcé et comme construit par le rite, qui en définit les principales modalités d’expression, en les canalisant dans des formes stéréotypées interprétables comme un comportement diabolique. L’amnésie qui suit souvent l’exorcisme, indépendamment des interprétations psychologico-psychiatriques ou théologiques que l’on peut en faire, peut être considérée comme une manière de circonscrire et de limiter au moment rituel les manifestations du mal, qui suivent les formes prévues du langage diabolique. En permettant à la personne de ne pas s’attribuer la responsabilité de ce qui s’est produit au cours de la séance, en lui permettant de prendre ses distances avec les faits, l’amnésie donne à la conduite du sujet le statut d’un événement séparé. Elle facilite la ritualisation de la crise qui devrait conduire au dépassement du mal. Par ailleurs, si un changement plus ou moins profond du niveau de conscience peut favoriser le processus d’apprentissage inconscient ou semi-conscient du rôle de possédée, il ne paraît pas toujours déterminant pour l’efficacité de la « thérapie » rituelle : d’une part, les personnes présentant un état de transe dans lequel elles réagissent comme des possédées constituent la plupart des cas les plus difficiles à résoudre – elles ont besoin de séances rapprochées pendant des mois, voire des années –, d’autre part, des personnes qui apparemment ne présentent pas un état de conscience altéré adoptent elles aussi, durant l’exorcisme, un comportement interprétable comme l’effet d’une présence diabolique et trouvent souvent, assez rapidement, dans la représentation rituelle un moyen de régler leurs problèmes.

24L’état de conscience altéré des femmes exorcisées est donc stimulé et pris en charge par le mécanisme rituel, qui met en œuvre de multiples instruments aptes à favoriser l’apprentissage du rôle rituel.

La sortie de la condition rituelle

25Dans la perspective qui considère en premier lieu la possession diabolique comme une représentation dramatisée d’un malaise à travers la personnification d’un rôle, les éléments qui marquent la fin de la séance sont aussi fondamentaux que ceux qui l’ont inaugurée : poser une limite à l’espace et au temps de la mise en scène est un trait caractéristique de la représentation rituelle. Diverses composantes soulignent la conclusion du rite, et favorisent l’achèvement du processus symbolique de dédoublement chez l’être possedé. On les retrouve dans tous les cas traités, même si l’attitude de l’exorciste peut varier en fonction de la personne qu’il a en face de lui.

26Ces éléments sont : l’aspersion d’eau bénite, la consommation d’eau bénite par la femme exorcisée, les prières conclusives, le changement de comportement du prêtre vis-à-vis du sujet. Un autre geste de l’exorciste, les petites claques données sur le front, en fin de séance, pourrait figurer dans cette liste, à condition de fournir un certain nombre de précisions le concernant. D’abord, le prêtre n’a pas systématiquement recours à ce geste ; ensuite, il arrive qu’on l’observe durant le déroulement de l’exorcisme, pas exclusivement dans sa phase finale. Le recours à cette technique, différencié selon les sujets, semble renvoyer à la nécessité de solliciter leur « présence » lorsque le prêtre remarque une modification de leur état de conscience préjudiciable au succès de l’exorcisme. Dans cette hypothèse, on pose que, pour que l’exorcisme fonctionne, la personne doit demeurer « présente », de manière à pouvoir répondre aux sollicitations rituelles. Plus généralement, la collaboration de la femme exorcisée est fondamentale pour que soit obtenue sa libération ; on lui demande même, dans la séance d’exorcisme, une forme de participation qui ne peut descendre en dessous d’un seuil minimal d’attention, permettant, au niveau conscient ou inconscient, d’élaborer des réponses comportementales adaptées au contexte. Utilisées à la fin du rite, les petites claques auraient pour fonction de faire cesser l’état d’« altération » rituelle, en dirigeant la femme, avec d’autres instruments symboliques, vers le retour à un état ordinaire.

27Formellement, l’exorcisme se termine avec une deuxième aspersion d’eau bénite sur la femme exorcisée. Opération symétrique à celle du début, avec cette différence que, à la fin, seule la femme est aspergée d’eau. Que l’action se concentre ainsi sur le sujet du rite suggère qu’il ne s’agit plus seulement d’une forme de bénédiction – dont les autres individus présents peuvent se passer –, mais d’un instrument devant marquer la fin de l’état rituel de possession. S’il apparaît que la femme exorcisée n’est pas encore libérée – si elle continue à s’agiter, par exemple –, l’aspersion pourra être renouvelée.

