Quelle est donc cette frayeur assez puissante pour sauter dans le vide ? Dans la nuit du 22 au 23 octobre, douze personnes, dont sept enfants, se sont jetées du deuxième étage d’un HLM de banlieue, à La Verrière, dans les Yvelines. Des voisins les ont entendus, crier dans leur chute «Jésus ! Jésus !» Et même : «Merci Seigneur, pour cette belle journée !» Comme si c’était soudain la fin du monde. Au même moment sur le palier, un homme à moitié nu et ensanglanté, hurlait derrière la porte : «Agnès, ne les suis pas ! Ils sont en train de te tromper. Au nom de Jésus, ne les suis pas !» Mais Agnès a sauté elle aussi. Avec ses trois sœurs, son frère, et tous leurs enfants. Un bébé est mort. C’était la fillette d’Agnès et de Francisco, l’homme qui s’était retrouvé sur le palier.
D’après lui, ce soir-là, on l’a pris pour le Diable. Pas un cambrioleur, pas un intrus, mais bien le Diable. Il venait de se lever pour préparer le biberon du bébé. Rassemblés devant la télé, les sœurs et le frère d’Agnès, arrivés dans la soirée, l’auraient alors attaqué, blessé à coups de couteau, puis expulsé manu militari, du petit deux-pièces. Et c’est quand Francisco, propulsé sur le palier, s’est mis à tambouriner à la porte, que tous les occupants de l’appartement se seraient, dans un même élan, précipités par la fenêtre. Mais à l’hôpital où ils ont été emmenés en urgence, les proches d’Agnès donnent une autre version : Francisco aurait surgi en les menaçant d’un couteau. Pris de panique, ils auraient ensuite sauté dans le vide. Aucun diable dans ce scénario-là, tout juste peut-être «l’Adversaire»…
Pasteur autoproclamé
«Tout ça est très confus», a résumé Odile Faivre, l’adjointe au procureur de Versailles. Trois personnes ont été mises en examen : Francisco, son beau-frère Benjamin, et l’une de ses belles-sœurs, Eurydice. Sur place, les policiers n’ont trouvé aucune drogue, ou substance hallucinogène, mais «de nombreux livres religieux». Depuis peu, il est vrai, Agnès et sa sœur Eurydice avaient rejoint une petite église, d’obédience évangéliste. Elles s’étaient fait baptiser, priaient beaucoup. Parfois, elles disaient des choses étranges. La veille du drame, chez ses parents, Eurydice aurait ainsi affirmé être «Jésus de Nazareth», exprimant le désir de «purifier»sa mère, plutôt incrédule. Les parents des deux jeunes femmes sont originaires de Centrafrique. Un pays où même le Président a fondé sa propre église.
«En France, beaucoup de nos compatriotes se retrouvent dans des groupes de prières. Ils se réunissent dans un local loué ou dans un appartement. Ils prient, ils chantent. Il y a bien sûr un animateur : c’est souvent un pasteur autoproclamé, qui n’a jamais fait d’études bibliques», explique Sylvain Demangho, président du Collectif des Centrafricains de France. Et de quoi parle-t-on dans ces messes improvisées ? De Dieu et de Jésus, bien sûr. Mais aussi du Diable, de Satan, du démon. «Ces gens vivent leur foi dans une sorte de syncrétisme, qui mélange inspiration évangéliste, croyances traditionnelles, et parfois aussi un peu de vaudou. Pour eux, oui, le Diable existe ! Il se confond avec le sorcier, les esprits. C’est une figure malfaisante qui empêche d’être bien. Bien sûr, c’est aussi une façon commode d’expliquer les malheurs de l’existence. Mais ces gens y croient et ils ont peur car, à tout moment, on peut vous jeter un sort et attirer ainsi le Mal sur vous», poursuit Sylvain Demangho, avant de conclure, un peu sibyllin : «En France, on croit toujours que ce qui ne se voit pas n’existe pas.»
