A la fin, "le sorcier de Dieu" a été envoûté par l'amour. Revanche subtile du démon ou expérience divinement joyeuse ? On peut parier que, dans son refuge de New York, Emmanuel Milingo n'a cure des ragots qui circulent à son sujet et des doutes qui assaillent ses fidèles. Même les foudres du Vatican ne doivent lui faire aucun effet. Celui qu'on a voulu qualifier d'"évêque-sorcier" mériterait plutôt le nom de "consolateur", car les messes qu'il a célébrées ces dernières années avaient pour objet principal d'apaiser l'angoisse de milliers de souffrants. "Je vais là où il y a de la souffrance et là où l'on a besoin d'entendre la parole consolatrice du Christ. Quel mal y a-t-il à aider ceux qui traversent des difficultés ou à bénir les malades ?" affirme-t-il avec simplicité. A ses liturgies, on retrouve chaque fois des mères avec des enfants malades, des femmes et des hommes poursuivis par le mauvais sort, des adolescents en proie au mal de vivre, des vieillards, des malades et des possédés. Milingo célèbre, chante, prêche avec une voix chaude et profonde ; et il danse aussi, suivant d'ancestraux rythmes africains.
Originaire d'un village de l'est de la Zambie, Emmanuel Milingo est nommé archevêque de Lusaka en 1967, à l'âge de 37 ans. Cultivé, compétent, titulaire de trois diplômes (théologie, philosophie et science des communications et de l'audiovisuel), il est l'un des plus jeunes évêques africains. En 1973, à 43 ans, il réalise sa première guérison, presque sans le vouloir, en exorcisant une possédée. Le mythe du saint exorciste est né. La chose déplaît au Vatican : en 1982, Jean-Paul II le convoque à Rome. Milingo y subit de longs interrogatoires avant d'être forcé l'année suivante à démissionner de sa charge d'archevêque. On lui offre en échange un poste honorifique de "délégué spécial du pape" au Conseil pontifical pour les migrants. Mais Milingo ne veut pas de ce placard doré et il sillonne l'Italie, guérissant les malades et suscitant l'irritation de la hiérarchie ecclésiastique. Il perd aussi son poste au Conseil pour les migrants, mais le pape lui laisse ses émoluments et son appartement de fonction. En 1996, le secrétaire d'Etat du Vatican, Mgr Angelo Sodano, annonce à Milingo qu'il ne pourra plus célébrer de messe sans l'autorisation préalable de l'évêque du diocèse où il se trouve. Les cardinaux de Rome et de Milan, ainsi que de nombreux autres, la lui refuseront. Et pourtant, les fidèles continuent à venir nombreux assister à ses messes, célébrées clandestinement à Zagarolo (près de Rome) et dans d'autres localités. Milingo fera également une apparition très remarquée au Festival de San Remo, en 1997, où il chante un extrait de son album Gubudu gubudu (Le soûlard), sorti en 1995.
Après son mariage, célébré le 27 mai au sein de la secte du révérend Moon, Milingo a fait savoir qu'il restera catholique et qu'il veut suivre l'enseignement du Christ : "Allez, prêchez la bonne nouvelle... Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons." De son côté, le Vatican, qui a essayé longuement de "récupérer" Mgr Milingo, a annoncé que celui-ci s'est placé "en dehors de l'Eglise", ce qui équivaut à une excommunication de fait. En participant à un rite public au sein d'une secte, Milingo s'est en effet rendu coupable d'apostasie : il ne pourra plus administrer de sacrements ni en recevoir.