EXORCISMES ET POSSESSIONS

EXORCISMES ET POSSESSIONS

Un témoignage intéressant sur diverses pratiques occultes par un père exorciste… Le Stalker, l'exorciste et le diable...

Je publie ici les réponses à quelques questions auxquelles, naguère, le Père
Chossonnery prit, avec une très grande amabilité et patience, le temps de
répondre. Ayant égaré l'original de ces questions, elles ont toutes été
réécrites de mémoire. Que le Père Chossonnery veuille excuser par avance, les
inévitables différences qu'il constatera entre l'original du questionnaire qu'il
a lu et cette version publiée; cependant, je pense que l'esprit de mes questions
a été respecté, l'essentiel donc.







Le stalker



Et, tout d'abord, Père, dans cette première question qui concerne votre
ministère, celui de l'exorcistat, — un parmi les quatre mineurs conférés aux
prêtres —, un très rapide pointage historique. Les exorcismes, on le sait, ont
d'abord été pratiqués par le Christ, certain épisode célèbre, comme celui des
pourceaux de Gérasa (cf. Mc 5, 1-20; Mt 8, 28-34; Lc 8, 26-39) en témoigne; par
les apôtres aussi, qui, tout comme le Christ, distinguent parfaitement les deux
pouvoirs, celui de l'exorcisme et celui de la guérison des maladies — cette
précision, pour les tenanciers d'une réduction du phénomène de possession à
celui de maladie. Immédiatement, on comprend que l'exorcisme est avant tout une
praxis plus qu'une connaissance purement théorique, peut-être non exempte de
quelque complaisance intellectuelle. Très vite, l'exorcisme devient la “marque
de fabrique” de la très jeune Église: Justin Martyr, au IIè s., écrit dans son
Dialogue avec Tryphon (85, 3) que l'expulsion du Démon est pratiquée par la
seule profération du nom du Christ, sous la forme de l'adjuration reprise du
symbole de foi “Au nom de Jésus-Christ crucifié sous ponce Pilate”: Si vous
adjurez [exorkizête] les démons au nom de n'importe lequel des rois [...], ils
ne se soumettent pas. Si, au contraire, l'un de vous l'adjure au nom du Dieu
d'Abraham, du Dieu d'Isaac et du Dieu de Jacob, il se soumettra [...]. Saint
Irénée (Adversus Haereses, 2, 6, 2), puis Tertullien (Apologeticum, 23, 4)
attestent à leur tour cette puissance du Nom, tandis que le rituel de
l'exorcisme s'enrichit de nouveaux gestes, comme celui de l'imposition des
mains, de l'exsufflation ou de l'onction avec de l'huile. Très tôt également, on
relève l'importance du jeûne. De plus, il ne faut pas oublier qu'à cette époque
révolue, le baptême était déjà par lui-même un rituel d'exorcisme élaboré (cf.
Cyrille de Jérusalem, Procatechesis, 9), alors que de nos jours celui-ci a
presque totalement disparu, étant de plus considéré comme facultatif. A
l'origine, le don d'exorcisme est parfaitement charismatique; il n'est ni une
fonction, ni un titre, surtout pas une dignité ecclésiastique. Il faut attendre
le concile de Laodicée (vers 360), pour qu'apparaisse le premier témoignage d'un
statut spécifique des exorcistes. Ensuite, le Rituel Romain (1614) a "codifié"
l'exercice très particulier et périlleux de l'exorcisme; resté tel quel jusqu'à
une date récente, ce rituel a subi quelques petites modifications en 1926 et en
1952. Enfin, depuis 1990, un nouveau rituel est expérimenté, en toute
discrétion, par les prêtres; il est appelé Rituel ad Interim .

La tendance générale, nettement précipitée depuis le XIXè s., on le constate,
est donc à la réduction du rituel de l'exorcisme. Quelle est votre position sur
ce point, Père ?



Charles Chossonnery



Ce ministère a son sens, sa référence, sa légitimité en Jésus-Christ.