Le jeu de rôles

28À partir de ce moment, l’exorciste se défait de son attitude autoritaire et agressive ; il adopte une conduite paternelle, consolatrice, affectueuse, il plaisante. Ayant fini d’incarner le rôle de l’exorciste tel que le prévoit le rite, il prend celui, plus général, du prêtre qui console, qui dédramatise et conseille. On ne peut évidemment pas considérer que s’opère en lui une véritable scission entre les deux rôles : dans ce contexte spécifique, la fonction d’exorciste demeure celle qui le caractérise ; en tant que tel, il s’assure que les prescriptions extra-rituelles sont observées, il exprime éventuellement son jugement sur le caractère diabolique ou non du comportement du sujet… Ce que je veux souligner, c’est que le changement d’attitude indique l’abandon du rôle codifié et rituel requis par la cérémonie, au bénéfice d’un rôle moins standardisé. Si, pour la femme exorcisée, l’exorcisme tout entier fonctionne comme l’apprentissage d’un rôle rituel, c’est d’abord parce que, dans la représentation, le célébrant du rite, qui tient lieu d’initiateur, représente à son tour le rôle opposé et complémentaire d’agent inspiré de Dieu. Puisqu’il est la personne qui mène le rite et qui, consciemment et institutionnellement, représente son rôle, l’exorciste en signale la fin en adoptant un comportement plus informel, ainsi qu’en accomplissant un certain nombre de gestes liturgiques.

  • 13 Par « soins », on entend des remèdes spirituels comme les prières, les sacrements, ou l’ingestion d (...)

29La femme exorcisée doit elle aussi sortir de son rôle – en l’occurrence, celui de possédée. C’est dans ce but qu’on la traite non plus comme une femme habitée par le démon, mais comme une personne qui souffre et qui a besoin de recevoir des soins13 et/ou d’être rassurée. Ainsi la nature de la relation entre exorciste et exorcisée se modifie-t-elle, en retrouvant des caractères plus profanes. Souvent, par la plaisanterie – vraisemblablement pour provoquer une baisse de la tension –, s’accomplit l’avant-dernière opération rituelle, qui n’est pas prévue par le Rituel romain mais qui appartient sous diverses formes aux pratiques populaires de guérison et de protection contre le mal : je veux parler de l’acte consistant à boire de l’eau bénite dans un verre préparé par l’assistant. En général, la femme exorcisée boit l’eau toute seule, comme le prêtre l’y invite ; si on l’en juge incapable, c’est l’exorciste ou son aide qui la fait boire. Comment cela contribue-t-il à opérer la sortie de la condition rituelle ? C’est là le premier acte que la femme se doit d’accomplir elle-même. Précédemment, elle faisait l’objet des manipulations physiques et symboliques du prêtre ; elle doit à présent agir sur elle-même en montrant qu’elle n’est plus, du moins rituellement, possédée par le Diable, ou qu’elle n’est plus sous son influence. Celui-ci, comme on le sait, craint le contact de l’eau bénite et le refuse. Accepter de boire l’eau, fût-ce avec difficulté, signifie, pour la femme exorcisée et pour l’exorciste, qu’il est possible de contrôler la présence diabolique ou d’agir contre elle. Si l’on suit la thèse interprétative de l’apprentissage rituel du rôle de possédée, ce geste offre la possibilité de se montrer capable de sortir du rôle. Lorsque la femme exorcisée n’est pas apte à boire seule, parce que le dédoublement ne s’est pas encore accompli, on l’aide ; si elle semble en difficulté et ne réussit pas à avaler l’eau en peu de temps, on la menace en plaisantant. « Laisses-en moi un peu », dit l’exorciste, sous-entendant que l’eau qui ne sera pas bue lui sera jetée sur la partie supérieure du corps. Il menace donc de poursuivre l’exorcisme. Ce n’est évidemment pas ce que désire la femme exorcisée, qui est parfois épuisée. Dans l’apprentissage progressif du rôle rituel, elle apprendra à interpréter le geste de boire l’eau bénite comme le signe de fin de la possession ritualisée, le signe du retour de la personne à elle-même. On peut en dire autant des prières finales. Le sujet, dans la plupart des cas, se lève comme les autres participants, et on l’invite à réciter les prières avec eux. Debout comme les autres, et s’unissant à la récitation chorale, la personne est réintégrée dans la communauté des croyants. Encouragée  à participer de manière active, elle redevient le sujet de ses propres actions. Cette fin, qu’un seul exorcisme ne permet généralement pas d’atteindre, est en tout cas représentée symboliquement dans les dernières actions rituelles qui, opérant la sortie de la condition rituelle de possédée, la replongent, graduellement, dans la condition profane.

  • 14 Pour celles qui s’étaient changées ou avaient retiré leurs bijoux, le retour au quotidien est marqu (...)