Une France invisible, hantée par les forces du Mal ? Elle ne se limite pas aux églises évangélistes, certes en plein essor, ni à des populations d’origine africaine dont les croyances peuvent sembler un peu exotiques. Ligardes est une charmante bourgade du Gers, à 20 km au sud d’Agen. Un peu à l’écart, au bout d’une route qui traverse des champs de chrysanthèmes et d’arbres fruitiers, une belle ferme en pierre, construite au XIXe siècle. Il fait déjà presque nuit, quand Christelle (1) arrive, avec ses parents. Son père, l’air soucieux, fume une cigarette. Christelle, telle une ombre, est restée dans la voiture où elle préfère attendre son tour. Sans se mêler aux nombreux visiteurs agglutinés dans le couloir étroit qui sert de salle d’attente. C’est un petit concentré du Sud-Ouest qui se retrouve là. Des gens simples, chaleureux, avec cet accent chantant qui fait entendre «le Malingne», quand ils évoquent pudiquement le Malin, le Diable. Ils ne sont pas tous venus pour ça. Il y a des zonas, des hernies discales, une petite incontinence ici et là… Ils savent que Pierre soigne tout ça, et bien d’autres choses. Lui, c’est le maire du village : Pierre Dulong, la même coiffure que Julien Clerc en 1972, tout maigre, flottant dans un costume gris anthracite. Il a 65 ans, on lui en donnerait quinze de moins. Poignée de main énergique, il a l’air d’irradier, comme habité par une force intérieure. Un jour, il y a déjà trente ans, un guérisseur lui a révélé son don. Depuis, il a fini par céder l’exploitation de la ferme à son fils, et quand il n’y a pas conseil municipal, il impose les mains, prie, déjoue les malheurs du destin. Il est guérisseur, mais aussi exorciste. Coût de la consultation : 25 euros pour une prière, 45 pour une possession.
Dans la salle d’attente, il y a quelques envoûtés. Ils ont eu une déprime brutale, sans explication. «Du jour au lendemain, je ne mangeais plus, ne dormais plus, je n’avais goût à rien», résume Pascal qui appuie sur le «rieng». Guy, retraité, hoche la tête : «On ne le souhaite à personne. Quand on vous jette un sort, vous êtes soudain à terre.» Ils viennent une fois par semaine. Ils attendent «parfois jusqu’à huit heures, avant la consultation», signale Armand dont la femme, depuis peu en hôpital psychiatrique, cumule «déprime et envoûtement». Le maire guérisseur ne cherche jamais à savoir qui a bien pu jeter un sort. Ses patients, eux, ont leur idée là-dessus. Un voisin, une ex-amie, un parent… «Tout ça, c’est la jalousie, c’est l’envie ! C’est le malheur de notre époque», souffle Guy avec rage.
Verdict du penduleLe tour de Christelle approche. Pierre, soudain plus grave, va revêtir sa tenue de prêtre de l’Eglise gallicane, une branche dissidente, non reconnue par le Vatican. Il se prépare encore quand elle entre. Une gamine de 19 ans, souriante, qui a gardé les fossettes de l’enfance. Pull noir, frange un peu courte : elle ressemble à n’importe quelle jeune fille d’aujourd’hui. Maryse, sa mère, est à ses côtés. Il y a quinze ans, elle a subi un envoûtement. C’est comme ça qu’elle a connu Pierre Dulong. «Aujourd’hui, on cherche encore à m’atteindre, moi, mais à travers ma fille», dit-elle. Sauf que Christelle n’est pas envoûtée, elle serait possédée par le Diable. Verdict du pendule, agité par Pierre sous le nez de la jeune fille, il y a quelques mois déjà. Elle souffrait alors de crises de spasmophilie très violentes, face auxquelles la médecine semble impuissante.
Comme tous les vendredis soirs donc, Christelle entre dans le cabinet magique de Pierre Dulong. Une petite pièce remplie de portraits du Christ un peu kitsch, de santons, crucifix, bougies, et de livres aux titres évocateurs : Magie blanche,Prières merveilleuses… Christelle s’allonge. Très vite, alors que Pierre agite de l’encens au-dessus d’elle, elle semble groggy. Ferme les yeux, comme assoupie. Quatre hommes, dont son père et son oncle, tous des gabarits de déménageurs, se tiennent aux quatre coins du lit. Bientôt, ils le savent, ils vont devoir tenir fermement les chevilles et les bras de Christelle.
