EXORCISMES ET POSSESSIONS

EXORCISMES ET POSSESSIONS

Les possédés d'Illfurth

En guise d’introduction nous rappellerons simplement qu’un cas de possession est avéré lorsqu’une entité maléfique décide de s’approprier le corps d’une personne, que ce soit de son plein gré ou non. Si ces cas de possessions sont relativement rares, les évènements survenus dans le sud de l’Alsace voilà près de cent cinquante ans tendent à prouver qu’ils ne sont pas inexistants. Dès l’époque des faits, des esprits cartésiens se sont élevées pour affirmer qu’il ne s’agissait ni plus ni moins que de cas relevant de la psychiatrie. Pourtant, l’Église a officiellement reconnu ces cas comme étant des possessions démoniaques avérées. 

 

Voici un condensé de l’étrange histoire des petits possédés d’Illfurth relatée par le curé alsacien P. Sutter. 

Nous sommes dans la seconde moitié du XIXe siècle, à d’Illfurth, village de 1200 âmes situé à une dizaine de kilomètres au sud de Mulhouse dans le Sundgau, la partie la plus méridionale d’Alsace. C’est là que résident la modeste mais laborieuse famille Burner. Le père de famille, Joseph, est marchand ambulant, parcourant le pays pour vendre ses allumettes et son amadou. Marie Anna Foltzer, la mère, s’occupe de ses cinq enfants encore mineurs. Rien ne prédestine cette paisible famille à vivre les terribles évènements que le malin lui réserve. 

Tout débute à l’automne 1864 lorsque les deux aînés de la fratrie, Thibaut et Joseph Burner, âgés respectivement de 9 et 7 ans, sont soudainement atteints d’un mal inconnu. Le Dr. Lévy d’Altkirch, ainsi que d’autres médecins consultés par la suite, ne parvient pas à identifier ce mal étrange dont aucun remède ne vient à bout. Les deux enfants dépérissent à vue d’œil. Thibaut n’est plus qu’une ombre. 

 

En septembre de l’année suivante apparaissent ce que l’on peut qualifier de terribles troubles du comportement. Les deux frères se mettent à tourner sur eux-mêmes lorsqu’ils sont couchés, font des crises de nerfs, s’attaquent violemment au mobilier avant de finir inanimés pendant de longs moments. Les témoins de l’époque parlent de phénomènes plus inquiétants encore. Parfois, l’abdomen de l’un des enfants se gonfle, les petits martyrs ont alors l’impression qu’une boule ou que quelque chose de vivant sautille dans leurs estomacs. Souvent leurs jambes, telles des baguettes souples, sont entortillées et nul ne peut les séparer ! 

Thibaut reçoit de pénibles et régulières visites d’une étrange créature, de lui seul visible, au corps couvert de plumes, au bec de canard et aux mains griffues. Ces visions, que l’on pourrait croire sorties d’une œuvre de Bosch ou de Grünewald, rendent le jeune garçon totalement hystérique ; il se bat avec son visiteur qui menace de l’étrangler. La scène se répète inlassablement, vingt à trente fois par jour, devant des centaines de témoins de toutes les classes de la société. Finalement, ne reste de ces effroyables tourments que quelques plûmes à l’odeur nauséabonde. Ces plûmes, ainsi qu’une espèce d’herbe aquatique, apparaissent constamment dans les vêtements des enfants au point de recouvrir le sol. L’odeur étant insoutenable, la famille s’en débarrasse au plus vite. En brûlant, ces témoignages maléfiques ne laissent aucune cendre. 

Les jeunes Burner sont aussi la proie de phénomènes que l’on peut qualifier de poltergeist. Ils sont régulièrement projetés de leurs chaises. Un jour de février 1869, Thibaut se met même à planer à 40 cm au dessus de sa chaise !

 

Le curé brey
Le curé Brey
A cette époque vivait à Illfurth une vieille femme de mauvaise réputation, chassée de son village natal à cause du désordre qu’elle y causa. C’est bien évidemment cette dernière que les esprits qui semblent posséder les enfants accusent d’être à l’origine des évènements. 

Très rapidement le curé du village, M. Brey, qui a la réputation d’être un saint homme, se dit qu’il s’agit d’une attaque démoniaque. Il faut dire que les enfants se mettent à blasphémer, deviennent furieux en présence d’eau bénite ou de crucifix alors que l’évocation du nom du Christ, de la Vierge Marie et de la Sainte Trinité leur inspire la terreur ! Les enfants, qui n’ont que peu étudié, parlent couramment français, latin et anglais. Allant même jusqu’à comprendre différents dialectes français et espagnols ! La possession ne semble plus faire de doute.