30Prennent place ensuite de brefs dialogues dont le contenu et le style réalisent, encore dans un contexte rituel, ce passage. Demander son avis à l’exorciste, parler de ses propres préoccupations, faire bénir des objets d’usage quotidien ou les reprendre de la table, faire part d’un projet d’aller en pèlerinage, parler de ses proches, montrer leurs photos (et éventuellement les faire bénir), demander l’approbation d’une conduite ou d’une pratique, voilà autant de façons pour la femme de se munir de moyens pour affronter de nouveau la vie « normale ». L’exorciste, à son tour, en formulant son diagnostic, en donnant des conseils, en s’informant sur la conduite chrétienne de son sujet, en le rassurant, en le prenant dans ses bras, en s’assurant que ses prescriptions sont observées, le ramène à la dimension quotidienne. Le ton plus détendu, amusant ou affectueux, que le prêtre adopte à présent – il le fut déjà partiellement au cours des dernières opérations rituelles – contraste avec le sérieux et la concentration de l’exorcisme à proprement parler. La femme exorcisée, fatiguée, confuse ou perplexe, qui se comportait auparavant en possédée du démon, s’exprime à présent simplement, comme une personne souffrante14. Selon le mal dont elle souffre, selon le type d’influence diabolique dont elle est la victime et selon le nombre d’exorcismes auquel elle a été soumise, elle sortira de la séance plus ou moins abattue, soulagée ou « libérée ». Elle aura appris, quoi qu’il en soit, à exprimer dans un code partagé son mal ou son malaise, sa part « diabolique ».

Un mouvement orienté

31Cette première reconstruction de l’exorcisme permet déjà de lire la séquence rituelle comme un mouvement orienté, dans une première phase, vers la production de l’être diabolique, puis, dans une seconde phase, vers sa domestication et son élimination. Si nous considérons les deux principaux acteurs – l’exorciste et l’exorcisée – de ce processus de construction de la possession ritualisée, nous voyons que, dans le déroulement du rite, se structurent successivement une série de couples en opposition :

32Par rapport au couple Diable/Dieu, en position centrale, les autres couples s’opposent, sur ce schéma, de façon symétrique, ce qui montre comment, au processus de production de l’être diabolique dans la première phase, correspond dans la seconde le processus inverse ; celui-ci, qui porte à son terme la personnification rituelle, préfigure aussi en un sens plus général la fin de la possession. Chaque fois se reproduisent une « identification » progressive de la femme exorcisée avec le Diable puis le mouvement contraire de « séparation » du sujet d’avec le rôle diabolique.

  • 15 Voir Segalen (1989), en particulier les essais contenus dans la section « Par symbolisme interposé  (...)

33La fin du rituel serait la libération : on peut la définir comme le rétablissement de la santé physique, psychique et spirituelle, c’est-à-dire la reprise d’une vie normale qui, avant, était dérangée ou entravée par des facteurs de divers types. Actuellement, il ne semble pas qu’un seul exorcisme puisse obtenir un tel résultat, même s’il présente une organisation structurelle et symbolique capable de proposer une interprétation en termes diaboliques et une solution en terme de libération. C’est dans la répétition des séances rituelles que se réalise pleinement le processus de production de l’être diabolique et d’identification à lui, et, ensuite, de disjonction. En tout cas, la décomposition en phases et la constitution des couples de figures opposées – proposées dans le schéma de lecture du rite – ne correspondent pas à des moments et à des rôles toujours immédiatement et à tout moment identifiables dans l’exorcisme. C’est de manière nuancée que se produisent les passages que nous avons repérés. En outre, ils ne sont pas nécessairement perçus comme tels par les acteurs du rite. Si l’idéologie de l’exorcisme – qui oppose les deux entités surnaturelles et représente, par un rite spécifique, leur lutte métaphysique en ce monde – justifie en partie le recours à cette disposition ordonnée des éléments observés au cours de la séance rituelle, il reste que pareille présentation est une tentative de dépasser les catégories interprétatives (fort différentes) forgées par les spécialistes du rite eux-mêmes comme par ceux qui en ont demandé l’exécution. On part, certes, de ces catégories, mais dans le but de retracer la logique et l’efficacité symbolique de l’exorcisme, qui, pour l’essentiel, n’opèrent pas au niveau de la conscience. Le problème qui se pose en ce cas spécifique est beaucoup plus vaste : il renvoie à l’explication et à l’interprétation anthropologiques des pratiques symboliques15.

Une logique symbolique

  • 16 Je reprends l’expression de Jean-Pierre Albert, qui l’a utilisée dans les séminaires tenus au Centr(...)
  • 17 Cela ne signifie pas que l’analyse anthropologique doive rechercher un sens caché, profond, selon l (...)

34Si le point de départ est la reconstitution de la logique du point de vue « indigène », l’étape suivante de l’interprétation anthropologique consiste en l’identification des catégories sensibles, des catégories culturelles, et surtout de leurs relations. Puisqu’il s’agit ici d’une pratique chrétienne, le détachement à l’égard des catégories indigènes devient détachement à l’égard des catégories interprétatives officielles fournies par la théologie, qui peut bien être considérée comme la théorie indigène du christianisme16. À cette théorie, dans son entier ou en partie, adhèrent ou sont amenés à adhérer les autres protagonistes du rite, parents proches ou accompagnateurs. En outre, il n’est pas aisé de leur faire saisir le fonctionnement d’ensemble du système symbolique où la pratique s’insère17.

