Le retour du Diable. Qui est-il ? A quoi sert-il ? Le Monde des Religions - Mars-avril 2005 -
Le retour du Diable. Qui est-il ? A quoi sert-il ?
Le Monde des Religions - Mars-avril 2005 - (16 pages)
Le Mal adolescent (Isabelle Francq)
A travers la musique, les jeux vidéo, les jeux de rôle, les vêtements..., la culture des adolescents est remplie de références à Satan. C'est le cas du gothisme et du métal avec son "univers noir, sulfureux et parfois violent". "Ils sont de plus en plus nombreux à traîner leur mal être dans nos cités". Pour le sociologue Michel Fize, ces adeptes du gothisme ne sont pas des délinquants ou des marginaux, ils sont même issus de milieux privilégiés. Dans une enquête publiée en 2002, il apparaît que le nombre de jeunes qui affirmaient croire en une vie après la mort est passé de 30% à 42% de 1981 à 1999 et de 11 à 21% pour la croyance en l'enfer. La cause : la modernité désenchantée et la précarité économique, "sans doute aussi les jeux".
Les jeux de rôle, s'il n'a pas été prouvé qu'ils sont responsables de suicide et de profanation de cimetière, seraient un "antidote à la timidité". Jeux vidéo et BD gore sont perçus comme une forme d'exutoire, d'exorcisme, mais permettent-ils vraiment de canaliser les pulsions ? "On finit par s'habituer à l'horreur, déclare un vendeur. Il en faut toujours plus pour relancer les sensations."
Pour les psychologues, Satan est une caricature de l'adolescent, en rebelle opposé au père. "En s'identifiant au diable, l'adolescent provoque les adultes et se persuade que le plaisir sans entrave qu'il a connu dans sa vie foetale est encore possible." Le satanisme est, quant à lui, une dérive pathologique de ce mal-être qui touche des jeunes "apparemment" sans histoire avec passage à l'acte : "sacrifices d'animaux, automutilation, scarifications, tortures...". Certains l'imputent à l'individualisme de notre société, à la forte angoisse qu'elle suscite et à l'absence d'avenir qu'elle offre. Ceci conduit les jeunes à se réfugier dans le virtuel et à s'exprimer à travers une musique violente. Le satanisme est très ancien, il s'est développé à la fin du Moyen Age. Anti chrétien, son symbole est la croix inversée. Il a ressurgi avec le mythe de l'antéchrist au XVIIe siècle et les messes noires de l'abbé Guilbourg. De nos jours, il revit à travers des groupes, voire sectes : Eglise de Satan, Temple de Set, Ecole des vampires, Sanguinarius, Charlemagne Hammer Skin. Certains jeunes se font piéger et manipuler : "les réunions sont ritualisées, paramilitaires, rien de libertaire comme se l'imaginent les adolescents".
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Et Satan conduit le monde (Bernadette Sauvaget)
On pensait qu'avec l'aide du rationalisme, le Prince des ténèbres avait été vaincu, mais il revient "subrepticement" sur la scène politique. C'est l'ayatollah Khomeyni qui, le premier, a diabolisé son ennemi en appelant les Etats-Unis le "Grand Satan" pour leur soutien au Shah d'Iran. La France aura droit au "Petit Satan". Un peu plus tard, en 1983, Ronald Reagan devant une assemblée d'évangéliques, dont le poids électoral devient de plus en plus important, qualifie l'Union Soviétique d'"Empire du mal". George W. Bush poursuit sur la lancée, après les attentats du 11 septembre en désignant l'Irak, l'Iran et la Corée du Nord comme étant "l'axe du mal". Son ennemi juré, Oussama Ben Laden, diabolise à son tour l'Occident. Dès 1998, il avait appelé "chaque musulman à attaquer les troupes satanistes américaines et leurs démons alliés".
Pour le sociologue Sébastien Fath ("Que Dieu bénisse l'Amérique"), chez George W. Bush ces références au Bien et au Mal correspondent au "néomessianisme des Etats-Unis. Pour les milieux néoconservateurs, le monde est unipolaire et les valeurs morales absolues sont celles des Etats-Unis". Cette vision est très prisée dans les mouvements chrétiens les plus dynamiques : pentecôtisme et charismatisme. "Chez un certain nombre d'évangéliques, il y a cette idée qu'un monde sans Dieu est livré au Mal, que le Mal est entré dans le monde." Pour le sociologue, ces mouvements fondamentalistes protestants ou intégristes catholiques prennent au pied de la lettre ces concepts du Bien et du Mal sans les considérer comme des métaphores.
