EXORCISMES ET POSSESSIONS

EXORCISMES ET POSSESSIONS

Lyon, la chasse aux démons, l'Express du 16.03.2006

Ils n'ont pas d'écriteau sur leur porte, ne distribuent pas, tels des marabouts, de tracts dans les boîtes aux lettres, ne font pas de publicité sur les ondes ou sur Internet. Ils reçoivent sans discrimination protestants, musulmans, juifs, animistes et, bien sûr, catholiques. En grande détresse, déprimés, ceux qui les sollicitent - souvent des femmes entre 35 et 50 ans - le font avec l'impression d'être possédés, d'entendre des morts leur parler ou d'être harcelés par des forces occultes. Chercheurs, cadres ou chômeurs, ils ont souvent tout essayé, gourous et mages divers. En vain. Tous vivent l'étrange sensation d'être victimes du Malin. 

Prières, imposition des mains, recours à l'eau bénite, bienvenue dans le monde des exorcistes. A Lyon, capitale du spiritisme (voir l'encadré «Spiritisme et sorcellerie», page 7), ils sont trois prêtres à se partager ce ministère, objet de bien des fantasmes. Leurs consultations, pourtant, n'ont rien à voir avec les clichés régulièrement véhiculés par le cinéma. Personne, ici, n'a la tête qui pivote à 360 degrés comme dans L'Exorciste, de William Friedkin. «Oubliez le film, suggère le père Amet. Il a déstabilisé et traumatisé beaucoup de gens qui se sont alors crus possédés!» 

Prêtre jésuite, exorciste dans la capitale des Gaules depuis 1997, le père Henri Amet, 77 ans, cheveux blancs clairsemés, ne comptabilise pas moins de 1 750 personnes venues en consultation. Sans parler de ceux qui passent «régulièrement». Et ces autres, rencontrés par ses «collègues». Leur mission: rassurer, écouter, mais aussi redonner confiance en soi. Et, bien sûr, disqualifier le diable au profit de Dieu. Le tout sans stratagème, sans recourir à de quelconques poupées envoûtées ou mèches de cheveux. Car, qu'on se le dise, les «grands exorcismes», tels que celui récemment mis en scène dans le long métrage L'Exorcisme d'Emily Rose, et dont le but est de chasser le diable du corps, sont rares. Ils ne peuvent d'ailleurs être entrepris qu'après l'accord de l'évêque et à la suite de l'expertise d'un psychiatre requis pour s'assurer que la pseudo-possession n'est pas une maladie relevant de la psychiatrie. «Il faut éviter de voir le diable partout sans pour autant se dire qu'il n'existe pas», avance prudemment le père Amet. 

Bien souvent, pourtant, la présence d'esprits malins n'est qu'imaginaire et l'accompagnement spirituel vise d'abord à retrouver mentalement une certaine sérénité. En surface, donc, rien de spectaculaire. «Médecins des âmes» à leur façon, les exorcistes recourent peu aux formules imprécatives fondées sur le célèbre Vade retro, Satana. Ils lui préfèrent les déprécations, ces prières appelant à l'intercession divine. Pour un meilleur équilibre psychologique? «Quand on s'acoquine avec des forces occultes, que ce soit le spiritisme ou la magie noire, on n'est jamais sûr d'en ressortir indemne», observe le père Amet. 

Pour lui, beaucoup de ces «damnés» se perçoivent victimes de malédictions qui ne sont en rien tombées du ciel. «Dieu étant amour il ne peut pas leur avoir fait ça. Et puis, Jésus-Christ n'a-t-il pas vaincu les forces du mal?» commente le prêtre. Pour autant, il ne prend pas ses interlocuteurs pour des fous. Bien au contraire. «Dialoguer est indispensable pour tenter de les sortir de leur mal-être.» 

Un mal-être souvent en lien avec l'attrait grandissant qu'exercent le paranormal et l'ésotérisme - notamment auprès des jeunes (voir l'encadré «L'exorcisme en France», page 7). Historien des religions et spécialiste du satanisme, Jacky Cordonnier multiplie ainsi interventions et conférences en milieu scolaire afin de mettre en garde les ados, souvent accros aux pratiques occultes. A quoi tient ce regain? 

Outre une certaine culture s'inspirant du Prince des ténèbres, comme le hard rock, version gothique, ou le black metal, façon Marilyn Manson, prêtre de haut rang dans l'Eglise de Satan, les explications varient. Désintérêt vis-à-vis des religions monothéistes débouchant sur un «zapping spirituel» où l'on teste diverses pratiques pour se faire sa propre religion? La démarche, facilitée par Internet, est abondamment relayée par de nombreuses librairies ésotériques - présentes à Lyon jusque et y compris en face de la «catho» ... Mal-être sociétal que traduirait une désaffection à l'égard du politique, certains compensant l'impuissance des hommes en «misant» sur Satan, l'ange déchu, quintessence de la puissance sur les autres et sur le destin? Qui sait? 

