la notion de l'Enfer chez les musulmans
L'Enfer des musulmans | ||
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On fait venir le mot djahannam de l’hébreu gē-hinnōm ou vallée de hinnōm (Josué, xv, 8) ; c’était une vallée près de Jérusalem où, dans le temps d’impiété, on sacrifiait à Moloch. La forme voyelle longuedjahannām signifie un puits profond. Très souvent employé dans le Kur’ān comme synonyme de nār (“feu”). Le nom de la géhenne et l’idée de l’enfer reviennent une grande quantité de fois dans le Kur’ān, soit que Muhammad ait été personnellement frappé par cette idée, soit qu’il ait cru utile d’insister pour émouvoir l’esprit des auditeurs. Il ne paraît d’ailleurs pas s’être fait de l’enfer une représentation absolument constante ; en effet à certains endroits : il en parle comme de quelque chose transportable : “Amenez l’enfer”, commendera Dieu au jugement dernier (Kur’ān lxxxix, 23-24) ; les anges forment alors les rangs et “l’on avance la géhenne”. On doit croire que dans ce passage Muhammed se présentait l’enfer à la manière d’un animal; c’était pour lui une sorte de monstre gigantesque, à la gueule ouverte et embrasée, prêt à engloutir les damnés; sous une forme analogue, les artistes du moyen âge occidental ont quelque fois figuré le purgatoire de Saint Brandan. C’est ce qui explique qu’en autre endroit du Kur’ān, Muhammad ait pu dire : “Peu s’en faut que l’enfer ne crève de fureur” (lxvii, 8). L’imam Ghazālī, dans son curieux traité d’eschatologie intitulé al-Durra al-fākhirra, a commenté ces textes laconiques. La géhenne commence à trembler quand Dieu commande qu’on l’emmène. Les anges lui ayant dit que Dieu ne voulait pas la punir mais punir par elle les hommes coupables, elle se laisse conduire. Elle marche sur quatre pieds dont chacun est lié par soixante-dix milles anneaux ; sur chacun d’eux se trouvent soixante-dix milles démons dont chacun aurait la force de mettre en pièces les montagnes. La géhenne en avançant, produit un bourdonnement, un gémissement, un râlement ; des étincelles et de la fumée s’élancent, et l’horizon est envahi par les ténèbres. Au moment où elle n’est plus séparée de l’humanité que par une distance de mille ans, elle échappe aux démons et se précipite sur la foule des hommes rassemblés dans le lieu du jugement, avec un bruit effroyable. Mais la conception animale de l’enfer n’est pas celle qui domine dans le Kur’ān ; à côté d’elle est la conception architectural bien comme d’un enfer composé de cercles concentriques a ses prototypes dans l’antiquité, dans les fleuves infernaux des Grecs, dans l’enfer assyrien à sept portes de la légende d’Ishtar. C’est elle qui a pris le dessus dans l’imagination populaire au Moyen-Âge, aussi bien en orient qu’en occident, et que l’on voit exprimée avec tant de puissance dans l’œuvre de Dante, Muhammad n’a pas encore qu’une conception tout à fait rudimentaire de la structure de l’enfer ; du moins parle-t-il de ses portes, en spécifiant qu’elles sont au nombre de sept. (Kur’ān, xxxi, 71 ; xv, 43-44). On trouve dans l’ouvrage turc Ma‘rifet Nāmehun plan de l’enfer. Il est situé sous le socle du monde, au-dessous du taureau et du poisson, correspond au Béhémot et au Léviathan bibliques, qui supportent la terre. Il se compose de sept étages formant un vaste entonnoir. Au-dessus, jeté sur toute l’étendue de la géhenne, est un pont, étroit comme le fil d’une épée, doit être franchi par les âmes pour entrer dans le paradis ; les âmes des saints le franchissent en un clin d’œil ; celles des justes ordinaires mettent un temps plus ou moins long à le traverser ; celles des impies