Rire, voix gutturale et cri très aiguD’ailleurs, c’est parti ! Alors que Pierre Dulong psalmodie des prières sur un rythme haché, Christelle ouvre brusquement les yeux. Un regard fixe, haineux. Au début, elle se contente de grogner. Puis la voici qui hurle, à en faire trembler les champs de chrysanthèmes ! Elle se débat, bave, tente de mordre cette main qui brandit un crucifix devant elle. Les quatre gaillards font la grimace, en s’efforçant de la maintenir sur le lit. Elle rit, passe d’une voix gutturale à un ton très aigu, baragouine dans une langue qui ressemble vaguement à de l’anglais, puis du latin. Crie : «Moi, moi, moi», avec hargne. Soudain, elle retombe, semble évanouie. La tension s’évapore comme une fumée d’encens. La séance a duré presque une heure. C’est fini, jusqu’à la semaine prochaine. «Il faudra encore beaucoup d’autres séances», soupire l’exorciste. Christelle cligne des yeux, sourit, elle a tout oublié. Pierre Dulong, lui, est en nage. «Des cas de possession, je n’en accepte qu’un à la fois. C’est trop d’énergie. Et pourtant, il y a de plus en plus de demandes», confie-t-il. Pendant la semaine, les parents de Christelle guettent le moindre regard trop fixe, des gestes violents, inattendus. Leur fille a parfois un comportement bizarre, mais ils n’en parlent à personne.
«Mes amis, mes voisins pensent que je suis folle, explique Maryse, la mère, alors je ne dis plus rien.» Quelques patients qui traînent encore devant la ferme, opinent du chef. «C’est tabou. Vous me voyez expliquer à mon psy que je consulte également un guérisseur ?» demande cette jeune femme, «envoûtée», qui a décroché de tous les antidépresseurs depuis qu’elle voit Pierre Dulong. Tous savent que les guérisseurs et les sorciers pullulent dans la région. «Mais il y a beaucoup de charlatans et dans le coin, aucun n’a la force de Pierre», souligne Jean-Claude, «désenvoûté» récent.
Jeteurs de sorts, guérisseurs, sorciers : ils pratiquent partout en France, souvent dans le secret. «Il y a un consensus pour que tout ça reste dans le domaine des croyances et des superstitions folkloriques. Même les gens les plus ouverts, n’ont pas idée de l’importance de cet univers», souligne l’ethnologue, Dominique Camus qui observe et côtoie depuis plusieurs années ce «monde sorcier» en Bretagne où il est installé. Ses nombreux ouvrages (2) regorgent de poupées plantées de clous, de cœurs d’animaux crucifiés, de philtres divers, de prières occultes et d’épisodes inquiétants. Sur le terrain, le chercheur affirme qu’il a dû se protéger à l’aide de talismans. «Ce n’est pas anodin de commencer un doctorat et de voir certains de vos interlocuteurs mourir subitement. C’est un milieu d’une extrême violence»,souligne-t-il. Que penser ? A ce stade, il importe de garder un certain sang-froid. Par exemple, en fuyant vite fait vers nos grandes villes à la modernité si rassurante ?«C’est une grande stupidité de penser que ce n’est qu’un phénomène de campagne !» avait pourtant prévenu Dominique Camus, un peu agacé.
Il est vrai que le monde urbain réserve aussi quelques surprises.«Bienvenue au service de l’exorcisme, nos bureaux sont ouverts du mardi au jeudi», annonce avec une certaine allégresse, le répondeur de l’église Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours. Située juste en face du cimetière du Père-Lachaise, cette grande église abrite les deux prêtres exorcistes de Paris. Pour toute la France, ils étaient à peine une vingtaine dans les années 60, ils sont plus d’une centaine aujourd’hui. Au moins un par diocèse. Des prêtres désignés par les évêques, et très sollicités : il y aurait 25 000 demandes d’exorcisme par an en France, dont 1 500 en moyenne à Paris. Les chiffres sont stables depuis plus d’une dizaine d’années mais relèvent d’une estimation a minima tant l’Eglise catholique refuse toute publicité sur le sujet. En fait, c’est un peu contrainte par l’afflux des demandes qu’elle a dû prendre les choses en main et «essayer de gérer ce phénomène, plutôt que de laisser les exorcistes autoproclamés agir sans limites» souligne Danielle Hervieu-Léger, sociologue des religions.