35Claudine Fabre-Vassas et Daniel Fabre font bien le point sur ce problème en le situant dans le cadre de leur analyse critique de l’ethnologie du symbolique en France. Minimisant l’importance de l’assignation d’un sens à une pratique symbolique, ils soulignent la valeur de l’affirmation (théorique et méthodologique) selon laquelle « l’objet même de la recherche est le réseau de relations au sein desquelles tel acte fait sens, car c’est cet ensemble ouvert qui justifie les façons de dire, de faire, les croyances et les savoirs qui le constituent. Cet ordre est inexprimable par ses propres acteurs – «Ça se fait comme ça, c’est la coutume» – mais il leur permet à la fois de comprendre et de prendre position devant les évènements [sic], même les plus rares, de produire des actes et des commentaires adéquats, c’est-à-dire «sensés», de vérifier leur efficacité. Analyser, construire ces objets qui restituent la logique des acteurs dans l’ordre des pratiques et des représentations sur le monde naturel, spirituel et social, exige donc le passage à un mode de pensée relationnel et conduit à traverser sans cesse les catégories élaborées qui servent à classer et comprendre le monde et la vie sociale » (Fabre-Vassas & Fabre 1987 : 131-132) (voir aussi Claverie 1987 : 139-149).

36Ainsi le schéma proposé résulte-t-il d’une décomposition analytique de l’exorcisme, essentiellement centrée sur les relations entre comportements et actions des protagonistes, considérés dans la perspective de l’hypothèse initiale. Il tient lieu de grille interprétative à un premier niveau d’analyse. Reste à l’intégrer à l’examen d’autres aspects du rituel et de la répétition des séances.

Un rite de transformation

  • 18 On considère aussi que l’exorcisme, le baptême et l’extrême-onction règlent trois passages fondamen (...)

37En représentant un individu dans une situation limite qui confirme la validité salvatrice du rite sur les plans terrestre et surnaturel, l’exorcisme résume et condense le parcours rituel qui transforme cet individu en chrétien. La possédée est traitée à la fois comme une malade, proche de la mort chrétienne, qu’il faut protéger, et comme une femme déjà morte à cette vie spirituelle, qui doit être réinitiée (renaissance symbolique). C’est ce que montrent le recours, dans l’exorcisme, à des gestes, à des objets et à des substances spécifiques (comme une étole violette, le sel, l’huile des catéchumènes mélangée à l’huile des infirmes, les onctions et la désignation de parties du corps), et le rapport historico-liturgique de l’exorcisme avec d’autres rites catholiques – par exemple l’ancien effeta du baptême des catéchumènes et les diverses modalités de l’extrême-onction18.

  • 19 Je n’utilise pas la catégorie anthropologique classique de rite de passage (Van Gennep 1909), parce (...)

38L’exorcisme apparaît donc comme un rite de transformation19 à valeur initiatique. Cela s’exprime dans l’emploi des instruments spécifiques, qui assimilent la femme exorcisée à une baptisée et à une morte, mais aussi dans le fait que l’essentiel du comportement de possédée est appris lors du déroulement du rite, par l’emploi de tous les opérateurs symboliques mis en jeu par l’exorciste. Ce dernier sert d’initiateur au rôle diabolique de la possédée, en se plaçant comme la figure opposée – le représentant de Dieu doté des instruments sacrés – qui donne du sens à ce rôle. Rituellement produit et reproduit, celui-ci implique que l’initiation de la femme exorcisée ne concerne pas seulement le comportement stéréotypé, mais aussi l’acquisition de la capacité de le représenter dans les limites du contexte rituel. La femme exorcisée est initiée au langage démoniaque, au rôle rituel, et encore au dépassement de ce rôle, qui passe par la reconnaissance de l’efficacité des instruments d’exorcisme sur la figure diabolique. Quand le processus ne réussit qu’en partie, et que la possédée n’arrive pas à dépasser le seuil qui lui permettrait de retrouver définitivement la santé et d’achever la « thérapie » d’exorcisme, celle-ci est comparable à une femme qui aurait été initiée à un culte de guérison : elle reste dépendante du rite, à l’intérieur duquel elle peut continuer d’exprimer son mal, certaine qu’il sera reconnu et compris, et espérant qu’il puisse être éradiqué. Quand le processus réussit entièrement, l’initiation permet le passage d’un état de gêne ou de malaise à une sorte d’intégrité nouvelle, et parfois à l’acquisition d’un statut nouveau, celui d’une personne née de nouveau à la vie chrétienne.

