ENQUÊTE / L'exorcisme Catholique au XXIème siècle...
CONJURER LE DIABLE: DE LA FICTION A LA PSYCHANALYSE
Il y a un engouement collectif pour les récits d'exorcisme. Mais pour la plupart des gens, cela relève de la fiction ou de croyances primitives et mystiques. Pourtant la pratique est bel et bien reconnue par l'Eglise Catholique du XXIème siècle, même si elle accepte aujourd'hui une part de psychanalyse.
Des têtes qui tournent à 180 degrés, des convulsions spectaculaires, des croix qui se mettent à fumer, des prêtres qui luttent grâce à l’eau bénite contre des corps déformés par le Diable... Le concept d’exorcisme évoque bien des fantaisies. De fait, la plupart des gens ne connaissent la pratique que par le biais des romans, légendes ou autres blockbusters hollywoodiens. « Cela existe hors de la fiction, mais seulement dans les sectes ou les religions dissidentes, les cultures traditionnelles. Et puis il y a beaucoup de charlatans, de marabouts qui profitent de la crédulité des gens... » répondrait le premier prêtre interrogé.
Pourtant, l’Eglise Catholique reconnait toujours cette pratique. Loin d’avoir été relégué aux rites traditionnels de l’Eglise médiévale, l’exorcisme est un sacramental canonique. Concrètement, chaque diocèse dans le monde possède un ou des prêtres exorcistes. Ceux-ci sont nommés par l’Evêque et seuls habilités à pratiquer. Si dans les usages, on n’exorcise plus beaucoup de monde, cela arrive encore. On peut alors se demander dans quelle mesure la discipline correspond à l’image que l’on en a fait.
Le Grand Exorcisme
Exorciser signifie conjurer le démon. L’Eglise distingue le Petit et le Grand Exorcisme. « Le petit exorcisme est présent notamment dans les bénédictions ou le baptême », explique Benoit Bourgine, professeur de Théologie à l’UCL. « En demandant au futur baptisé de renoncer à Satan ; ou à Dieu de protéger un objet ou une personne contre l’emprise du Mal ». Le Grand Exorcisme consiste à chasser le démon du corps d’une personne possédée. Contrairement au Petit Exorcisme, seul le prêtre exorciste peut le pratiquer.
Michel Paternostre est diacre. Il coordonne l’équipe exorciste du vicariat de Bruxelles et est membre de celle du vicariat du Brabant Wallon. « Le grand exorcisme est très rare, bien que les demandes soient nombreuses » nous explique-t-il. Près de quatre personnes par semaine appellent son équipe à l’aide, selon son estimation. Mais depuis ses 10 ans d’exercice, le rituel n’a jamais été pratiqué. « Le Père Verhaegen, que nous avons remplacé, en avait pratiqué deux durant sa carrière. »
Exorcisme et Psychiatrie
Dans la pratique, les exorcistes ont surtout un rôle d’écoute, et prient avec les gens en décrochage ou dans le besoin. Ils n’hésitent pas à renvoyer certaines personnes vers la psychanalyse, si cela semble nécessaire. On sait aujourd’hui que le diable n'est pas à l'origine de tous les troubles psychiques. Et l’Eglise reconnaît que celui qui se dit possédé a plus souvent besoin d’un psychiatre que d’un exorciste. Mais il arrive encore qu’un cas de possession soit officiellement reconnu. Lors du Concile Vatican II de 1965, il y a eu un décret à ce sujet. Le texte dit que « l'exorciste décidera avec prudence de la nécessité d'utiliser le rite d'exorcisme après avoir (...) consulté (...) des experts en matière spirituelle, et, s'il est jugé opportun, des spécialistes en science médicale et psychiatrique, qui ont le sens des réalités spirituelles ».
Gabriele Dom Amorth, exorciste en chef de l’Archidiocèse de Rome regrette cette règle. Pour lui, c’est en pratiquant le rituel qu’on peut être sûr de la possession, que « le Malin va montrer son vrai visage ». Les psychiatres condamnent cette position. Selon eux, si les troubles sont d’ordre médical, une telle pratique risque de perturber encore plus le patient.
Michel Paternostre dit travailler avec des psychiatres qui reconnaissent la dimension spirituelle de l’âme, et qui conçoivent que tout n’est pas guérissable par la médecine seule. « Sans doute des junguiens » nous précise Yves Le Clef, psychiatre. L’école de Carl Gustav Jung s’oppose à celle de Freud, plus rationnelle. « Jung est plus spirituel, il donne une réalité à l’âme et travaille sur l’inconscient. Son travail est proche de la pensée indienne, avec la notion de karma. On est dans la métapsychologie » explique le médecin.
