EXORCISMES ET POSSESSIONS

EXORCISMES ET POSSESSIONS

Les esclaves du Diable

Les esclaves du Diable


Définissons la "possession diabolique" comme "une intrusion brutale du Démon dans des corps prédisposés à le recevoir, en raison d’une névrose ou d’un état d’anxiété bien marqué." (23)

Nous soulignerons tout particulièrement cette notion ambiguë de "corps prédisposés à recevoir le Démon", notion qui, si elle n’était pas suivie des références psychopathologiques toutes modernes reprises dans cette phrase, pourrait donner à penser que le "possédé" est implicitement complice dudit Démon ou qu’à tout le moins, sa vie pécheresse a été perçue par le Diable comme une invitation à la possession et qu’en définitive, le "possédé" est bien plus démoniaque que malade ou mentalement déséquilibré, sa culpabilité ne faisant dès lors plus aucun doute…

La juxtaposition de la première et de la seconde partie de cette phrase, réalisée en toute bonne foi et en parfaite objectivité par Roland Villeneuve, cela va sans dire, résume à elle seule tout le caractère ambigu, pour ne pas dire malsain, du séminaire sur l’exorcisme organisé cette année à l’Université pontificale Regina Apostolorum.

Bien sûr nous n’accusons nullement l’église catholique d’aujourd’hui, d’envisager un quelconque retour à la répression anti-sorcière et anti-païenne des XVIe et XVIIe siècles, mais nous nous bornerons à constater que le vernis psychologique dont cette église tente de recouvrir son regain d’intérêt pour l’exorcisme cache bien mal les crimes d’hier commis contre des populations innocentes au nom de la lutte anti-satanique. Rappelons que le Vatican n’a jamais renié Torquemada et ses nombreux autres sbires génocidaires de la "Très Sainte Inquisition" et n’a même jamais pris la peine de s’excuser auprès des femmes qui furent pourtant, très majoritairement, les victimes de la répression anti-sorcière.

En distinguant la "possession démoniaque" des "troubles psychiques", les initiateurs du séminaire "Exorcisme et prière de libération" devraient logiquement renvoyer le "névrosé" chez le médecin, si toutefois ils se révèlent compétents pour donner pareil conseil, ce dont, vu leurs préoccupations exorcistes et sataniques, on peut douter sérieusement… Il leur resterait alors à traiter ceux dont les "corps prédisposés" ont accueilli le Démon complaisamment, sans même l’excuse d’un déséquilibre psychique.

L’une des plus célèbres affaires de prétendue possession fut sans conteste celle de Loudun (1632-1634), cette histoire atroce et sordide dont la principale victime fut le curé Urbain Grandier se révéla être un mélange de rivalités, de jalousies, de luttes politiques, de haines entre ordres religieux, de vengeances bien humaines et bien peu démoniaques, Grandier ayant notamment eu le grand tort de se trouver trop souvent sur le chemin du Cardinal de Richelieu. Une véritable cabale fut montée contre ledit Grandier qui se trouva bientôt prisonnier d’un piège machiavélique, œuvre de l’acharnement de ses ennemis. On se souviendra de ces ursulines de Loudun, portées au comble de l’hystérie sous la ferme insistance de prêtres et moines manipulateurs, mimant des scènes démoniaques où se mêlaient le grotesque et l’obscène, se prétendant possédées par Asmodée, Grezil ou Cerbère, accusant Grandier d’être le Diable en personne, sous le regard mi-amusé, mi-effrayé d’une foule de curieux. Mais "au spectacle des possessions allait désormais succéder celui du supplice de Grandier, par une chaleur étouffante, le 18 août 1634. Tous ses ennemis installés aux meilleurs balcons se régalèrent de voir passer sur la charrette un pantin désarticulé complètement rasé, après la recherche de la marque diabolique, et incapable de tenir debout par suite de l’application des brodequins. Grandier refusant toujours de se reconnaître pour magicien fut assis sur une chaise de fer, et le bourreau n’eut pas le temps de l’étrangler : les bons pères capucins mirent le feu au bûcher pour s’assurer qu’il brûlerait vivant… On a même prétendu que, devant son entêtement, ils lui tendirent, pour l’embrasser, un crucifix de métal porté à l’incandescence. Un gros insecte ayant volé autour du bûcher fut considéré comme l’envoyé de Belzébuth, chargé d’emporter l’âme du curé aux Enfers !…" (24)

