Les tourments infernaux
Les tourments infernaux
L’enfer chrétien, tel qu’on l’a imaginé, a toutes les apparences des enfers grec, latin, iranien et judaïque. Poix brûlante, goudron, pétrole, gaz délétère, chaudière en perpétuelle ébullition, grilles à rôtir où les damnés cuisent sur un feu de braises ardentes : il utilise tout l’arsenal des tortures dites orientales.
On peut y ajouter d’ailleurs, comme dans le Tartare grec ou l’Hadès latin, des tourments plus raffinés ou plus particuliers : herses à piquants se refermant sur les malheureux, épieux où ils s’empalent, fouets maniés avec rage par des démons infatigables, sabres ou épées qui les fendent en deux, aiguillons qui les percent à tout moment... Représenté dans les églises, l'enfer est l'opposé symétrique des délices réservés aux saints et aux martyrs ; les flammes et les démons persécutent des personnages dont les bouches se tordent de douleur.
L'Apocalypse de Pierre (apocryphe du IIe siècle) est le premier ouvrage chrétien qui décrit les punitions et les tortures des pécheurs dans l'enfer : ceux-ci sont dévorés par des oiseaux ou suspendus par la langue à des flammes ou encore attachés à des roues de fer tournoyantes, etc.
Deux siècles plus tard, l'Apocalypse de Paul (apocryphe du IV e siècle) reprend et développe abondamment ces motifs. Le texte évoque d'énormes vers à deux têtes, longs de trois pieds, qui rongent les entrailles des condamnés, des roues brûlantes qui font mille tours par jour, des rasoirs chauffés à blanc, un gouffre pestilentiel dans lequel pourrissent ceux qui n'ont reçu le baptême, etc. L'Apocalypse de Paul fut traduite dans toutes les langues d’Europe et pendant un millier d'années sa version latine jouit d'une immense vogue dans les milieux populaires.
En réalité, ce n’est pas juste après sa mort que le sort de l’âme chrétienne se jouera mais à l’instant crucial où, se levant de terre, les morts paraîtront devant le Christ en gloire dans la fanfare des trompettes angéliques, pour connaître la sentence et l’heure suprême du Jugement dernier.
Si Dieu a délivré Jésus des affres de l'Hadès (Actes 2,24), c'est d'abord en l'y plongeant, mais sans jamais l'abandonner (2,31). Le Christ brise les portes infernales, annonce à tous les morts la délivrance (I Pierre3,19), contraint l'Enfer à rendre ses prisonniers (Hébreux 2,14 ; Apocalypse 1,18 et 20,13 ; Matthieu 27,52). Etant « descendu dans les régions inférieures de la terre » (Ephésiens 4,9), symbole traditionnel d'un état de pesanteur et de déréliction, il peut enfin « remplir toutes choses » de sa lumière (Ep 4,9 et Philippiens 2,10). La Rédemption constitue, pour l'humanité, la libération de l'Enfer. L'Eglise est le lieu sacramentel et l'instrument de cette victoire (Matt. 16,18). Ouvertement, au retour glorieux du Christ, Dieu sera « tout en tous ». C'est la restauration et la plénitude universelles (Actes 2,21). Toutefois, l'homme, répondant à l'amour par l'amour, doit accueillir volontairement cette plénitude pour la ressentir comme joie. Or, selon un adage patristique, « Dieu peut tout, sauf contraindre l'homme à l'aimer ». Ainsi s'ouvre la possibilité de la « seconde mort » (Ap 21,8) : « L'amour divin agit de deux manières différentes : il devient souffrance chez les uns et joie chez les autres. » (Isaac le Syrien, Homélies spirituelles 11,1). 1
Dans l’expression "Jésus est descendu aux enfers", le symbole (Credo) confesse que Jésus est mort réellement, et que, par sa mort pour nous, il a vaincu la mort et le diable "qui a la puissance de la mort" (Hébreux 2,14). Le Christ mort, dans son âme unie à sa personne divine, est descendu au séjour des morts. Il a ouvert aux justes qui l’avaient précédé les portes du ciel.
En Orient, Origène fait de l'« apocatastase » la certitude du salut universel : tous, même les démons, seront restaurés dans leur plénitude originelle après s'être purifiés dans les « éons » infernaux et avoir compris que seul Dieu, et non le mal, peut rassasier leur soif d'infini.
Condamné comme doctrine par le concile de Constantinople en 553, l'origénisme est assumé comme spiritualité.
Tendue vers la Parousie, l'Église prie pour tous les morts, il ne peut y avoir d'enfer définitif avant le Jugement dernier (c'était déjà la conception des Pères subapostoliques : Irénée de Lyon et Hippolyte).
Quant au salut universel, il devient l'espérance et la prière des plus grands saints. Isaac le Syrien prie "même pour les démons".
Pour Ambroise de Milan « le même homme est à la fois sauvé et condamné ».
Mais, dans l'oubli de la descente aux enfers, la scolastique élabore une conception judiciaire de l'enfer : tout homme qui meurt en état de péché mortel descend immédiatement en enfer pour subir la privation éternelle de Dieu (le "dam") et un supplice approprié au péché (le "sens").
La Réforme veut retrouver la grâce souveraine de Dieu, qui triomphe du concept humain de justice, mais l'objective tragiquement dans la doctrine de la double prédestination ; jusqu'à ce qu'au XXe siècle le grand théologien réformé Karl Barth affirme que seul le Christ est doublement prédestiné, à mourir et à ressusciter, pour le salut de tous : version nouvelle de l'« apocatastase », mais qui fait peu de place à la liberté humaine.
En Europe occidentale, au XIXe siècle, c'est la pensée républicaine socialiste qui réclame, avec Hugo, "La fin de Satan". Dans cette ligne, Péguy et Papini raniment la vieille aspiration au salut universel.
Aujourd'hui, dans la plupart des confessions chrétiennes, l'accent est mis sur l'intériorité de l'enfer et la liberté tragique de chacun, le salut étant l'humble attention à « la joie de l'amour du Christ : qu'est-ce que la géhenne, devant la grâce de sa Résurrection ? » (Isaac le Syrien, Traités escétiques, 60e traité).
source"compilhistoire.pagesperso-orange.fr"