Un témoin raconte : « Quand ils étaient au lit, ils se tournaient vers le mur et peignaient d’horrible têtes de diables, et puis ils se mettaient à converser avec ces diables et à jouer avec eux. Si, l’un des petits possédés étant endormi, on posait un chapelet sur son lit, il se cachait sous les couvertures, jusqu’à ce qu’on enlevât le chapelet. » 

Plusieurs personnes, visiblement intriguées, se joignent aux curé Brey afin d’étudier très sérieusement le cas des enfants Burner : M. Spies, le maire de Sélestat, un dénommé Martinot, lui aussi de Sélestat, ainsi que le Professeur Lachemann de la Congrégation des Frères de Marie de Sankt Pilt (Aujourd’hui Saint Hippolyte dans le Haut-Rhin). 

A force de questionnements, l’on se rend compte que chacun des enfants est possédé par au moins deux esprits démoniaques. Comme l’on peut s’en douter, les démons ne sont pas vraiment disposés à se présenter, mais à force de subterfuges, notamment en flattant leurs ego, ils se laissent piéger. Trois démons finissent ainsi par se manifester et s’exprimer par l’entremise des enfants. Un quatrième, possédant le jeune Joseph, ne se laissera toutefois pas questionner. 

 

Thibaut est possédé par deux démons qui affirment s’appeler Orobas et Ypès. Ce dernier se qui se vante de commander à 71 légions démoniaques, est provoqué par M. Martinot qui lui assène qu’un pauvre chef comme lui devrait avoir honte de son ignorance puisqu’il ne connaît même pas son propre nom. Ypès, ne se laissant pas démonter de lui répondre « si si, je connais mon nom et le tient aussi bien que toi, mais je ne te le dirai pas ! Si tu étais juif, je te répondrais dans toutes les langues » 

Joseph quand à lui, est possédé par un esprit démoniaque qui dit se nommer Solalethiel. Ce qui marquera les esprits des témoins est l’aversion des enfants pour l’eau bénite et les médailles pieuses mais surtout la peur que leur inspirait la Sainte Vierge. Les démons la nommaient « la Grande Dame », l’un d'eux d’expliqua qu’il lui était interdit de manquer de respect à la Vierge. S’exprimant par la bouche de Thibaut, ils feront part à plusieurs reprises de leur tristesse d’avoir été chassés des cieux, une splendeur qu’ils ne devaient plus revoir, contraints de partir « par les trois qui sont plus forts qu’eux ». 
 
Ils iront même jusqu’à faire des allusions politiques, ne cachant pas leur aversion pour l’Empereur Napoléon III trop proche du Pape à leur goût et leurs penchants républicains. Souvent les visiteurs étaient accueilli au cri de « Liberté, Égalité, Fraternité ; République Française ! » Lorsque M. Spies osa un jour répondre en affirmant que le malin ne savait pas de quoi il parlait, ce dernier lui répondit sans hésitation « Oh que si ! Que vives la liberté, l’égalité et la fraternité ! C’est une période très propice pour nous autres ! » 
 
Le Professeur Lachemann questionna alors Thibaut au sujet de l’Abbé Jean Bochelen, natif d’Illfurth, qui fut condamné à mort et fusillé dans une carrière le 24 juillet 1798 par les révolutionnaires colmariens. Plusieurs reliques furent conservées par la famille de l’Abbé, dont sa chemise tachée de sang. En juin 1842, plusieurs maisons d’Illfurth furent ravagées par les flammes. Fort heureusement le calice, des lettres et le bréviaire du vicaire purent être sauvés des flammes. Mais la chemise ensanglantée fut volée pendant que l’incendie faisait rage. « Dis moi Thibaut, connais-tu aussi Bochelen ? » lui dit-il. « Ne me parle pas de ce chevalier-chamailleur, je ne veux rien savoir de lui. Dans trente ans l’on parlera assez de lui lorsque l’on l’exhumera » répondit le possédé ! 
 
En 1897, trente ans plus tard, le curé Soltner rédigera l’ouvrage « Johann Bochelen, der letzte elsässische Märtyrer der grossen Revolution » (Jean Bochelen, le dernier martyr alsacien de la grande révolution) et un monument immortalisant l’exécution sera érigé devant le nouveau presbytère d’Illfurth ! 
 