Un sac de clous recrachés par les possédésUne stratégie décidée au niveau national. En Allemagne et en Espagne, par exemple, il n’y a pas d’exorcistes officiels. En Italie, en revanche, les combattants du démon sont légion. Dom Gabriele Amorth, exorciste du Vatican depuis 1986, en est le chef de file, devenu la star planétaire de la lutte contre l’Adversaire. Ses mémoires publiées en France le 28 septembre (3) «partent comme des petits pains», confie-t-on à La Procure, la grande librairie catholique de Paris. Adepte d’un discours plutôt viril, Dom Amorth affirme avoir pratiqué 70 000 exorcismes et aurait dans son bureau, un sac entier de clous, recrachés par les possédés.
Aujourd’hui encore, il défend le rituel de 1614, élaboré en pleine Inquisition, et qui préconise un vrai combat, en latin, avec Satan. Mais la plupart des prêtres exorcistes, surtout en France, ont aujourd’hui «une approche plus métaphorique du Diable», selon Danielle Hervieu-Léger. Un nouveau rituel a été élaboré au Vatican en 1998. Désormais, on implore Dieu, plutôt que d’injurier Satan. Ce qui change évidemment l’ambiance. Fini les «vade retro Satanas» et le grand duel avec «le côté obscur de la force»! En France, les prêtres exorcistes ne rechignent pas, bien au contraire, à vous envoyer chez le psy pour combattre les démons de l’hystérie ou de la schizophrénie. Mais alors, croient-ils encore au Diable ? «Le paradoxe, c’est que l’Eglise n’a jamais renié l’existence de Satan, ce qui d’ailleurs serait une petite révolution. Alors elle laisse flotter les rubans, et s’en remet à la sagesse des prêtres.»
Mode d’emploi secretBref, dans l’Eglise de France, on trouve en réalité toutes les tendances, depuis «les psychologisants» qui ne voient qu’un mal-être psychique dans ces phénomènes, jusqu’aux «diabolisants» qui ont vu «l’œil du Diable»… Surtout, les «vrais» exorcismes sont rares : les cas de possession diabolique sont diagnostiqués avec une extrême prudence. Alors, la plupart du temps, il faut se contenter du «petit exorcisme» : en fait, une prière de délivrance, avec imposition des mains, eau bénite. Seul le grand exorcisme reste une vraie cérémonie, dont le mode d’emploi est fourni par le nouveau rituel de 1998.
Mais attention, pas la peine de le chercher en librairie : c’est un ouvrage secret. Dans chaque diocèse, il n’en existe que deux exemplaires. L’un détenu par l’évêque, l’autre par le prêtre exorciste, dans un coffre fermé à clé. «Pour éviter qu’il ne tombe entre les mains de farfelus. Un exorcisme n’est pas un rituel qu’on peut faire à la légère», explique-t-on au diocèse d’Arras. Ici comme ailleurs, le service de l’exorcisme ne désemplit pas. Quand ils arrivent, la plupart des visiteurs ont déjà vu un guérisseur, un mage ou une voyante (elles sont 40 000 en France). Pourtant à l’église, contrairement aux autres options, c’est gratuit. «Il y a beaucoup de femmes, avec un passé douloureux, un viol, un inceste. On mentionne rarement le Diable. Certains disent "Il" ou "l’Entité". Tous pensent qu’on leur veut du mal, qu’on leur a jeté un sort. Il y a des pleurs, des gens parfois totalement terrorisés. C’est très dur, constate ce prêtre qui préfère rester anonyme, car quand un prêtre exorciste donne son nom dans la presse, il est aussitôt assailli de nouvelles demandes.»
Mais il y a aussi des déçus. Des candidats à la possession recalés faute de répondre aux trois critères : s’exprimer dans une langue étrangère ou incompréhensible, faire soudain preuve d’une force surhumaine et blasphémer ou manifester une réaction d’effroi et de rejet face aux insignes religieux. On leur propose une petite prière de délivrance mais eux s’attendaient à un grand rituel, avec bataille contre le démon, pour les débarrasser de leurs souffrances. Comme au cinéma, finalement. Depuisl’Exorciste (de William Friedkin, en 1973), bien d’autres films ont suivi. Le cinéma a entretenu la fascination du Diable. Mais il ne l’a pas créé. «Ça ne marcherait pas, s’il n’y avait pas une attente», constate Danielle Hervieu-Léger qui situe le grand changement des mentalités au tournant des années 70 : on pensait que les sociétés occidentales étaient définitivement sécularisées, vouées au seul culte du rationalisme et de la science. Mais le choc pétrolier révèle soudain «la vulnérabilité de la modernité», dit-elle. On redécouvre alors des croyances qu’on pensait périmées, disqualifiées. «A une époque aussi où la notion de péché s’efface. Ce n’est donc plus en soi, mais autour de soi qu’on va désormais chercher la cause de ses malheurs», poursuit la sociologue. Et les amoureux de Satan ? Ces sectes qui inspirent Hollywood comme le monde du rock ? «En France, elles sont restées très minoritaires. Ce n’est pas parce qu’on écoute du rock gothique qu’on est un adepte de Satan !»