Il importe de recadrer et d'interpréter ce ministère actuel. Il est inséré dans
une tradition. Et toute tradition digne de ce nom n'est pas un fixisme répétitif
mais une vitalité évolutive qui tisse une histoire.

Le ministère actuel ne saurait donc être copie conforme des gestes du Christ
mais il s'inspire et découle de l'action, de la parole d'autorité de
Jésus-Christ et des pratiques des premiers chrétiens.

Hier comme aujourd'hui, l'exorcisme est livré au Baptême.

Au Baptême, solennellement, on fait profession de foi en Jésus-Christ, au Père,
à l'Esprit Saint. On choisit. Donc aussi on élimine. C'est le mal et l'auteur du
mal qui est éliminé, solennellement: d'où l'étymologie du mot “exorcisme” que
vous soulignez à juste titre. Il s'agit bien d'une adjuration venant de
l'autorité divine.

Aux premiers temps de l'Église, cette pratique allait de soi. Les chrétiens,
dans la foulée du premier Testament et surtout suite à la mort et à la
Résurrection de Jésus-Christ, vainqueur du péché, du mal et de la mort, ont
réussi à se démarquer des croyances polythéistes, superstitieuses, magiques, en
condensant la victoire du Christ sur un seul opposant: Satan, le Diable.
L'existence de Satan comme obstacle pervers à Dieu, à l'homme, au cosmos, allait
de soi. Et cela est attesté par de nombreux textes.

Mais tôt ou tard ce qui va de soi se retrouve mais en question par l'évolution
de la vie et les influences et pressions extérieures.

C'est ainsi que l'Eglise a dû préciser et sa doctrine et ses
pratiques. En dehors de l'Église l'on continuait à donner une trop grande place
à Satan. C'est donc à l'occasion de déviances que l'Église redonne son identité:
cette première intervention est relativement tardive, d'ailleurs, et locale,
elle s'est faite au concile de Braga (Portugal) en 563. L'autre déclaration
importante a été faite au IVè concile de Latran en 1215. Les ouvrages Satan de
Georges Tavard (Desclée Novalis) et Le Diable, oui ou non de Pascal Thomas
(Centurion) donnent ces indications.

Ces positions prises par l'Église sont motivées par la doctrine manichéiste qui
faisait de Satan le symétrique de Dieu. Satan n'est pas principe, ni créateur,
mais créature sur qui Dieu a pouvoir. Hélas, il existe toujours certains relents
manichéistes !

Les rituels codifiés d'exorcisme, comme vous le signalez, arrivent donc bien
après ces positions officielles. Et les rituels, l'histoire le dit — et Vatican
II l'a bien montré — ne sont pas éternels.

Le rituel en préparation, non encore publié officiellement, n'est pas une
réduction des anciens rituels. Je le redis encore: une nouvelle formulation
montre que la vie ne peut pas être un automatisme de répétition. On ne peut plus
parler du transport comme au temps de la diligence. Attention aux
arrière-pensées des fixistes ! Aujourd'hui, officiellement, il est demandé aux
prêtres exorcistes d'être en contact avec la médecine et la pensée moderne. S'il
en était autrement, que serait le DIALOGUE officiellement pratiqué ?