Yves Le Clef ne croit pas aux phénomènes de possession mais accorde que certains cas seront mieux traités par un exorciste que par la médecine. « C’est une question de culture. Un jour, je me suis rendu compte qu’un de mes patients africain remettait tous ses problèmes sur le dos d’un mauvais sort qu’on lui avait jeté. Il en était convaincu de telle sorte que je n’aurais rien pu faire pour lui. Pour aller mieux, il lui fallait aller voir quelqu’un qui le convaincrait d’être libéré du mal ».
Un psychiatre ne diagnostiquera a priori jamais une possession. Mais c’est plutôt la difficulté à dresser un diagnostique médical qui influera sur la décision du prêtre. Après avoir consulté un avis, le prêtre doit faire une demande d’autorisation à l’Évêché. Celui-ci décidera alors au cas par cas si un exorcisme est nécessaire.
La Possession
L’église reconnaît un certain nombre de symptômes de possession. Parmi ceux-ci, certains de ceux que l’on connaît par l’imagerie populaire : faculté de parler des langues étrangères inconnues, modification de la voix, lévitation, télékinésie, invectivassions envers Dieu, recours à une force surhumaine... Le tout dans le cadre d’une crise d’hystérie dont la victime n’a pas conscience. « Le prêtre est souvent accompagné d’une personne forte, car il s’agit souvent d’un déchainement de violence incroyable » nous dit le diacre.
Aussi spectaculaires qu’ils soient, les psychiatres peuvent expliquer la plupart de ces symptômes. « Une personne qui subit un grave traumatisme peut voir resurgir de son subconscient la connaissance d’une langue qu’elle avait oubliée depuis l’enfance »explique Yves Le Clef. Certaines maladies mentales relevant de la double personnalité ou de la schizophrénie peuvent provoquer des crises d’hystéries s’apparentant très fort aux symptômes de possession. Pour les exorcistes, ces symptômes ne sont pas déterminants mais permettent d’éveiller le soupçon.
Paul Scolas, docteur en Théologie et prêtre diocésain, rappelle que Jésus a chassé de nombreux démons dans le Nouveau Testament. « Mais à l’époque, les maladies inexpliquées et les virus pouvaient être considérés comme un mal qui nous possède. Lorsque Jésus soigne un enfant possédé, tous les symptômes décrits correspondent à une crise d’épilepsie : yeux révulsés, contorsions,... »
Selon Michel Paternostre, il faut éviter les pratiques à risques ou occultes, les rites sataniques, le spiritisme,...« S’il y a possession, c’est que l’on a préalablement ouvert des portes. Il n’est pas bon de jouer avec des forces qui nous dépassent et que l’on ne maîtrise pas. »
Le Rituel
La cérémonie comprend un ensemble de prières et de lectures de psaumes. On distingue les prières imprécatoires et déprécatoires. Les premières s’adressent au Seigneur et lui demande l’aide nécessaire pour sauver la victime. Les secondes sont des ordres donnés au démon, l’obligeant à quitter le corps du possédé. C’est cette partie du rituel qui est le plus souvent représentée dans les films ou les romans. Il s’agit d’ailleurs de la partie la plus impressionnante, le texte prenant une teinte plus combative et agressive.
Le crucifix, l’eau, l’huile et le sel servent encore souvent de support matériel. « La croix, l’eau et l’huile sont des incontournables présents dans tous les sacrements, rien d’extraordinaire... » rappelle Michel Paternostre. « La croix est efficace ! D’ailleurs, il suffit de voir la réaction qu’elle suscite chez les gens troublés. Le sel est un symbole de purification. Mais il ne faut pas y voir des objets magiques. Le Démon n’a pas peur du sel ! » Il soutient que ce n’est pas le rituel qui fait l’efficacité mais la foi de l’opérant.
Le rituel a été revu et adapté lors du concile Vatican II en 1965. Il a ensuite été traduit dans les différentes langues. La version française a été envoyée à l’essai par la Commission Pastorale de Liturgie de Paris dans de nombreux diocèses avant d’être éditée de manière restreinte. Il existe donc des nuances entre les différentes versions linguistiques.
Un sujet qui fait débat
L’Eglise reste très modérée au sujet de l’Exorcisme, craignant là une source de décrédibilité. En effet, au milieu du XXème siècle, le Vatican s’est quelque peu rationalisé. « Les sectes et les dissidences se sont jetées sur cette pratique et en ont fait leur fond de commerce, donc Rome avait intérêt à prendre ses distances » explique Paul Scolas. « Mais après les années 60, il y a un retour au goût pour le paranormal, aux peurs mystiques. » La pratique exorciste refait alors surface, mais discrètement.