La répétition des exorcismes

39Comment la possession ritualisée se structure-t-elle dans le temps ? Dans les cas suspects – afin de formuler un diagnostic fiable – comme en cas d’influence diabolique certaine – à des fins thérapeutiques, cette fois –, les exorcismes sont répétés à plusieurs reprises.

40Le point central, à examiner dans une perspective critique, est constitué par ces signes ou par cette disparition de signes que l’exorciste interprète comme des améliorations et présente comme telles au sujet. Il n’est pas possible d’analyser en détail la procédure rituelle qui entraîne la manifestation du mal et du malaise selon des formes stéréotypées (elle lui donne une forme, un nom et un sens pour pouvoir l’affronter et triompher d’elle ; elle crée pour cela un cadre rituel et une représentation précise de celui-ci). On peut toutefois noter la diversité des éléments présentés comme des signes positifs de la guérison ou de l’efficacité de l’exorcisme. Parmi eux, l’apparition de comportements significatifs durant le rite, jamais observés avant l’exorcisme ; les effets dont on suppose qu’ils ont été créés par le rite dans la vie ordinaire ; la disparition progressive de ces comportements ou des réactions d’aversion au cours des exorcismes répétés. Naturellement, le but ultime du rite est l’élimination de la possession et des comportements qui la révèlent. Son efficacité se mesure donc vraiment sur le long terme, en tenant compte de la réduction et de la disparition de ces comportements, plus que de la capacité de provoquer leur manifestation extérieure. En ce sens, les acteurs du rite peuvent déjà s’estimer en partie satisfaits si, quoiqu’ils n’aient pas obtenu la libération définitive, des « améliorations » ont été constatées.

41Interpréter de façon positive aussi bien la manifestation de signes stéréotypés que leur diminution ne paraît contradictoire qu’en apparence. Dans la perspective qui considère la possession comme l’expression codifiée et ritualisée d’un mal d’abord indéfini, on peut comprendre la cohérence de la logique du dispositif symbolique de l’exorcisme. L’attention que l’exorciste prête quasi exclusivement à l’évolution des signes au cours de l’exorcisme indique que, dans la représentation rituelle même, se joue la réussite de la « thérapie » religieuse. Celle-ci consiste d’abord en un processus de codification, de structuration et de représentation, en termes diaboliques, des dérangements et des souffrances qui ont mené le sujet à demander l’intervention de l’exorciste. C’est la phase qui correspond, du point de vue de l’exorciste, au moment où il fait sortir le malin à découvert, où il suscite des réactions aux divers instruments d’exorcisme qu’il met en œuvre. Une fois que la femme exorcisée a appris à se représenter comme possédée et à manifester rituellement, en se conformant au code qu’on lui a proposé, une série de signes où se transforme et se condense son malaise initial, elle sera en mesure, à long terme, d’expérimenter et de démontrer l’efficacité de ces instruments d’exorcisme. Elle ne montrera plus d’aversion et de signes de résistance, elle abandonnera progressivement son comportement diabolique. À cette évolution correspondent la diminution des forces ou la disparition des réactions à l’huile et à l’eau bénites – cela constitue ce que l’exorciste appelle une phase descendante. En définitive, on agit sur le mal en agissant sur sa représentation diabolisée.

42L’exorcisme apparaît donc comme le dispositif symbolique par lequel on induit chez le sujet la crise rituelle de possession. Son efficacité dépend de la réussite de l’apprentissage de son rôle par le sujet. Ainsi s’explique la nécessité de la répétition régulière des séances.

La représentation du rôle diabolique

43Sur le long terme, les exorcismes répétés présentent donc dans leur déroulement la même structure et la même logique symbolique que l’exorcisme isolé : le traitement rituel se structure en une extériorisation progressive de l’entité par laquelle le sujet est « possédé », puis en une identification avec elle, et enfin en un dédoublement.