Le stalker



Nombre de nos lecteurs, j'en suis certain, ont à l'esprit certaine scènes
éprouvantes de rituels d'exorcisme, tels qu'un film comme L'Exorciste a pu les
populariser. Il y a là, bien évidemment, une nette volonté de frapper les
imaginations; cependant, la simple lecture de l'ouvrage que le Père Joseph Surin
— qui fut l'exorciste officiel du célèbre couvent des Ursulines de Loudun, et
plus particulièrement de Mère Jeanne des Anges — rédigea au soir de sa vie donne
des frissons (Triomphe de l'Amour divin sur les puissances de l'Enfer, Jérôme
Millon, coll. “Atopia”, 1990). Rappelons que le Père Surin, considéré par Malley
comme l'homme peut-être le plus mystique du XVIIè siècle, sombra dans un
déséquilibre mental, à la suite de ses exorcismes, qui jamais toutefois ne lui
ôta l'usage de sa raison: il fut interné pendant vingt ans dans le cachot d'une
infirmerie, au collège de Bordeaux. Avant que vous ne nous décriviez, mon Père, 
les modes d'infestation diabolique, détaillons pour nos lecteurs ce que dit le
Rituel Romain sur la possession. Tout d'abord, la première consigne donnée à
l'exorciste est qu'il ne croie pas facilement à la possession (In primis ne
facile credat aliquem a daemonis obsessum esse); la deuxième, que l'exorciste
sache quels signes distinguent le possédé de personnes tourmentées par la
mélancolie, l'hystérie, l'épilepsie ou toutes autres formes de névroses (Nota
habeat ea signa quibus obsessus dignoscitur ab iis qui vel atrabile, vel morbo
aliquo laborant); la troisième, sans doute la plus connue du grand public, qui
indique trois signes particuliers de la possession: signa autem obsidentis
daemonis sunt: 1 — ignota ligna loqui pluribus verbis, vel loquentem
intelligere; 2 — distantia et occulta patefacere; 3 — vires supra aetatis seu
conditionis naturam ostendere. En bonne traduction française, ces trois signes
sont: 1 — l'usage ou l'intelligence d'une langue inconnue; 2 — la connaissance
de faits distants ou cachés; 3 — enfin, la manifestation d'une force physique
dépassant l'âge ou la condition du sujet.





Charles Chossonnery



En union avec les exorcistes (car nous nous rencontrons et échangeons), je
rencontre beaucoup de personnes qui se dirent "possédées", donc privées de leur
autonomie par Satan ou un mauvais esprit. Je dis: attention à la surenchère et
au simplisme. Il convient d'examiner d'abord si celui qui se dit VICTIME est
totalement INNOCENT... Ne peut-on pas ainsi, même si l'on est victime, devenir
COMPLICE et même sympathisant du mal et des ses auteurs ? Ne peut-on pas encore,
dans un genre de contre-attaque ou de vengeance, devenir AGENT et ACTEUR qui
pense, projette, prémédite, exécute une riposte de même nature que celle du mal
subi ?

Par analogie avec l'échelle de Richter, il convient de mesurer la gradation des
dégâts:

— Ce mal attribué à un agent extra-terrestre, le démon
de La Bible et de la Tradition chrétienne ou à un mauvais esprit, n'est-il pas
la manifestation de la partie ténébreuse de moi-même ? Saint Paul (Epître aux
Romains, 7, 14 et sq.) déplore ne pas pouvoir faire le bien qu'il veut et faire
le mal qu'il ne veut pas.

— Ce mal qui m'aliène ne vient-il pas d'un proche, d'un
voisin, d'un autre qui a bien les pieds sur terre, avec qui je suis en conflit,
ayant mes propres torts ?

— Ce mal ne vient-il pas de l'influence acceptée (et non
rejetée) d'un lobby, d'une mafia, d'un snobisme de bas-fonds ?

— Ce mal dépasse-t-il les limites de la perversion
humaine connue ? Les tristes exemples d'auteurs de génocides, de tueurs à
répétition, de tous ceux qui s'identifient aux législateurs absolus, capables de
vouloir DECREER pour refaire un autre monde qu'ils veulent gérer font-ils tout
ce mal d'eux-mêmes, ou se réfèrent-ils à Satan, tel que le désigne La Bible et
la Tradition chrétienne ? La question se pose et se posera toujours.

En d'autres termes, termes, on peut dire que l'expression “possédé(e) du démon”,
avant d'être employée avec prudence (parce qu'il met plusieurs réalités
différentes à la même enseigne), exige de nombreuses distinctions. Affirmer que
l'on n'est plus soi-même relève de différentes situations que l'on peut
présenter ainsi:



A — L'Influence.

En famille, en société, de par l'histoire et
l'historicité, l'environnement, tout être humain subit des influences plus ou
moins fortes, superficielles (la mode) ou profondes, état qui oriente plus ou
moins vers l'idolâtrie.



B — La Séduction.