Le texte du rituel n’a jamais été mis à disposition du public et est réservé exclusivement aux Evêques et aux prêtres exorcistes. Les mots trop explicites ont pour la plupart été effacés des petits exorcismes. « On ne parlera jamais d’exorcisme à des parents de futurs baptisés, afin de ne pas les effrayer. »
Beaucoup de curés ne sont même pas au courant de la subsistance de la pratique. Et nombreux sont ceux qui la rejettent. « Je ne connais pas ce rituel et ça ne m’intéresse pas » déclare ouvertement le Père André Stuer, officiant dans la petite paroisse de Chaumont-Gistoux. « Mais la foi, c’est croire que Dieu nous aime inconditionnellement. Alors, si l’exorcisme consiste à dire à quelqu’un que Dieu l’aime toujours et peut le délivrer, et que c’est ce dont la personne a besoin... Pourquoi pas?»
Rapport à la fiction
Finalement, est-on si loin de l’image fantastique véhiculée par le cinéma et les romans ? Force est de constater que la plupart des récits de fiction sont inspirés de près ou de loin par des cas réels. L’Exorciste en chef du Vatican a par ailleurs déclaré que le film « L’Exorciste » de W.P. Blatty était son film préféré et qu’il était très fiable…
QUELQUES EXORCISTES ET EXORCISMES CELEBRES |
L’Exorcisme d’Anneliese Michel Cette jeune allemande fut exorcisée par deux prêtres de 1973 à 1976. Jugée psychotique et épileptique par les médecins, elle est décédée pen- dant son dernier rituel. Les prêtres et les parents furent condamnés à 6 mois de prison pour négligence. Cette histoire a inspirée le film « l’Exorcisme d’Emily Rose » de Scott Derrickson.
L’Exorcisme de Regan MacNeil Inspiré d’une histoire réelle, il s’agit du rituel pratiqué dans le film « L’Exorciste » de W.P. Blatty.
Pie XII & l’Exorcisme d’Hitler Durant la seconde Guerre Mondial, Pie XII pratiqua plusieurs exorcismes à dis- tance sur le Führer.
Gabriele Dom Amorth Exorciste en chef de l’Archidiocèse de Rome et de la Cité du Vatican. Il affirme avoir pratiqué 50.000 exorcismes. Il considère que beaucoup de person- nages historiques maléfiques comme Hitler ou Staline étaient possédés. Il soulève le débat quant à certaines de ses positions. Il prône la pratique avant l’avis psychiatrique, pense que la musique métal renferme des mes- sages sataniques (que l’on peut enten- dre en passant la bande à l’envers), et a tendance à spectaculariser la disci- pline dans ses récits.
Jean-Paul II L’ancien pape aurait lui-même exorcisé plusieurs démons, selon Dom Amorth.
Père Samuel Prêtre déchu du diocèse tournaisien, il pratique des exorcismes à tour de bras dans la région de Charleroi. Il se vante d’être d’origine araméenne, de parler la langue du Christ et d’être un des derniers représentants d’un culte catholique traditionnel. |
ENTRETIEN AVEC UN EXORCISTE
« SATAN S'EST DETOURNE DE DIEU, ET TENTE DE NOUS EMPORTER AVEC LUI »
Le Père Jacques Misson est prêtre exorciste pour le vicariat du Brabant Wallon. Il occupe cette fonction après un long parcours au sein de la communauté Jésuite. Rencontre exclusive avec cet homme de foi.
C’est aux résidences du Collège Jésuite Saint-Michel, sa demeure à Bruxelles, que le Père Misson nous reçoit. Bien qu'il n'ait jamais pratiqué le rite, il est prêtre exorciste de l'équipe du Brabant Wallon depuis 10 ans. Il accueille dans ce cadre toutes les semaines des personnes troublées.
C'est un homme âgé, calme et plein d'expérience qui nous livre sa pensée. D'une voix apaisante, il nous parle de concepts que certains pensent dépassés.
Quel a été votre parcours au sein de l’Eglise ?
Brièvement... Après ma formation normale de jésuite, j’ai trainé dans de nombreuses institutions jésuites. J’ai notamment été professeur et directeur du Collège Saint-Michel (à Bruxelles), avant de devenir responsable de son église et de sa communauté.
On m’a ensuite envoyé dans une paroisse près de Braine-l ’Alleud. Je suis devenu curé de la paroisse, poste que j’ai quitté lors de ma nomination en tant qu’exorciste
Comment devient-on exorciste ? Y a-t-il une formation ?