Lequel a tout de même plus de 14 000 amis sur Facebook. Mais est-ce vraiment sérieux ? Moins préoccupant en tout cas, que les innombrables sites qui proposent de vous «désenvoûter» d’un clic, et d’un coup de carte bleue. «Je me souviens d’une dame qui venait souvent me voir, persuadée qu’on lui avait jeté un sort, et qu’on lui perçait le cerveau. Un jour, elle m’a dit que tout était fini. Grâce à une certaine Tamara, contactée sur un site de désenvoûtement. Pour 450 euros», soupire le père Henri Amet. Ce jésuite de 82 ans a pu mesurer la fascination que suscite toujours le Diable. Ou même, cette peur du Diable, thème du livre qu’il a publié l’an passé (4). Lui aussi exorciste, il a exercé pendant neuf ans au diocèse de Lyon. Quand il a fallu passer la main, il a décidé de continuer, avec l’accord de l’archevêque. Dans la pièce où il reçoit, en plein centre-ville de Lyon, à deux pas de la place Bellecour, dans cet ancien monastère qui abrite la communauté des jésuites, le décor est dépouillé à l’extrême : deux icônes au mur, quelques meubles dont une banquette, bien plus dure que le sofa d’un psy. Mais vouée à accueillir des âmes tellement tourmentées qu’elles se mettent parfois à hurler, en gesticulant dans tous les sens. Récemment, une jeune et jolie Portugaise, perdant soudain tout contrôle, blasphémant et éructant, en a cassé le pommeau. Parmi les solliciteurs, il y a beaucoup d’Africains et d’Antillais, mais aussi un monde plus hétéroclite : «Des chefs d’entreprises, des restaurateurs, des ouvriers, des marginaux. Bref, de tout ! Il y a aussi des musulmans, des juifs. Mais la plupart ne sont pas vraiment pratiquants, ils croient plus facilement au Diable qu’au Bon Dieu.»
Bénédiction des poissons
Le père Amet bénit aussi les maisons hantées ou envoûtées, sans oublier au passage les animaux domestiques des lieux. «Une fois, j’ai même béni des poissons rouges», note-t-il, amusé. Il reçoit tout le monde, écoute sans interrompre. «J’accepte tout ce que me racontent les gens, même les choses les plus invraisemblables», affirme le vieux jésuite, désormais ouvert à la croyance, au paranormal et aux forces surnaturelles. «C’est comme être face à un étang. Je vois bien des bulles qui remontent et éclatent à la surface. Mais je devine aussi que les profondeurs sont insondables, et qu’il s’y passe des choses.»
Mais en général, c’est le «démon de l’angoisse» qu’il doit combattre, «avec une énorme compassion» : des gens aux destins brisés, qui ont subi une soudaine accumulation de malheurs et qui en cherchent le sens caché. «A l’origine, Diavolos, le Diable, signifie celui qui sépare, nous coupe de l’harmonie du monde», rappelle le père Amet. «Qu’est ce que la possession au fond ? demande Danielle Hervieu-Léger.C’est le sentiment qu’on ne s’appartient plus. Et c’est un sentiment très dur à vivre dans un monde où domine l’exigence d’être soi.»
Etrange ironie, le drame de La Verrière s’est déroulé rue Marcel-Rivière. C’est aussi le nom de l’institut psychiatrique tout proche, surtout connu pour accueillir les profs en dépression nerveuse. Dépossédés, eux aussi, de leurs destins. De nos jours, les démons ont souvent plusieurs visages.
(1) Tous les prénoms de cette scène ont été changés. (2) Dernier ouvrage paru : «la Sorcellerie du Moyen-Age à nos jours» (éditions Dervy). (3) «Confessions» (Michel Lafon). (4) «Faut-il avoir peur du diable ?» (éditions Nouvelle Cité).
PhotosPhilippe Guionie Myop
sourec: "Libération.fr"