Qui est toujours artificielle, mensongère, voire
théâtrale. C'est le poisson qui mord à l'hameçon, au leurre, au mirage. On
trompe par flatterie: “Que vous êtes joli ! Que vous me semblez beau”. On trompe
par l'épouvante, par l'effarouchement qui fragilise, terrorise et diminue
jusqu'à l'évacuation du goût et de la raison de vivre. Dire, avec le masque
déformant d'une autorité abusive et non fondée: “Tu n'es bon à rien. Tu
échoueras. Je t'ai à l'oeil”, est une action assassine. Toute menace abusive et
théâtrale est homicide.

On trompe avec le vrai: triste et suprême habilité qui consiste à
suréclairer un aspect de la vérité et de laisser dans l'obscurité ses autres
aspects. Ce procédé est attesté dans l'Evangile: le démon tente Jésus à partir
de l'ECRITURE ! C'est ainsi que saint Paul pouvait dire que Satan est ange de
lumière. Comme l'ambiguïté est une composante du réel, il est facile, par ruse,
de “trafiquer” n'importe quoi.



C — L'Accaparement.

L'occupation du champ de la conscience par un malaise,
un manque, une défection, etc. Ceci conduit à l'obsession, à l'idée fixe,
lancinante... et donc à la maladie.



D — L'Infestation.

Qui est présence d'un “virus” d'ordre psychologique ou
éthique: cet état est du ressort des habitudes, de “l'habitus”, du péché plus ou
moins grave. C'est garder le ver dans le fruit.



E — L'état second.

Constaté surtout suite à des expériences présomptueuses
de spiritisme. Cet état qui part d'une avidité de faire des exploits ou des
prouesses peut aller jusqu'à la volonté de franchir les limites du réel connu
(par exemple, le dialogue avec les défunts) et conduire à la GNOSE: la
connaissance ABSOLUE... Or, peut-on saisir l'insaisissable ? Une expérience
d'état second, une modification d'état de conscience (drogue, manipulation
mentale, lavage de cerveau) laissent traces et séquelles longues à se résorber.



F — L'Incorporation.

... dont on parle beaucoup, et pas toujours selon la
sagesse et la rigueur scientifiques ! Des auteurs sérieux (ainsi Anne
Ancelin-Schützenberger dans Aïe mes aïeux ! parlant de fantômes, d'impression
d'être habité par un autre) méritent une analyse: je cite, Ce ne sont pas les
trépassés qui viennent nous hanter mais les lacunes laissées en nous par les
secrets des autres (L'Ecorce et le Noyau d'Abraham Nicolas et Török Marie,
Aubier Flammarion, p. 429) Peut-être y a-t-il aussi dans cette prétendue
incorporation un certain attrait pour la métamorphose...



G — La Possession.

Qui elle aussi a son “échelle de Richter”:

— Il se peut qu'un jour de découragement (prières non exaucées), que
quelqu'un, par dépit ou colère, se tourne vers Satan... comme l'on change de
fournisseur lorsqu'il n'a pas donné satisfaction. Cette attitude peut engendre
un trouble et une culpabilisation: pourquoi ? Parce que appeler et invoquer
c'est, d'une certaine manière, donner une consistance, une impression de
réalité. Comme le dit l'adage: “Il suffit d'y croire pour que ce soit vrai...”
En réalité, le démon n'est pas venu pour autant, automatiquement. Mais l'appel
déviant a créé dans la subjectivité une impression illusoire: il faut s'en
dégager par le sacrement de réconciliation.

—“Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es.” Si l'on
fréquente un sujet pervers, si l'on mise d'une façon ou d'une autre sur les
capacités de l'Ennemi de Dieu, il s'ensuit toujours un malaise.