Si Jean Paul 2 a peu parlé du diable, Paul IV, malgré l'ouverture du concile Vatican II, a stigmatisé "les fumées de Satan" en constatant le début de l'effondrement de l'Eglise catholique et a dénoncé un monde "sous la domination d'une puissance qui est grande et indéfinissable". Peut-être a-t-il ainsi ouvert la porte au retour du diable.
Le retour de l'exorciste (Eric Vinson)
Il n'est pas si rare que certains criminels, tel Emile Louis, se déclarent possédés par le démon. C'est surtout dans les médias que le couple infernal de "la possession diabolique et de l'exorcisme" s'impose. Le premier touché est le cinéma avec le célèbre "Exorciste" de William Friedkin (1973) suivi d'innombrables séries télé sur ce thème. Sur Internet, les sites faisant référence au diable se développent très vite. Pour le père Maurice Bellot, qui dirige à Paris le centre diocésain d'exorcisme, il n'y a pas d'accélération de ce phénomène. Les chiffres sont "d'une remarquable stabilité, notamment à Paris avec mille cinq cents demandes [d'exorcisme] par an ! Simplement, la société est plus attentive au problème..."
En Italie, le père Armoth est une véritable star de l'exorcisme avec cinquante mille demandes à son actif. Il critique le nouveau rite d'exorcisme mis en place en 1999 par l'Eglise catholique parce qu'il fait intervenir des psychologues professionnels. "L'Eglise est allée d'un excès à l'autre : pour remédier à la folie de la chasse aux sorcières, elle a tout éliminé, diable et exorcisme".
En France, la majorité des exorcistes ont une interprétation plutôt psychologique de la possession. Pour Anne Juranville, professeur en psychopathologie à Nice, "du côté des médecins, puis des psychiatres, cela fait bien longtemps que la possession - sensation d'être "occupé" par une "présence étrangère" - relève de l'aliénation mentale sous ses diverses modalités." Pour faire face à ce phénomène, la psychanalyse et son "éthique de la parole" rejoint la préoccupation de l'Eglise "moins soucieuse d'expulser ce "diable" inhérent à l'esprit humain que d'accompagner un chemin de spiritualisation", c'est-à-dire de retour à la parole.
Le Diable entre en religion (Serge Lafitte)
Le personnage du diable est une création des monothéismes. Pour les autres religions, il n'y a que des phénomènes maléfiques. Le serpent de la Genèse reste une créature énigmatique qui semble remonter aux religions animistes du Moyen-Orient. A Babylone, un récit ancien mentionne un arbre sacré gardé par un serpent. Le judaïsme a subi aussi l'influence du mazdéisme et des deux esprits jumeaux en lutte "spenta manyu" (le bon) et "ahra manyu" (le mauvais). Cependant il ne fait pas du diable un rival de Dieu.
Les polythéismes "n'avaient pas besoin du diable puisque les combats entre dieux se servant des hommes pour régler leurs propres comptes suffisaient à expliquer l'existence du Mal". Quant aux monothéismes, le diable leur est nécessaire pour ne pas attribuer à Dieu la responsabilité du Mal.
La présence plus importante de Satan dans le Nouveau Testament (évangile et apocalypse de Jean) peut s'expliquer par le développement des mouvements apocalyptiques dans les judaïsmes au cours des deux siècles avant JC. "Il fallait un adversaire qui vaille la peine que Dieu envoie son propre fils." La tentation a alors été grande tout au long de l'histoire de faire de Satan un personnage qui soit presque l'égal de son créateur (gnose, manichéisme, cathares, certains groupes fondamentalistes protestants...). Cette conception dualiste de la théologie a été condamnée comme hérétique par les partisans de l'orthodoxie chrétienne. Rappelant que la puissance de Satan n'est pas infinie, le catéchisme de l'Eglise catholique se réfère toujours à un décret du concile de Latran, en 1215 : "Le diable et les démons ont été créés par Dieu, bons par nature, mais eux-même se sont faits mauvais." C'est à la Renaissance, que le mythe du Diable a atteint son apogée et de cette période que viennent la plupart des légendes et images sur le diable.