Non, la formation se fait sur le terrain, par l’écoute. Et puis on choisit des gens qui sont déjà au vif du sujet. C’est l’Evêque qui les désigne. Il cherche donc quelqu’un qui ne soit pas un « énergumène », qui a du bon sens et du sens spirituel, qui a une expérience pastorale et qui est assez sage pour tenir compte des avancées des sciences humaines.
Dans mon cas j’étais en excellente relation avec l’ancien exorciste du Brabant Wallon. C’est lui qui m’a annoncé qu’il quittait son poste et que l’évêque me désirait à sa place.
Comment une personne peut-elle être amenée à être possédée par le démon ?
Il faut qu’elle ait volontairement engagé quelque chose de sa vie avec les forces du mal. Un être humain et spirituel ne peut pas être envahi par des forces mauvaises sans donner un consentement. Il y a donc un engagement de la personne, voire un contrat avec les forces du mal. Cela existe de nos jours autant qu’au Moyen-Age. Par exemple, les cultes sataniques ou les pratiques blasphématoires, comme la profanation par le sang d’hosties consacrées.
Avez-vous déjà rencontré une personne que vous pensiez possédée ?
Non. Je me suis retrouvé par deux fois dans une situation où je prévoyais peut-être devoir aller jusqu’au rituel, mais finalement, cela ne s’est pas avéré nécessaire.
Les gens qui viennent vous voir se croient-ils tous possédés par le démon ?
Quand quelqu’un vient nous voir, il se sent lié aux forces du mal mais pas spécialement possédé. Cela veut dire qu’une partie de leur capacité d‘agir leur paraît entravée. Mais attention, ils sont plus souvent tourmentés par leur psychisme et leur peur que par la réalité. Leur désarroi les pousse à imaginer une influence extérieure comme une malédiction ou un mauvais sort qu’un être mauvais leur aurait jeté. Mais c’est souvent plus psychologique que spirituel.
Croyez vous malgré tout qu'il soit possible d'être habité par un démon?
Je crois que certaines personnes mauvaises et souhaitant du mal aux autres sont capables d’avoir une influence psychique ou même spirituelle sur autrui. Ce sont des gens qui ont prit contact avec un monde irrationnel où circulent des influences que je qualifie de malignes. Quelqu’un peut aliéner une partie de ses facultés en accueillant les forces du mal et en les demandant, mais jamais permettre une subversion totale de sa personnalité. On peut être envahi partiellement de l’extérieur, parce qu’on cède une partie de ses facultés en échange de pouvoirs maléfiques, mais on ne perd pas sa liberté profonde. C’est pour ça que même des gens manipulés par le Malin ont la possibilité de venir demander un exorcisme.
Quelle est votre conception de Satan ? Est-ce le mal personnifié, un symbole ou une forme d’énergie négative ?
Ni l’un ni l’autre. Satan n’a pas de réalité en lui-même, si ce n’est la réalité que mon idée lui donne. Il y a certes une activité qui exerce une influence, mais il ne faut pas voir le Tentateur partout.
Satan est un être, une entité spirituelle pervertie et pervertisseuse. Les Ecritures n’ont jamais affirmé que Satan existe, mais bien que Dieu avait tout créé. Donc Satan n’a pas été créé mauvais mais il s’est rendu mauvais lui-même. Satan n’est pas l’opposé de Dieu. Il a été créé bon, s’est détourné de Dieu, et tente d’emporter les autres dans son détournement.
Quelques questions en vrac maintenant... Que pensez-vous de la position de Dom Amorth ?
C’est un homme très respectable qui a une grande expérience. Mais je ne suis pas d’accord avec certains de ses concepts que j’estime peu prudent d’un point de vue psychiatrique.
Que pensez-vous du film « L’ Exorciste » de W.P. Blatty ?
Je l’ai vu il y a très longtemps et il m’a beaucoup impressionné. J’ai assisté à une conférence du Père Anatrella qui arrivait à expliquer tout le film d’un point de vue psychiatrique. Je ne sais pas s’il a raison mais c’est un point de vue intéressant. Par contre, il est vrai que le film est fidèle à l’ancien rituel et repose sur des événements historiques.
Pensez-vous que la plupart des membres de l’Eglise, à notre époque, croient encore à la possession et à l’efficacité de l’exorcisme ?
Tout ce que je peux vous dire, c’est que dans les années 60, si on avait demandé aux prêtres exorcistes s’ils croyaient en Satan, seulement 20% d’entre eux auraient répondus oui.