— Vient après la cas où l'on “vendrait son âme au Diable” par un
acte signé de son propre sang et où l'on participerait à une liturgie type
“messe noire”, laquelle est la copie invertie et subvertie du culte chrétien,
allant parfois jusqu'à comprendre un meurtre ou des transgressions sexuelles. Un
tel degré de perversion relève de l'ETHIQUE, d'un orgueil absurde, au plus bas
degré. Ce genre d'état est clandestin, dangereux. C'est la rivalité mimétique 
de l'autorité divine. Une telle perversion dont le lieu se situe dans l'esprit,
dans ce qu'il a de plus noble, rejoint ce que disent les Ecritures et la
Tradition à propos de Satan. Comment en dire plus ? Le lien entre un esprit
humain et une conscience extra-terrestre, ni divine ni humaine, ne supporte
qu'une “subjectivité approchée” pour employer un terme de Bachelard. Ici, la
foi, la confiance en Dieu qui est Vie, Bonheur, Bonté, Beauté, Bien, est plus
important que le savoir scientifique, philosophique, qui est insaisissable.
“Veillez et priez”, dit Jésus, ce qui en dit long !

Vous parlez de Loudun. Le P. de Certeau a fort bien traité de la question. Je
vous renvoie à son ouvrage: Les Possédés de Loudun ainsi qu'à La Fable Mystique.

Les critères de possession, connaissance et parler de langues étrangères, la
voyance extralucide, la force herculéenne, ne sont plus aujourd'hui retenus
comme ils l'ont été autrefois. Le principal critère est la HAINE, la VIOLENCE
aveugle, l'orgueil démentiel de vouloir se constituer comme législateur absolu
et néo-créateur, le crime subversif. Le péché contre le Saint-Esprit qui est
mensonge à soi-même et qui ne va pas sans la trahison de soi.



Le stalker



Vous devez sans doute le constater bien plus évidemment que quiconque, mon Père
: il y a actuellement, dans nos sociétés, une vogue d'un satanisme que nous
pourrions qualifier de “bon-enfant” — dessins animés, films, etc. —, qui ne
serait qu'amusant s'il n'était, d'abord, fondamentalement dangereux, s'il
n'était que la partie visible d'un fond bourbeux: je songe à ses odieux crimes
rituels, — le plus célèbre est celui de la compagne de Roman Polanski, Sharon
Tate, par le très médiatique Charles Manson —, à ces profanations de sépulture
qui naguère ont défrayé la chronique en juin 1996 à Toulon, à l'assassinat d'un
prêtre, récemment, en Alsace. Je pourrais encore mentionner, comme signe d'une
évidente banalisation du satanisme — voire institutionnalisation — les très
célèbres “églises” anglo-saxonnes, L'Eglise de Satan d'Anton La Vey, Le Temple
de Set fondé par Michael Aquino (lequel rompit avec son maître, La Vey, en
1975), mouvements influencés par une grande figure du satanisme contemporain,
Aleister Crowley (1875-1947), lequel fréquenta l'Ordre hermétique de la Golden
Dawn (fondé en 1888 par deux médecins maçons ), avant de créer, en 1910, l'Ordo
Templi Orientis (O.T.O.). Comme le dit l'adage, l'arbre cache la forêt, car,
derrière ces grands massif d'un satanisme qui a pignon sur rue, se tapit une
pléthore de groupuscules, une confuse nébuleuse d'individus interlopes (à ce
sujet, peut-être faut-il remarquer que cette “vaporisation” du culte de Satan ne
fait que mimer — car le Démon n'est que le “singe de Dieu”, selon Tertullien —
la profusion des sectes d'inspiration plus ou moins catholique). Quelles raisons
donner à cette montée en puissance du satanisme ? Faut-il écrire, avec Michel de
Certeau (voir son article intitulé “L'altérité diabolique”, dans Etudes, mars
1975, p. 409): Toujours est-il qu'aujourd'hui une certaine résurgence du
“satanisme” est liée au déclin des idéologies, des philosophies et des
religions, c'est-à-dire des grands repères symboliques. La vacuité qui s'ensuit
et, partant, la multiplication des “militants sans cause” constituent une
prédisposition pour entendre “l'appel de Satan”.



Charles Chossonnery



Cette recrudescence est indéniable. A cause du désarroi actuel. Pourquoi ce
retour à Satan ? Parce que, pour une par de l'humanité, Satan, qu'il soit figure
mythique ou entité mensongère toujours cachée, est intéressant et utile: hélas,
c'est un fait!