44Sur la base des données ethnographiques, on peut reconstruire le développement stéréotypé du mal et la manière dont opèrent les instruments de l’exorcisme. Au-delà des différences entre les problèmes spécifiques et entre les histoires personnelles de possession des femmes exorcisées, on retrouve dans la plupart des exorcismes certaines étapes fondamentales. Bien souvent, lors des rapides exorcismes initiaux, les femmes pleurent et hurlent : les premières réactions ne sont pas encore complètement stéréotypées, mais, pour l’exorciste, elles sont déjà indicatives, et sont une occasion de répéter les bénédictions. Progressivement, les exorcismes deviennent plus longs, et l’on a recours aux formules complètes et à divers instruments supplémentaires – application d’huile, interrogatoire, invocations des saints. L’exorcisée commence à réagir en laissant libre cours à son agressivité et en extériorisant le malaise qu’elle ressent dans les formes codifiées qui lui sont suggérées, c’est-à-dire comme l’incarnation d’une force maléfique extérieure à elle. Cette représentation du rôle diabolique, coïncidant avec l’extériorisation du mal, en arrive, dans certains cas, via les réponses données durant l’interrogatoire, à l’identification rituelle avec l’entité diabolique. Certaines personnes déclarent ainsi qu’elles sont un démon, d’autres prononcent le nom de la personne qui a lancé le sort ; dans tous les cas, le responsable entre directement en scène, et une fois réalisée l’identification, la possédée pourra procéder plus aisément à la séparation entre elle-même et l’être qui la possède, rituellement d’abord, ensuite de manière presque définitive. L’interrogatoire – en latin et en italien – n’est donc pas mené aussitôt : l’exorciste attend qu’au terme d’une série de séances la femme exorcisée soit suffisamment entrée dans son rôle diabolique, qu’elle ait assimilé le comportement rituel d’une « possédée ». À mesure que les séances se poursuivent, l’action d’exorcisme se fait plus spécifique, se centrant sur les instruments – manipulations, onctions, etc. – que le prêtre considère comme les plus efficaces pour le cas dont il s’agit : en d’autres termes, sur ces actes verbaux et non verbaux auxquels le sujet a appris à réagir avec une intensité particulière. Ce n’est en effet pas tant ou pas seulement son histoire personnelle qui conduit la femme exorcisée à percevoir comme puissants ce nom ou ce geste particuliers ; divers exemples montrent que non seulement on apprend à se comporter conformément au rôle représenté – aversion générique au sacré –, mais que l’on est aussi amené par l’exorciste à manifester une gêne croissante à l’égard d’actes déterminés. De quelle manière cela advient-il ? Si l’exorciste considère comme significatives les réactions du sujet à un acte précis – par exemple, l’application d’huile –, cela entraînera, dans les séances suivantes, la répétition du même acte, effectué avec détermination et insistance. Une fois formulée l’interprétation de certains signes, l’exorciste procèdera non pas de manière à éprouver de nouveau les réactions de la femme exorcisée au même stimulus, mais plutôt en le lui imposant avec force, présupposant l’effet que cela provoquera. La réponse de la femme sera celle à laquelle l’exorciste s’attend : plus emphatique, en raison de l’attitude particulièrement injonctive et énergique de l’exorciste, de la valorisation spécifique de son geste au moyen de sa voix et de la force de ses mains. La femme reçoit ce que le prêtre lui communique, et se conforme à ses attentes et à son interprétation – déjà acceptée sous la forme plus générale du diagnostic de possession. Cette réponse, sur un temps long, deviendra le point faible sur lequel agir pour obtenir la défaite du démon possesseur. En centrant l’attention sur ce signe d’aversion, l’exorciste procède à la domestication de l’entité maléfique.

La domestication de l’être diabolique

45La domestication elle-même peut prendre des formes diverses, qui se succèdent de manière progressive. Elle peut s’exprimer par une réduction des manifestations du mal, désormais codifiées dans les formes rituelles, circonscrites aux séances. Parfois, viennent ensuite une diminution des réactions violentes et l’entrée dans une sorte de transe qui permet, quoique l’exorcisée soit consciente de ce qui se produit, de faire comme si elle ne l’était pas, et d’abandonner le rôle de possédée. Enfin, le processus de domestication peut se poursuivre jusqu’à ce que la femme soit libérée des manifestations diaboliques dans le contexte d’exorcisme, avec la disparition des signes et des malaises dans la vie ordinaire.

  • 20 La comparaison avec des rituels thérapeutiques populaires, comme le « tarentisme » dans les Pouille (...)

46La répétition des séances est donc fondamentale non pas tant à des fins de diagnostic et de « thérapie » que pour induire la possession et, à travers sa représentation dramatisée, dépasser le problème, auquel l’exorcisme a donné nom et forme. C’est ainsi – à condition de présupposer l’induction rituelle de la crise et l’indissociabilité du moment du diagnostic et du moment de la thérapie20 – que l’on peut définir l’exorcisme comme une « thérapie » rituelle. L’exorcisme provoque la manifestation des signes de présence diabolique selon des moyens culturellement déterminés, dont les présupposés, mythiques et symboliques, sont à chercher dans un ensemble de croyances partagées ou partageables par les acteurs rituels et leurs entourages respectifs.

  • 21 Pour une analyse pragmatique de phénomènes religieux, voir Claverie (2003), qui, toutefois, n’étudi (...)