Pour être emblématique, l’affaire de Loudun ne fut pas, loin s’en faut, un cas isolé de prétendue "possession". Une vingtaine d’années avant l’affaire de Loudun, l’affaire Louis Gaufridy, curé de Notre-Dame des Accoules, à Marseille, préfigura même toutes les affaires de possession du XVIIe siècle. Là aussi, dans un contexte de jalousies, de relations interdites et de rivalités, des ursulines prétendront être possédées par le Diable et accuseront Gaufridy des pires turpitudes. Et de prétendus démons, - Belzébuth, Asmodée, Verrine, Grésil, Sonneillon, et bien d’autres… - firent, dans ce cas également, leur entrée tonitruante. Gaufridy subit la recherche des marques diaboliques, les questions ordinaire et extraordinaire et périt finalement sur le bûcher, brûlé vif, le 30 avril 1611. Dans cette affaire, il s’est même trouvé plusieurs démons "pour assurer qu’après s’être frotté d’une huile magique, Gaufridy se transportait au sabbat et revenait ensuite dans sa chambre par le tuyau de la cheminée…"(25)

Citons encore la possession de Louviers, l’une des plus scandaleuses qui se soient produites au XVIIe siècle. Cette histoire sordide eut pour actrice principale Madeleine Bavent, religieuse déflorée à l’age de quatorze ans par un certain père Bontemps (!), elle fut ensuite séduite et prostituée par un certain nombre d’autres "excellents hommes d’église". Une épidémie de possession diabolique éclata bientôt dans le couvent et Madeleine fut accusée d’en être la seule responsable : pas moins de dix-huit religieuses se prétendirent possédées et quinze autres obsédées… Madeleine Bavent, qui reconnut bon gré, mal gré, sa culpabilité suite à un opportun témoignage du démon Léviathan (!), fut accusée de sorcellerie, en mars 1643. Elle fut chassée de son ordre, dépouillée du voile et condamnée à la prison à vie dans les prisons de l’Officialité.

Voilà ce qu’il en est de ces trois grandes affaires de possession, œuvres immortelles dans les annales de la bêtise humaine, dirais-je, pour paraphraser Michelet. Et puis il y eut les innombrables autres affaires, toutes plus cruelles et sordides les unes que les autres, toutes initiées par cette église qui se prétend représentante d’un dieu d’amour et qui aujourd’hui encore, bien qu’elle ne parvienne pas à se libérer de ses propres démons, prétend exorciser le mal chez autrui. Il y eut ces prêtres fouillant avec des aiguilles, à la recherche de prétendues "marques diaboliques" dans le "fondement" des hommes et dans la "nature" des femmes, il y eut ces tortures innommables infligées à des innocents, paysannes ou lettrés, religieux ou civils, riches ou pauvres, il y eut ces accusations de réunions sabbatiques, de sorcellerie et d’innombrables actes sottement attribués à Satan, il y eut ces bûchers, ces villages vidés de leur population féminine par des inquisiteurs aussi meurtriers que frustrés et envieux.

Voilà l’univers de la "possession diabolique" qui terrorisa l’Occident européen tout entier durant des siècles, voilà le règne de la peur et de la mort que l’église catholique imposa trop longtemps aux populations qu’elle maintenait sous son emprise et auquel les termes d’"exorcisme" et de "prière de libération" nous renvoient comme dans un gouffre infernal.

Comment ne pas évoquer encore ce sommet d’absurdité qu’était la "pesée des sorcières" ? Les sorcières étaient présumées peser beaucoup moins qu’une Bible, car selon ces profonds philosophes qu’étaient les démonologues à la solde de l’église, les sorcières échappaient aux lois de la pesanteur. Aussi, pour déterminer si une personne était ou non une sorcière, l’immergeait-on dans l’eau froide (puits, fleuve ou rivière) afin de voir si elle flottait ou non. Dans le premier cas, elle était déclarée coupable et envoyée au bûcher, dans le second cas, elle mourait noyée, certes, mais lavée des soupçons de satanisme sorcier qui pesaient sur elle et l’âme prête à être reçue par le "bon seigneur Jésus"… (26)