EXORCISMES CLANDESTINS
"ONCLE JACOB ET LE DEMON"
Alexis est persuadé que le démon l’habite depuis plusieurs années. L’Eglise ayant refusé de l’exorciser à plusieurs reprises, il a décidé de prendre les choses en main... à sa manière. Depuis deux ans, c’est son oncle qui tente de chasser Belzébuth de son corps par le biais d’un rituel non approuvé par l’Eglise Romaine. Ils ont accepté de pratiquer ce « faux » Grand Exorcisme devant nous.
« Je vous adjure et vous conjure, je vous ordonne et vous impose en premier qu’en marque de votre soumission à l’autorité divine, vous fassiez incessamment connaître, par un prodige ou un songe, le signe tangible de votre présence en ce lieu, ainsi que le nom de votre Maître, Belzébuth, Satan ou Azaël (...) Nous vous exorcisons, Esprits Impurs, et nous vous soumettons à la toute Puissance du Seigneur (...) Dieu vous commande, le signe sacré de la Croix vous commande, et la Vertu de la Foi Chrétienne vous commande... »
Face au Sud, brandissant son crucifix en bois à bout de bras, « Oncle Jacob » récite depuis quinze minutes son texte rituel. Sa longue barbe grise et sa toge violette font de lui une image d’Epinal. Au milieu de la pièce, Alexis, 28 ans, est couché sur une vieille table en chêne, les yeux fermés. A ses pieds, un encensoir légèrement rouillé dégage une fumée dense à l’odeur âcre et suffocante. Le vieil homme s’interrompt, attrape une poignée de sel dans la poche de sa robe ignifugée - « on n’est jamais trop prudent...» - et fait voler les cristaux dans toute la pièce. « Haaa! Ca y est! Vous le sentez remonter à la surface ? Vous sentez le trouble envahir Alexis ? » Le jeune homme reste pourtant totalement stoïque depuis le début de la cérémonie.
Lorsqu’Alexis vivait encore près de Reims, en France, il est allé voir plusieurs exorcistes afin de résoudre ses problèmes. Il prétend être victime de visions extralucides non contrôlées, de crises d’agressivité, et de troubles du sommeil s’apparentant à un somnambulisme puissant. En grave conflit avec son entourage, il a décidé de rejoindre son oncle en Belgique. Les Exorcistes
officiels de l’Eglise Catholique ayant refusé de l’exorciser et le rituel étant tenu secret, il s’est tourné vers un rituel parallèle. « Mon Oncle Jacob est un ancien prêtre » nous dit-il avant de monter sur la table (ndlr : après recherche, nous n’avons pas trouvé son nom dans les archives de l’Eglise).
Le rituel en question est celui établi par Robert Ambelain, fondateur de l’Eglise Gnostique Apostolique, Franc-Maçon convaincu et spécialiste de l’ésotérisme. Il est trouvable d’un simple clic sur Google. Ce genre de pratiques est condamné par l’Eglise Catholique, qui y voit l’œuvre d’un christianisme dissident. « Pourquoi ce rituel serait-il moins efficace que celui de Rome ? Eux qui refusent de combattre leurs propres démons ! » s’emporte Jacob en remplissant des petites fioles d’argent avec de l’huile et de l’eau bénite.
Oncle Jacob se dit être un proche du célèbre Père Samuel, un personnage fort médiatisé. Pour rappel, ce dernier est un prêtre de la région de Charleroi qui pratique depuis des années et sans autorisation des exor-
cismes à tour de bras. L’Eglise ne reconnaît plus ses pratiques et les sacrements qu’il confère depuis 1991, suite à de nombreuses dérives. Pourtant, ses fidèles se comptent par milliers et il fut approché par plusieurs politiciens belges. Le Vatican réprouve ces cultes parallèles, et craint un amalgame dans les esprits crédules ou mal informés.
« Seigneur, exauce ma prière, et que mon cri monte jusqu’à Toi; Le Seigneur soit avec vous, et avec votre esprit. Amen. » Sur ces mots, Jacob plonge deux doigts sales dans un petit bol rempli de cendres et trace une croix noire sur le front de son neveu. Ensuite, il saisit ce qu’il reste de la fiole d’eau bénite et en asperge la pièce aux quatre coins cardinaux en marmonnant un incompréhensible charabia. « Voilà, il faut maintenant le laisser reprendre ses esprits. C’est un combat très éprouvant pour lui » m’assure l’Oncle Jacob. Pourtant, Alexis n’a pas bougé depuis qu’il s’est couché sur la table. On jurerait qu’il dort. Il n’a été secoué par aucune crise, convulsion ou quelconque autre phénomène étrange.