47Ce caractère partagé des croyances ne doit cependant pas être considéré simplement comme un présupposé a priori, comme un arrière-fond commun auquel on puiserait et qui s’activerait dans la relation. Celle-ci est construite dans le rapport communicatif, dans le contexte rituel et extra-rituel, à travers un jeu complexe où le discours des femmes exorcisées – évocations, allusions, plus rarement accusations et déclarations explicites relatives à la dimension magique – peut trouver chez l’exorciste un écho, une validation, une approbation, un intérêt, ou bien, au contraire, peut être refusé, minimisé, mis en discussion par lui, en fonction des cas et sur la base du cadre de référence du prêtre en question. Ainsi, dans l’interaction communicative et dans le recours à des interventions spécifiques (par exemple, brûler les objets ensorcelés) se définissent les coordonnées d’un milieu commun d’opérativité dans lequel les mots, les croyances et les pratiques considérés comme admis et légitimes s’opposent à ceux qui sont dangereux et qu’il convient d’éviter. Pour les personnes exorcisées, il s’agit en tout cas d’un milieu qui n’est pas défini une fois pour toutes, mais qui est susceptible de modifications, éventuellement de critiques21.

48L’induction rituelle de l’état de possession et la « thérapie » correspondante vont de pair et ne se résolvent pratiquement jamais en une seule séance. La répétition des séances d’exorcisme à un rythme préétabli permet une ritualisation progressive des crises à travers une modélisation univoque, selon des codes standardisés, de troubles qui, à l’origine, présentaient une nature très variée. Avant, les crises de « possession » se produisaient aussi bien hors du rite ; avec le rite, elles sont peu à peu disciplinées, canalisées, elles se produisent et se résolvent au cours de l’exorcisme. Même si l’on ne parvient pas à la libération définitive, même si le mal ou le malaise persistent et continuent de se manifester d’une certaine manière, l’exorciste et l’exorcisée peuvent considérer comme un premier effet de la thérapie le fait que les crises soient plus disciplinées et que les troubles se limitent à un contexte et à un temps déterminés. Pour les individus qui ressentent des troubles ou des malaises mal définis, le rite fournit un langage symbolique à même de les exprimer, de les communiquer, de les représenter. C’est ainsi qu’il devient l’instrument d’une possible guérison.

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Bibliographie

 
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Walker D. P., 1981. Unclean Spirits. Possession and Exorcism in France and England in the Late Sixteenth and Early Seventeenth Centuries, Philadelphie, University of Pennsylvania Press.

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Notes

1 Le corps semble au contraire se « désincarner » et passer au deuxième plan, dans la virtualité du rapport que les dévots internautes, habitués des sites catholiques et d’inspiration mariale, entretiennent avec le sacré (Apolito 2002) ; du reste, cet aspect des nouvelles formes de religiosité n’exclut pas, a priori, la présence éventuelle, et qui reste à vérifier, des deux modalités.

2 La recherche a été menée dans les années 1990-1991 et 1994-1996. Ses principaux résultats ont été publiés dans Talamonti (2005b, 2007). Don Amorth est un exorciste internationalement connu, auteur de nombreux ouvrages (Amorth 1991, 1992, 1996).

3 L’imposition de l’étole et les pressions, l’imposition de la main et l’ouverture des yeux, les soufflements, les petites claques sur le front, le signe de la croix, les formules, l’interrogatoire et la nomination, les matières rituelles (eau, sel, huile) et les êtres médiateurs (la Vierge, les anges et les âmes du purgatoire, l’Esprit-Saint, les saints, padre Pio, padre Candido).

4 Ou l’on tente de réaliser, dans le cas d’un premier exorcisme.

5 Le cadre général que je synthétise ici n’exclut évidemment pas les autres possibilités spécifiques qui conduisent chez l’exorciste (conseil d’un prêtre ou d’un charismatique, identification immédiate de l’exorciste comme autorité compétente dans le traitement de maux causés par des sorts, etc.).

6 L’exorciste ne considère évidemment pas comme victimes du démon toutes les personnes qui s’adressent à lui ; il en oriente certaines vers des médecins ou vers des groupes charismatiques.

7 De la même manière, le parcours thérapeutique des victimes de maléfices, dans le passé et aujourd’hui, présente un élément récurrent : le fait que le recours à l’exorciste se situe après le recours au magicien traditionnel (Ginzburg 1986).

8 Parmi les multiples exemples historiques de croisement entre croyances, contentons-nous de rappeler quelques cas de possession français : Marthe Brossier (Mandrou 1968 ; Walker 1981), Serène de Baiamont et ses domestiques (Hanlon & Snow 1988), les ursulines de Loudun (Certeau 1970, 1975 ; Huxley 1953 ; Jeanne des Anges 1886) ; et italiens : les cousins exorcisés dans l’église turinoise de la Consolata (Borello 1988, 1990), et les possédées de Verzegnis, dans le Frioul (Franzolini 1879 ; Bastanzi 1888 ; Ostermann 1894 ; Gallini 1983 ; Ceschia & Cozzi 1987, 1988).

9 Une profusion de maléfices retrouvés et détruits par les exorcistes se trouve, par exemple, dans le récit de l’histoire de la possession des ursulines d’Auxonne (1658-1663), reconstruite, sur la base de documents d’archives mais sous une forme romancée, par l’historien Benoît Garnot (1995).