Comment ne pas citer aussi le cas de cette malheureuse Sicilienne nommée Pellegrina Vitello, qui lors d’une visite de "charité" ou de "bienfaisance" se vit questionnée d’une manière totalement cruelle par une "Seigneurie" "charitable et bienfaisante" de la manière suivante ? :

"Et on donna l’ordre de la faire sortir et de l’attacher à la corde, et une fois sortie on l’avertit à nouveau.
Dixit : me voici, je ne sais que dire.
Et ils commandèrent qu’elle fut attachée, et les ministres attachèrent les traverses, et en pleurant elle dit : si je le savais, je le dirais.
Et sa Seigneurie la pressait de dire la vérité.
Et ipsa ne répondit point, mais se lamentait.
Et quand on l’attachait elle disait : hélas, hélas, ah, mon Saint-Esprit, aidez-moi car je n’ai rien fait, oh, Saint-Esprit, comme je n’ai rien fait, aidez-moi !
Et comme on touchait la corde, elle était en train de dire : Oh mon Saint Esprit, aidez-moi car je n’ai rien fait !
Et iterum Sa Seigneurie Rév.me la pressait de dire la vérité.
Dixit Seigneur jamais au monde ne le fis.
Et comme on la hissait au-dessus de terre, elle suait et disait : Seigneur, je ne sais rien, ce sont des traîtres qui m’ont accusée à tort, aidez-moi, chrétiens, ah, Seigneur, vous me donnez la corde à tort.
Et apposita tabula in pedibus.
Dixit : Que voulez-vous, Seigneur, que je dise par force ? Sainte Catherine, ah Saint-Esprit ! Répétant Saint-Esprit, ah, Seigneur, vous me la donnez à tort. Et comme on lui demandait si elle avait oncques été torturée, dixit que non, et elle était pendue à la corde."
 (27)



En guise de conclusion, soulignons que dans le contexte d’agitation prosélyte, par ailleurs souvent agressive, que l’on retrouve tant dans le christianisme que dans l’islam, l’image du Mal doit être sans cesse agitée pour convaincre par la peur, les uns, de se rallier à la prétendue "unique vérité" ainsi brandie et paradoxalement élevée au rang de "bonté divine", et les autres, de ne jamais s’écarter du "droit chemin" sous peine d’être précipité dans les flammes infernales. Ainsi, le Diable ne tient-il que peu de place dans l’Ancien Testament. C’est le Nouveau Testament qui va révéler Satan comme le chef des forces liguées du Mal (28).

Le Coran lui emboîtera d’ailleurs le pas. En effet, tout comme le Nouveau Testament, le Coran est rempli de références diaboliques, d’Iblis en passant par Dajjal, de menaces infernales, d’anathèmes, de démons et de malédictions contre les apostats, les infidèles et les incrédules, et tout particulièrement contre les Juifs et les "associateurs", ce dernier terme désignant ceux qui associent l’image d’autres dieux au nom du prétendu "seul véritable dieu unique créateur", c’est-à-dire les païens (à l’origine, les polythéistes arabes), bien que ce terme puisse également être appliqué aujourd’hui à tous ceux qui n’appartiennent à aucune des trois religions révélées du Livre.

En juin 2004, Jean-Paul II réaffirmait le repentir de l’église pour les "erreurs commises dans le service à l’égard de la vérité en ayant recours à des méthodes non-évangéliques" durant "période noire" de l’Inquisition qualifiée de"chapitre douloureux sur lequel les chrétiens doivent se pencher avec un esprit ouvert au repentir". C’est vraiment le moins que l’on puisse dire ! Et ce "repentir" sincère que nous attendons toujours en vain, n’a guère empêché les Légionnaires du Christ de se sentir bien inspirés en organisant un séminaire consacré aux exorcismes et aux prières de libération qui justement renvoient à l’une des périodes les plus noires du christianisme.

"Mais sur le chemin de cette réalisation il peut y avoir des possessions d’un genre fort différent. Car toutes les inspirations, certes, ne sont pas divines, ni même morales, ni même topiques. Comment distinguer entre les directives du non-moi qui est le Saint-Esprit et de cet autre non-moi qui est quelquefois un imbécile, parfois un fou et parfois un criminel méchant ?" (29)


source:"atheisme.free"



09/01/2014
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