EXORCISMES ET POSSESSIONS

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Le Diable de Claude Bernard

Aimé Giron
Le Diable de Claude Bernard

 

Claude Bernard

Le Figaro du mercredi 30 septembre 1885 nous conte cette histoire charmante :

L'illustre Claude Bernard possédait, dans son cabinet d'étude et accroché à la muraille, un objet d'art auquel il tenait beaucoup. C'était une tête en bronze - une tête du Diable.

Vrai masque satanique avec les accessoires obligés et légendaires, - ses deux cornes de bouc, sa barbiche de roué, ses lèvres à la fois sensuelles et sarcastiques laissant entrevoir la langue gourmande et la dent mauvaise. Un nom de première marque artistique signait cette tête et l'hommage fait au maître.

Depuis bien des années, elle assistait silencieusement, du haut de son clou, au plein soleil ou sous la lampe, à toutes les recherches et à toutes les découvertes du grand physiologiste.

diable

Je ne sais si Claude Bernard attribuait à cette image fantastique une part quelconque dans ses incessants et merveilleux travaux.

Mais ce que je n'ignore point, c'est que pour bien peu la très religieuse fille du savant eût fait à Satan honneur des œuvres de son père : Son mémoire sur le pancréas, ses recherches expérimentales sur le grand sympathique, ses leçons sur les liquides de l'organisme, etc., etc.

Quoi qu'il en soit, Claude Bernard étant mort, sa fille se laissa plus que jamais épouvanter par cette tête infernale et se livra à l'intensité et à la fréquence de ses scrupules. Cette tête obsédait réellement sa veille et son sommeil. C'est pourquoi elle résolut d'en délivrer sa conscience et le cabinet paternel.

Seulement, il n'est pas facile - à une femme - de se débarrasser du diable. Un prêtre seul peut en avoir radicalement raison, grâce aux exorcismes, s'il y a lieu, et aux inspirations d'une inimitié de longue date.

Le bronze fut donc porté à l'abbé R... qui, toute sa vie, a connu du diable sinon la tête - du moins la queue, n'ayant pour nourrir 600 ou 700 orphelins ou orphelines que l'air du temps et la charité.

La volonté de la visiteuse étant formelle, l'abbé R... ne fut point alors trop fâché de prendre une double revanche sur un ennemi deux fois intime et de régler avec lui un vieux compte puisque l'occasion s'en présentait.

On arrêta que la tête diabolique serait fondue et convertie - l'abbé souligna le mot - en un saint du paradis, le plus antipathique à l'enfer.

Le brave abbé, qui se défie plus que personne des tours de l'esprit malin acculé, se tint ce petit raisonnement :

- Oui, je vais bien charger un fondeur de mettre ce bronze à la fonte. Mais c'est un bronze d'art, bel et hautement signé et, de plus, consacré par le souvenir de Claude Bernard. Hum ! Le fondeur, en homme avisé ne manquera pas de le garder et de me couler le saint convenu avec le premier bronze venu. Je serai donc outrageusement joué par le diable !

L'abbé R... sur ce raisonnement fort sensé, porte tout d'abord et tout simplement la tête de maître Satanas chez un vulgaire serrurier. Là, ne voulant s'en remettre à qui que ce soit de la besogne préméditée et peut-être aussi poussé par un sentiment de rancune personnelle, l'abbé posa la tête sur l'enclume et saisit un lourd marteau. De quelques coups très consciencieux et très fervents, il mit la tête en pièces. Cornes, barbiche, langue, dents et rictus, tout y passa pour s'en aller ensuite pêle-mêle chez un fondeur de renom qui; avec ces débris, promit de couler une jolie statuette de Saint-François d'Assise.

St Francois

En effet - sitôt dit, sitôt coulé - et cette statuette est superbe. Elle a 28 centimètres de haut. Le saint est debout dans les plis étroits et droits du froc que serre les cordons à nœuds, dont un long bout descend et flotte. Les bords de la robe un peu courte laissent passer les pieds nus. De larges manches sortent les deux mains ouvertes et renversées dans un mouvement de surprise sous l'impression des stigmates. La tête émaciée se détache tout entière dans le capuchon évidé, et le visage est admirable d'expression extatique - yeux perdus au ciel et bouche ouverte par une douloureuse béatitude. Le bronze plus clair des pieds, des mains et de la tête joue les tons de chair sur le bronze plus sombre du froc franciscain.

Le brave abbé R... vivait depuis en contemplation devant son saint François. Seulement, il est aussi généreux avec ses amis que charitable pour ses orphelins.

J'ai eu le malheur d'admirer trop bruyamment la statuette et, m'étant assez mal défendu, il m'a fallu l'accepter. Elle m'est précieuse, je l'avoue.

Mais, hélas ! j'ai vu hier le pauvre abbé si soucieux à propos d'une fillette sans mère et que son père a failli plusieurs fois asphyxier en lui tenant la tête dans son four ! pauvre petite martyre devant laquelle l'asile à bout de ressources ne peut s'ouvrir ! ma foi, j'ai rêvé de jouer du même coup un charmant tour à l'abbé et un vilain tour à maître Satan - tout converti qu'il soit.

C'est pourquoi j'offre au plus fort enchérisseur le Saint-François d'Assise - rappelant l'illustre Claude Bernard.

Cet article signé, je pars pour la Hongrie. A mon retour, fin septembre, je m'empresserai de dépouiller les demandes adressées au Figaro. Le plus généreux recevra la statuette, l'abbé R... me grondera certainement ; mais pourra enfin admettre la malheureuse petite maltraitée.

Quant au diable sous la robe de Saint-François, il aura - en dépit de ses habitudes et de ses rages - fait lui-même et tout de même une bonne œuvre.

Aimé Giron
(Figaro du mercredi 30 septembre 1885)

En fait Claude Bernard avait effectivement épousé le diable en la personne d'une petite bourgeoise bigote et acariâtre !

source:"www.scienceetmagie.com"



22/05/2015
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