10 Au contraire, l’identification ponctuelle des différents états de conscience semble essentiellement déboucher sur une multiplication et une hiérarchisation des modalités de comportements individuels qui ajouteraient peu à la constatation de l’existence d’une variété de niveaux de conscience (Radoani & Gagliardi 1997). Sur l’influence des théories janétiennes sur les travaux d’Ernesto De Martino, voir Adelina Talamonti (2001, 2005a).

11 Voir Gallini (2000 : XL).

12 « D’autre part, la présence de veille ne disparaît pas complètement : elle se réduit à la simple fonction de guide et de mise en scène, et elle entretient un rapport général avec la situation douloureuse dans son ensemble. Est ainsi institué, à la place de la présence unitaire de veille, un régime particulier de dualité psychique relative qui ne diffère que par degrés de la plus profonde dualité des présences simultanées – réalisée par exemple dans la pratique chamanique et dans la séance de spiritisme, lorsque le chaman ou le médium entrent en rapport avec un esprit » (De Martino 2000 : 80-81).

13 Par « soins », on entend des remèdes spirituels comme les prières, les sacrements, ou l’ingestion d’eau, d’huile, de sel exorcisés. Au cas où l’exorciste juge qu’il ne s’agit pas d’une intervention démoniaque, mais d’une maladie, par exemple psychique, le sujet recevra des soins médicaux, prodigués par un spécialiste compétent.

14 Pour celles qui s’étaient changées ou avaient retiré leurs bijoux, le retour au quotidien est marqué par un retour à l’apparence précédente.

15 Voir Segalen (1989), en particulier les essais contenus dans la section « Par symbolisme interposé : un dialogue des disciplines », et plus spécifiquement encore les contributions de Maryvonne Abraham et de Nicole Belmont. Voir en outre Fabre (1989), Charuty (1992) et Albert (1990a).

16 Je reprends l’expression de Jean-Pierre Albert, qui l’a utilisée dans les séminaires tenus au Centre d’anthropologie des sociétés rurales de Toulouse. Pour une analyse structurale de certains aspects de la religion chrétienne, voir Albert (1990a, 1990b).

17 Cela ne signifie pas que l’analyse anthropologique doive rechercher un sens caché, profond, selon la procédure psychanalytique. Voir Leach (1980 : 321-361), Fabre (1989) et Charuty (1992).

18 On considère aussi que l’exorcisme, le baptême et l’extrême-onction règlent trois passages fondamentaux : de la maladie physique et spirituelle, connotée diaboliquement, à la santé ; de la non-existence comme chrétien à la vie chrétienne ; et de la vie terrestre à l’au-delà.

19 Je n’utilise pas la catégorie anthropologique classique de rite de passage (Van Gennep 1909), parce qu’elle n’aide pas à clarifier la logique et la dynamique du rite d’exorcisme ; pour une critique de la théorie d’Arnold Van Gennep, voir Bourdieu (1982 : 121-134) et Turner (1977 : 53-70).

20 La comparaison avec des rituels thérapeutiques populaires, comme le « tarentisme » dans les Pouilles et l’« argisme » en Sardaigne, montre que cela ne vaut pas seulement pour le rite d’exorcisme officiel (De Martino 1961 ; Gallini 1988). Dans le monde catholique, au contraire, Vittorio Lanternari a déjà analysé la pratique d’exorcisme publique de l’évêque Emmanuel Milingo en soulignant combien elle s’apparentait à un adorcisme. Selon sa thèse, tout exorcisme rituel comporte au préalable un adorcisme, qui tient lieu de phase fonctionnelle permettant la prédisposition. Cet élément, trop souvent négligé, met en lumière le rôle de suggestion de la possession que joue l’exorcisme (Lanternari 1988a, 1988b, 1994).

21 Pour une analyse pragmatique de phénomènes religieux, voir Claverie (2003), qui, toutefois, n’étudie pas l’aspect rituel, objet spécifique de l’étude de Houseman & Severi (1994) sur naven, étude menée, précisément, dans une perspective pragmatique ; voir aussi Severi (1993).

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Pour citer cet article

Référence papier

Talamonti A., 2008, « Exorciser le Diable (Rome, années 1990) », Terrain, n° 50, pp. 62-81.

Référence électronique

Adelina Talamonti, « Exorciser le Diable (Rome, années 1990) », Terrain [En ligne], 50 | mars 2008, mis en ligne le 11 février 2008, consulté le 24 avril 2015. URL : http://terrain.revues.org/8933 ; DOI : 10.4000/terrain.8933

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Auteur

Adelina Talamonti

Université La Sapienza, faculté des sciences de la communication, Rome

 

source:"terrrain.revues.org"



24/04/2015
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