Face aux échecs scandaleux, au mal polymorphe, face aux énigmes non encore
résolues et toujours débattues, face à l'ambiguïté, l'ambivalence, les hommes
s'interrogent. La morosité aidant, comme aussi, hélas, la “délectation morose”,
autrement dit l'intérêt porté au “sang à la une”, fait que beaucoup rejettent un
Dieu parfait, juste, bon... Ou bien ils mettent l'origine du mal en Dieu même
(Janus à deux têtes), ou bien ils orientent leurs recherches vers un
“ailleurs”..., un substitut, l'anti-Dieu du Judéo-christianisme. Satan alors,
qu'il soit traité comme figure mythique ou comme “entité entre Dieu et l'homme”,
peut être pris en considération, voire honoré, voire adoré et pourvu d'une
toute-puissance. Il fonctionne alors, et il fait fonctionner la vie... il
devient support de rechange... ! “Quand on n'est pas content de son fournisseur,
on s'adresse à son rival d'en face !”, c'est ainsi que l'on parle de la beauté
du Diable, du Diable dans la musique, du Diable promoteur de la liberté et du
progrès, caution de la transgression et de toutes les escapades perverses: pour
légitimer une profanation de cimetière, on se réfère au Diable, ce qui donne une
certaine noblesse à la transgression et à la perversité. Le Prince de ce monde
tel qu'on en parle dans l'Ecriture est alors le Prince des bas-fonds du monde.

A propos de l'Église de Satan en Californie, le fondateur auquel vous faites
allusion a précisément voulu mettre en valeur un substitut à tout ce qu'il
conteste et rejette, Dieu, l'ordre social. Très vite il y eut dans cette
“Eglise” des dissensions, puis un déclin. Il faut savoir que le principal tenant
de cette institution est à 10% un anticonformiste violent et à 90% un "père
tranquille" sachant se couler dans la société! Pour que “l'Eglise de Satan” soit
reconnue comme Eglise aux U.S.A, il fallait bien qu'elle respecte l'ordre
établi. Habile manoeuvre, et cas typique où un beau rôle est donné à Satan,
comme pour relever un défi et se faire une place honorable dans l'Histoire.

La recrudescence du satanisme vient du désarroi actuel: elle durera tant que les
grandes mutations en cours n'auront pas trouvé leur équilibre, leur homéostasie.
Elle est fortement alimentée — comme dans le commerce et le libéralisme — par un
“besoin de consommation”: on veut sortir de la réalité trop prosaïque pour
connaître des impressions inédites, fortes, la connaissance de l'inconnu ! Il se
trouve que les demandeurs trouvent des offrants... qui fassent de la publicité
(il y a alors comme une réversibilité causes-effets). Les médias ont une énorme
responsabilité... Immense problème... Que de fausses réponses données à de
vraies questions ! Peut-on honorer un désir légitime par n'importe quel
substitut ou n'importe quelle illusion ?