L'exorciste, lui, sait qu'il doit faire face, être paré pour tout ce qu'il va entendre. Bien sûr, il n'a pas trop à s'inquiéter des satanistes. Ces derniers, ouvertement opposés à la religion catholique, prennent un... malin plaisir à inverser les rituels (croix renversées, messes noires, orgies, sacrifices). Mais eux ne consultent guère et se repentent rarement. 

Avant d'intervenir, le père Amet et ses condisciples se doivent donc de garder un oeil ouvert sur le monde, d'être au fait de toutes les pratiques. Qu'il s'agisse des méthodes orientales d'épanouissement personnel - zen ou yoga - ou des rituels magiques, voire sectaires. «Parce que la magie fascine les jeunes, j'ai lu Harry Potter, confesse le prêtre. Il est important de savoir comment la société identifie ces pratiques et comment celles-ci sont mises en avant.» 

De quoi faire tomber les préjugés, encore nombreux, à l'égard d'un ministère obscur? L'heure est au dépoussiérage. Surtout pour le commun des mortels. Car, pour les exorcistes, il a déjà eu lieu. C'est sous Jean-Paul II que le Vatican a pris en compte les évolutions pouvant rendre ce ministère plus efficace. Notamment en lui adjoignant les apports de la psychiatrie et de la psychanalyse. Depuis la fin des années 1990, on a remisé les anciens textes du Saint-Siège qui dataient de... 1614! 

Sans battage, l'alliance du sacré et de la science s'est réalisée. Avec Lyon en figure de proue. Ses exorcistes ont été les premiers à solliciter l'aide des psychiatres. «Nous, les psys, on s'intéresse d'abord à la souffrance psychologique, on ne prend sans doute pas assez en compte la souffrance spirituelle. Ce sont eux qui ont initié la démarche», confirme Alexia Levrat, psychiatre au centre hospitalier Saint-Jean-de-Dieu. 

Une ligne de conduite suivie, depuis, par d'autres évêchés. Sur les bords du Rhône, réunis tous les deux mois, psychiatres et psychologues lyonnais font ainsi le point sur les situations susceptibles de mettre en difficulté les exorcistes du cru. En toute discrétion, ceux-ci exposent les «cas» difficiles rencontrés. En retour, leurs interlocuteurs les éclairent quant au contexte psychique - psychose, hystérie - qu'ils décèlent parfois en arrière-plan. «Au final, mieux vaut insister avec ceux qui nous consultent sur les troubles de type hystérie ou schizophrénie qui peuvent les toucher que d'évoquer toute forme de possession, confie le père Amet. D'abord parce que, même si je ne peux pas être totalement catégorique, je n'ai jamais rencontré de vrais possédés. Et puis aller dans leur sens renforcerait chez eux cette croyance. Le sentiment d'être déséquilibré est déjà assez présent, il ne faut surtout pas nourrir la paranoïa. Une bonne part de la "guérison" passe par le réconfort. Il faut chasser l'idée selon laquelle le diable est en eux.» Sinon? 

«Je me souviens d'une jeune fille qui s'est jetée par la fenêtre. Persuadée d'être possédée, elle s'est débarrassée de cette présence diabolique en se suicidant, raconte Alexia Levrat. Malheureusement, ce genre de délire a une fonction protectrice: on projette hors de soi quelque chose qu'on n'accepte pas à l'intérieur de soi. Attribuer ses malheurs à une force extérieure, c'est un moyen de ne pas faire face, de se déresponsabiliser.» Un cas extrême. Pour autant, le tout-venant, si l'on peut dire, n'a jamais rien de banal (voir l'encadré «Le diable au corps», page 6). 

Mais la complémentarité des approches de l'exorcisme et de la psychiatrie change-t-elle profondément la donne? Pour la psychiatre: «Figure paternelle, l'exorciste rassure. Nous les aidons en leur évitant de tomber dans les phénomènes de transfert où l'on peut éprouver haine ou sympathie pour la personne. Ils gardent ainsi, par rapport à celle-ci, la distance nécessaire.» 

Une sorte de garde-fou, en somme. Mais en aucun cas une panacée. Sur les trois ou quatre cas exposés par les exorcistes tous les deux mois, il y en a presque toujours un que les psychiatres ne diagnostiquent pas comme relevant d'épilepsie, de délire ou de psychose aiguë. «La psychiatrie ne peut pas toujours apporter de réponse, reconnaît le docteur Levrat. Cela arrive d'ailleurs plus fréquemment qu'on ne le pense. L'exorciste est alors seul à pouvoir porter assistance.» 

Un accompagnement délicat. Où s'arrête la croyance, où commence le délire? «Grande question! Le critère du délire, c'est quand une personne, repliée dans son monde, se trouve coupée des autres, sans contact avec la réalité, explique le docteur Levrat. Les croyances "normales" peuvent toujours être partagées avec autrui, avec une communauté. Dès qu'il y a partage, on sort du registre de la pathologie.» Mais qu'en est-il, alors, des sectes poussant au suicide: croyance ou délire? «Parler de pulsion de mort, c'est rejoindre le pathologique, donc le délire. Les croyances n'ont pas pour but de faire souffrir.»
Elles peuvent aussi donner la force de guérir. 

 



18/02/2012
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