Pour l'islam, Iblis (al chaytan) "apparaît comme une reprise du mythe judéo-chrétien de l'ange déchu" sans être une personnification du Mal rivalisant avec Dieu, mais un tentateur qui essaie de faire tomber les croyants trop tièdes. Il y a également les djinns, surtout dans l'islam populaire, qui sont des esprits malfaisants pouvant prendre "momentanément possession" des hommes, d'où la pratique de l'exorcisme, considéré cependant par les musulmans orthodoxes comme "une survivance de croyances pré-islamiques".
Le diable judéo-chrétien est méconnu des religions animistes qui expliquent le mal par la colère des ancêtres ou des divinités "auxquels les bons rituels n'ont pas été rendus". On ne le rencontre pas non plus dans les grandes religions de l'Asie, hindouisme et bouddhisme.
Pour les hindouistes, la nature, les hommes et les divinités "sont tous constitués de cet alliage fondamental du bien et du mal". Ils ont ainsi recourt à des divinités intermédiaires telles les Asura (êtres de lumière) et les Yaksa (êtres ténébreux), ainsi que d'autres génies et monstres malfaisants.
Le bouddhisme, quant à lui, n'accorde pas une place importante aux esprits malins issus des religions traditionnelles qui l'ont précédé. Sa conception du Bien et du Mal est en effet plus philosophique que religieuse. Dans l'enseignement du bouddhisme, les démons représentent tout ce qui peut entraver la route vers la libération (égocentrisme, convoitise, arrogance...). Dans cette symbolique, celui qui se rapproche le plus de la conception occidentale du diable est le démon Mâra qui, ayant tenté "en vain, le prince Siddhârta lors de sa méditation [...] le conduira à l'éveil et fera de lui le Bouddha" Il représente l'attrait des illusions" de notre monde qui provoque l'enfermement dans le "cycle infernal des renaissances".
Le démon, l'enfer et les peurs de la Renaissance (propos de Jean Delumeau, membre de l'Institut, recueillis par Djénane Kareh Tager)
Alors que le christianisme primitif avait ignoré Satan, c'est aux XIe et XIIe siècles qu'apparaît l'"explosion diabolique". Le point culminant de la "peur du diable" eut lieu entre 1560 et 1630 avec les oeuvres de démonologie et la chasse aux sorcières. Si la Renaissance fut une période très créative et raffinée, elle fut aussi celle de malheurs, de peurs et de violences : mauvaises récoltes, peste noire, révoltes, guerres, avance turque et chute de Constantinople, schisme de la papauté... qui expliquent l'obsession du diable. "Des malheurs et des peurs cumulées ont réactivé, principalement aux XVe et XVIe siècles, les références à l'Apocalypse. Celle-ci prédit, en effet, que la fin du monde sera précédée d'une avalanche de cataclysmes." La Réforme doit également être replacée dans ce contexte : Luther vivait avec la peur du diable "qu'il voyait partout" et considérait Satan comme le Prince du monde depuis le péché originel.
C'est à partir du XIe siècle que Satan est représenté comme un monstre repoussant au milieu des supplices de l'enfer. En 1326, le pape Jean XXII habilite l'Inquisition à poursuivre la sorcellerie, assimilée à une hérésie. La chasse aux sorcières sévira aussi bien dans les Etats catholiques que protestants. De même que les guerres de religion, elle ne s'épuisera qu'avec le développement de l'autorité de l'Etat et l'émergence de la science moderne.
L'épreuve diabolique (Marie Balmary, psychanalyste)
La médecine scientifique a récusé le surnaturel, les miracles et la possession. Freud, pour sa part, comparera au diable l'inconscient et les pulsions refoulées : "Le respect des Anciens pour le rêve montre qu'ils pressentaient à bon droit l'importance de ce que l'âme humaine garde d'indompté et d'indestructible, le pouvoir démoniaque qui crée le désir du rêve que nous retrouvons dans notre inconscient".
Dans la Bible, le diable apparaît essentiellement à trois reprises :
- Eve tentée par le serpent qui, "symbole masculin s'il en est, ne s'adresse qu'à la femme, lui présentant le sexe qu'elle n'a pas" ;
- Jésus affrontant le diable qui demande des miracles comme preuve de la filiation divine ;
- Et enfin Job, dont la voix appelée Satan révélait ce qu'il refoulait, "le désir de maudire sa vie, lui l'homme trop parfait qui n'avait pas accès à "ce que l'âme humaine garde d'indompté"."
source:"athéisme.free.fr"
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