A la question de savoir ce qu’est devenue la chemise, le démon dira : « Taisez-vous ! Un brave garçon l'a volé sinon un jour vous en auriez fait des reliques ! »
 
Comme s’il fallait une preuve de plus que les deux enfants étaient la proie d’une puissance surnaturelle, ils avaient de fréquents accès de voyance. Un témoin raconte : « A plusieurs reprises, Thibaut prédit la mort de quelqu’un. Deux heures avant la mort d’une certaine Frau Müller, il s’agenouilla près de son lit et fit semblant de sonner le glas. Un autre jour, il recommença le même pantomime pendant une heure entière. Quand on lui demanda pour qui il sonnait le glas, il répondit : « Pour Gregor Kunegel. » Or, la fille de Kunegel se trouvait là :


-Menteur! Dit-elle furieuse à Thibaut. Mon père n’est même pas malade.
- Peut-être bien 
répondit Thibaut, mais il vient de faire une chute. Vas-y voir toi-même!
 
C’était vrai. L’homme venait juste de se tuer en tombant d’un échafaudage – au moment précis où Thibaut sonnait le glas imaginaire. Et personne, à Illfurth, n’avais encore appris l’accident.  »
 

Vu la tournure des évènements, le curé Brey contacte à maintes reprises sa hiérarchie. Dans un premier temps, l’évêché ne dépêche que deux sœurs pour veiller sur les enfants. Finalement, après une première tentative d’exorcisme à l'abbaye bénédictine d’Einsiedeln en Suisse, qui n’avait rien donné, l’Évêque de Strasbourg, plutôt sceptique, décide, en avril 1869, de dépêcher trois théologiens sur les lieux : le Chanoine Stumpf, supérieur du grand séminaire de Strasbourg, ainsi que deux prêtres locaux, les curés Freyburger et Sester. Ces derniers confirment le cas de possession et conseillent d’enfermer Thibaut dans un monastère. 
 
En septembre 1869, Monseigneur Raess, au vu des conclusions de l’enquête canonique, décide de faire interner Thibaut à l’orphelinat Saint-Charles de Schiltigheim en banlieue de Strasbourg. C’est là que l’un des démons affirme être un prince des ténèbres habitant l’enfer, chassé du ciel par l’Archange Saint Michel. Il affirme que l’enfer existe réellement et qu’il donnerait tout pour retourner au ciel. Il se vante d’avoir assisté à la crucifixion du Christ ! 
 
Le 3 octobre 1869, Thibaut est exorcisé en présence de onze religieux et de sa mère. Lors de cet exorcisme qui dura deux jours les démons affirmèrent à nouveau êtres deux et s’appeler des mêmes noms qu’à Illfurth. Ce n’est finalement qu’après l’évocation de la Sainte Vierges que la manifestation démoniaque lâcha prise, laissant Thibaut inanimé mais délivré !
 
 
 La chappelle d'Illfurth, là ou l'exorcisme a eu lieu.
La chapelle de la Burnkirch, lieu où Joseph Burner fut exorcisé par le curé Brey
 

 

Le Curé Brey reçu l’autorisation de procéder à l’exorcisme de Joseph resté à Illfurth. La cérémonie eut lieu le 27 octobre 1869 à la Burnkirch, l’un des plus anciens sanctuaires d’Alsace (Sans doute fondé au VIIIe siècle) se trouvant au milieu d’un cimetière non loin du village. Pendant la cérémonie, le démon dit s’appeler Ypès, comme celui qui avait possédé son frère. Après de longues heures de combat, l’enfant fut lui aussi finalement délivré à l’évocation de la Sainte Vierge !
 
Il fallut quatre années avant que les deux frères ne fussent libérés par les rites de l’exorcisme. Thibaut mourut deux ans plus tard, à l’âge de seize ans, en 1871. Joseph, chez qui les symptômes avaient été moins graves, mourut en 1882.
 
Aujourd’hui que reste-t-il de cette étrange histoire ? 

A vrai dire très peu de choses. La ferme des Burner n’existe plus, les inscriptions latines qui faisaient référence à l’exorcisme de Joseph ne sont plus visibles à la Burnkirch. 
 
Seule subsiste une imposante colonne de pierre portant la statue de la Sainte Vierge, érigée vers 1870, en face de l’ancienne ferme, symbole de la foi des paroissiens d’Illfurth qui par reconnaissance et dévotion ont participés financièrement à son érection. Elle commémore l’intercession de la Vierge dans la délivrance des jeunes possédés. 



Le monument des jeunes possédés de Illfurth


 

Le socle comporte la mention latine « in memoriam perpetuam liberationis duorum possessorum Theobaldi et Josephi Burner obtentae per intercessionem beatae Mariae virginus immaculatae anno Dñi MDCCCLXIX » (En perpétuelle mémoire de la libération des deux possédés Thibaut et Joseph Burner obtenue par l’intercession de la Sainte et immaculée Vierge Marie l’an du Seigneur 1869). 
 
Malheureusement le temps a fait son œuvre et l’inscription devient difficilement visible, plongeant peu à peu ces évènements dans l’oubli. 


 



17/01/2012
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