Le stalker



Ma dernière question va tenter de cerner quelque peu le mystère final auquel
toute réflexion chrétienne sur le Mal se trouve confronté, je veux parler de
Satan. A vos yeux, mon père, qu'est-ce qui se cache derrière ce nom commun — le
“satan” des Hébreux est un “accusateur”, comme il apparaît dans le quatrième
chapitre de Zacharie — devenu nom propre — ce long et complexe processus de
cristallisation par et autour d'un nom est analysé par un bon ouvrage de
vulgarisation de Bernard Teyssèdre, La naissance du Diable, Albin Michel, 1985.
Faut-il parler, à propos du Démon, d'un symbole ou, beaucoup moins, d'une simple
image commodément inventée pour évoquer le “mystère d'iniquité” dont parle Paul,
à moins qu'il ne nous faille nous contenter de cette prudence craintive dont
témoigne l'ouvrage de Pascal Thomas (pseudonyme) intitulé Le Diable, oui ou non
? (Centurion, 1989), ou de la non-réponse donnée par certains philosophes à la
question de l'existence du Diable (voir par exemple l'article d'Antoine Vergote
intitulé “Anthropologie du diable: l'homme séduit et en proie aux puissances
ténébreuses”, Figures du Démoniaque hier et aujourd'hui, Facultés universitaires
de Louvain, Bruxelles, 1992) ? Faut-il même, à l'exemple de l'ouvrage de
Herbert Haag intitulé Liquidation du Diable (DDB, coll. “Méditations
théologiques”, 1971), affirmer la caducité théologique du Mauvais en écrivant,
par exemple: Satan est la personnification du mal, du péché. A chaque passage du
Nouveau Testament où survient Satan ou le diable, nous pourrions tout aussi bien
mettre à la place “le péché” ou “le mal”. La personnification sert seulement à
rendre plus clair et plus impressionnant ce dont il s'agit ? (op. cit., p.66).
D'ailleurs, cette dernière phrase soulève la difficulté, redoutable pour celui
qui essaie de concevoir ce que pourrait être une “personne” du Diable, de forger
des outils de langage capables de rendre compte de l'innommable et de
l'ireprésentable: faut-il parler, avec le cardinal Joseph Ratzinger, (voir
l'extrait de son article paru dans la revue Christus, n° 168, octobre 1995)
d'une “non-personne” du Démon, se caractérisant par les qualités adverses et
opposées à celles qui président à l'instauration de la personne (le partage, la
communication, le don, l'amour, etc.) ? Faut-il, avec Jean-Luc Marion (dans son
superbe article intitulé “Le Mal en personne”, qui demeure, à mon sens, l'effort
le plus soutenu d'un philosophe qui pense le Mal dans sa logique délétère,
Prolégomènes à la Charité, La Différence), tenter d'évoquer le paradoxe absolu
d'une “accrétion” de la matière mauvaise autour du noyau absent d'une “personne”
qui serait, bien que vide ontologique, une entité angéliquement perverse,
indéfinissable et inconnaissable pour la seule raison, un peu comme le titre
d'une nouvelle de Joseph Conrad le donne à voir, Cœur des Ténèbres, qui par son
oxymore concilie chair et mal ?



Charles Chossonnery



Prêtre catholique, je fais crédit à la Révélation biblique et à la Tradition
chrétienne qui donnent des noms (Satan, Démon, Diable) à l'Adversaire de Dieu, à
celui de l'Homme, à celui de l'ordre du monde. En cela l'une et l'autre laissent
entendre qu'il n'y a pas d'effets sans causes, que le mal suppose un malin, la
perversion un pervers, etc. C'est laisser entendre qu'une intelligence (même si
elle n'est pas définie avec précision) d'ordre angélique (même si un flou
caractérise la notion d'ange), pense, prémédite, organise le mal sous toutes ses
formes. Ceci dit, dans la fidélité et le respect de la Révélation et de la
Tradition, il faut constater que la métaphore est employée chez les croyants
comme chez les incroyants: quand Jésus dit à saint Pierre, Retire-toi, Satan, il
emploie cette métaphore, puisque, en toute rigueur épistémologique, saint Pierre
n'est évidemment pas le démon !

Affirmer l'existence de Satan comme entité relève de la FOI. Celle-ci n'est pas
une connaissance, un savoir absolu. La foi est créance à une Parole donnée par
une autorité qui est de l'ordre de la Transcendance. Elle n'est pas la gnose qui
est recherche acharnée du fin fond du réel ! Or, ce fin fond est insaisissable,
et les réponses données, dans leur multiplicité, ne résolvent pas l'énigme du
mal par quelque formule ou équation. Quand on a admis la limite de la recherche
scientifique et philosophique, est-ce que la foi nous permet d'aller plus loin
que la science exacte ou la philosophie ? Je dis ceci: il n'est pas irrationnel
de penser que le mal, que la décréation poussés à leur paroxysme émanent non pas
seulement des forces cosmiques ou d'états psychologiques. Il n'est pas
irrationnel d'admettre qu'une intelligence, non réductible à la personne
humaine, mais se situant ENTRE, dans ce quelque part hors de nos catégories de
représentation, soit responsable de tous les dégâts que nous constatons
expérimentalement.

Source:Le Stalker, internet



29/02/2012
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