n’y parviennent pas et tombent dans le gouffre. Au dernier étage de l’enfer est un un arbre appelé zakkūm qui porte pour fleurs des têtes de démons (Cf. Kur’ān xxxvii, 60-64), une chaudière de poix bouillante et puante, et un puits qui atteint le fonds de tout. Les supplices de l’enfer Musulman sont variés et gradués suivant le genre et l’importance des fautes, comme dans la conception dantesque ; ce Kur’ān les indique à peine ; ils sont décrits par quelques auteurs, notamment par Suyūtē (mort en 911 H.). Ces représentations fort matérialistes de la structure de l’enfer et de ses peines n’ont pas satisfait tous les esprits dans l’islām ; même le pieux et croyant Ghazālī se permet en cette matière d’interpréter un peu. Ainsi la chaussée, un pont de l’épée jeté en travers la géhenne, n’a plus pour lui qu’une signification morale : il n’est autre que le “sentier droit” par où Dieu conduit les croyants, et il symbolise le juste milieu entre les défauts contraires ; c’est la limite entre l’excès et le manque, où réside la perfection (V. à la fin de son Menūn, éd. Bonboy, p. 126). Pour Avicenne, les peines de l’enfer consistent surtout en ce que les âmes mauvaises conservent après la mort leurs inclinations sensuelles mais elles en souffrent alors horriblement, parce qu’elles n’ont plus le corps pour y satisfaire. Sur la question de l’éternité des peines dans l’enfer, le Kur’ān apparaît un peu hésitant ; les passages qui se rapportent à ce sujet ne sont pas tout à fait concordants. Peut-être ce vague tient-il simplement à ce que Muhammad, qui n’était pas un philosophe spéculatif, n’a pas pu se poser nettement une question dans laquelle entre le concept fort abstrait d’éternité. “Ceux pour qui la balance sera légère, est-il dit en un endroit (Kur’ān xxiii, 105) sont ceux qui se seront perdus eux-mêmes dans la géhenne, et qui y demeureront toujours (khālidūn)”. Mais ailleurs (xi, 108-109) Muhammad dit : “Les prouvés seront précipités dans le feu… ils y demeureront tant que dureront les cieux et la terre, à moins que Dieu ne le veuille autrement”. L’imām Asha‘arī a reproché aux Mu‘tazélites et aux Kadarites de faire désespérer les hommes de la miséricorde de Dieu, en professant que les prévaricateurs sont condamnés éternellement à l’enfer. Ce là est contraire, selon lui, à cette parole du Kur’ān : “il pardonnera tout le reste à qui il voudra” (iv, 116), et à cette tradition du prophète:“il fera sortir de l’enfer, après qu’ils y auront brûlés et réduits en charbon.” L’opinion de cet imām est celle qui a prévalu dans l’islām. Dans le synonyme nār, pluriel nīrān, désigne le feu, alors que nūr, au pluriel anwār, désigne la lumière. En acadien, araméen, hébreu, syriaque, arabe, la racine n.w.r désigne simplement l’«éclat», l’«éblouissement», la «floraison», le «tatouage», bref qui luit et tout ce qui tranche. L’autre terme arabe qui désigne la lumière daw’, est à mettre en rapport avec le sanscrit dev/w qui se trouve dans Zeus, Dieu, dies, et qui rend l’idée de la personnification des phénomènes lumineux et calorifiques de la nature. Nār figure 129 fois dans le Kur’ān, dont 111 concernant le feu éternel de la géhenne ; six seulement visent le feu utilitaire (II, 17, XIII, 17, XVIII, 96, XXIV, 35, XXXVI, 80, LVI, 71), quatre le feu cosmogonique (VII, 12, XV, 27, XXXVIII, 76, LV, 15), trois le feu de Sinaï (XX, 10, XXVII, 7-8, XXVIII, 29), trois le feu comme châtiment (II, 266, XXI, 69, XXIX, 24), un le feu céleste comme preuve de la mission prophétique (III, 183), un le feu comme signe de la toute-puissance divine.
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