EXORCISMES ET POSSESSIONS

EXORCISMES ET POSSESSIONS

traduction du Dr Bernard Auriol (d'après The Lancet, 345, April 1, 1995)

Deux publications ostensiblement sans rapport l'une avec l'autre mettent en lumière un dialogue continu et malaisé entre la culture et la médecine en général, et la psychiatrie en particulier :

  • un cas clinique de possession ayant résisté à l'exorcisme et traité par le clopenthixol d'une part,
  • un commentaire sur le rapport de développement de la Banque Mondiale, d'autre part !

Le compte rendu médical décrit un jeune homme Hindou, vivant en Grande Bretagne. Il était "possédé" par un esprit qui le forçait à s'adonner à des comportements délinquants. Il subit plusieurs exorcismes sans succès pour être finalement traité médicalement par du clopenthixol. Le diagnostic proposé par les psychiatres fut celui de "schizophrénie".

Ce compte rendu soulève un problème fondamental : la crédibilité et la prétention à la vérité du modèle psychiatrique, en tant qu'opposé aux "modèles populaires" ou "traditionnels".

Ces modèles diffèrent quant à la notion de guérison; notre communauté scientifique se donne pour évident que la connaissance revendiquée par nos patients qui se réfèrent à d'autres cultures ne sont que des "croyances" ou de la "superstition". Est-ce que l'exorcisme et la possession peuvent être incorporés au même paradigme de "maladie curable par le clopenthixol" ? Est-ce que les états de possession en général doivent être traités par des médicaments psychotropes ? Devrions nous mener des campagnes éducatives pour éradiquer la croyance à ce type de phénomènes ?

Une recherche extensive en anthropologie médicale montre qu'une telle position est intenable dans la plupart des champs culturels !

La "possession" est un phénomène profondément enraciné dans nombre de sociétés en voie de développement. Leurs natifs font d'ailleurs très rarement appel aux psychiatres occidentaux ! La possession permet de pallier à des conditions d'oppression, joue un r^ole reconnu dans la résolution des conflits personnels, d'enrichir la façon de vivre. En aucune façon tous les cas de possession ne doivent être considérés comme fantasmatiques ou symptomatiques d'une maladie mentale.

Mais alors, que faire de ces phénomènes dans le cadre de nos classifications psychiatriques ?

Nos classifications sont dépendantes d'une approche cartésienne affirmant une dualité entre le corps et l'esprit, dualité hiérarchisée, dans laquelle la cognition est au dessus de l'affect ! En conséquence, la possession et la transe sont réduites à des troubles mentaux sous le nom de "troubles dissociatifs" (ICD-10; F44.3) ou considérées comme entité syndromique liée à la culture d'appartenance (Appendice 1, DSM-IV) avec la nuance qu'il faudrait en exclure les expériences sanctionnées par la culture d'origine. Mais comment les cliniciens peuvent-ils faire ce partage ?

Dans une telle situation, et jusqu'à ce que nous ayons une base de connaissances suffisante, les cliniciens seront le mieux guidés par les possédés eux-mêmes, les membres de leur famille, et s'il le faut un interprète entrainé connaissant bien la culture dont il s'agit ! Un élément clé, est de déterminer la signification de l'expérience en question pour la personne elle-même et pour sa communauté (leur modèle explicatif). La participation autochtone a une construction trans-culturelle sera essentielle pour aboutir à une classification universellement acceptable.

Croire que la solution se trouve dans des programmes éducatifs et des campagnes agressives revient à considérer le désaccord entre les croyances des patients et les explications biomédicales comme liées à une ignorance individuelle ou culturelle, ou attribuable à l'analphabétisme et la superstition. C'est extraordinairement inconsidéré !

Avec la diffusion globale du marché des produits liés à la santé, une guerre idéologique entre les institutions culturelles et médicales est inévitable. Nous voyons ici du danger des deux côtés :

  • la fragmentation de systèmes culturellement riches qui donnent du sens à l'infortune individuelle, et le deskilling, la marginalisation des traditions de guérissage indigènes, d'une part
  • pour la psychiatrie en tant que discipline, ceci est un piège potentiel - c'est à dire, la tâche auto-prescrite de remplacer les significations sociales et culturelles par le modèle présumé scientifique et des solutions universelles de type pharmacologique.

Cependant, au cours de la dernière décennie, plusieurs méthodes d'investigation ont entrepris de répondre à ces challenges. Il s'agit de dépasser les frontières interculturelles dans le domaine médical, d'identifier les aires de convergence et de divergence entre médecine et culture, et d'enseigner aux cliniciens l'importance du point de vue autochtone. Un telle recherche anthropologique appliquée s'appuie sur des professionnels de la médecine autant que des sciences sociales. La nature précaire du rationalisme bio-médical est souligné par l'enthousiasme avec lequel les psychiatres ont adopté la possession diabolique et le satanisme pour rendre compte d'épisodes dits de "personnalité multiple"; ils ont construit des récits détaillés de sacrifices humains, en très grande partie tirés de la fiction !

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23/02/2012
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